Retraite complémentaire Corem-CrefRetour sur un scandale interminable
Le fonds de retraite complémentaire Corem a annoncé fin 2014 une énième mesure au détriment de ses quelque 475 000 adhérents. Permettra-t-elle de sauver un organisme qui collectionne les déboires depuis plus de 20 ans ? Rien n'est moins sûr. Le point en 10 questions-réponses.
Qu'est-ce que le Cref ?
Le Complément de retraite de l’éducation nationale et de la fonction publique (Cref) a été créé en 1949. C'était l'un des premiers systèmes facultatifs d’épargne retraite français mis en place par la Mutuelle retraite de la fonction publique (MRFP).
D'où sont venues ses difficultés ?
Au début des années 1990, alors qu'il compte 450 000 adhérents enseignants, une équipe d'administrateurs prend le pouvoir. Par un mélange de malversations et d'incompétences, elle précipite le Cref dans des difficultés financières insurmontables.
Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales relève en 1999 une insuffisance de provisionnement des engagements de 1,5 milliard d’euros. Parallèlement, les inspecteurs relèvent que les administrateurs mènent grand train : « avantages nombreux (indemnités forfaitaires, logement, véhicule de fonction, restauration, prise en charge de cotisations d’assurances, etc.) non votés par l’assemblée générale »...
Une dizaine de dirigeants sont condamnés en correctionnelle, dont René Teulade, ex-président de la MRFP, ministre des Affaires sociales en 1992-1993. En 2001, après que le régime du Cref ait été converti en régime Corem, la MRFP est mise en liquidation. C'est l'arrêt de mort. Mais ce n'est pas la fin du scandale.
Pourquoi parle-t-on encore aujourd'hui de cette affaire des années 1990 ?
Parce qu'elle n'est hélas pas finie. À sa disparition, le Cref avait plus de 400 000 adhérents, qui avaient cotisé parfois pendant toute leur carrière. Il était impensable de les laisser sur le carreau. Le portefeuille a donc été transféré à un autre organisme, l’Union mutualiste retraite (UMR). Comme il manquait un milliard d’euros pour financer les engagements du Cref, l'UMR a imposé aux adhérents des sacrifices financiers considérables. Ils n'auront jamais l'intégralité des compléments de retraite qu'on leur avait promis, loin de là. Les adhérents les plus anciens se sont retrouvés dans un régime appelé le "R1". Il couvre les droits à la retraite liquidés avant le 8 décembre 2001 et les cotisations versées avant le 1er janvier 1989. Il ne recrute plus de nouveaux adhérents et comptait quelque 110 000 personnes fin 2014.
Comment est né le Corem ?
Le régime R1 était censé circonscrire les difficultés du fonds. C'était en principe celui des adhérents sacrifiés de l'époque noire. En parallèle, un autre régime a été créé pour les 290 000 autres cotisants en 2002. C'était en principe le régime de l'avenir, celui qui allait repartir sur des bases saines, une fois apuré le scandale du Cref. Il a été nommé le Complément de retraite mutualiste (Corem). Un décret de 2002 lui a laissé 25 ans pour provisionner l'intégralité de ses engagements.
Comment s'est-il développé ensuite ?
En apparence, correctement. Il a recruté quelque 50 000 nouveaux adhérents en dix ans, majoritairement dans la fonction publique. L’UMR a gagné en cassation en 2012 contre des adhérents du Cref qui lui demandaient d'assumer le passif de la défunte MRFP. En décembre 2010, l'UMR reçoit le prix du meilleur fonds de retraite français aux Trophées IPE (Investment and Pension Europe). En juin 2014, Alain Hernandez, président de l'UMR, évoquait dans le Parisien un trou de 459 millions d’euros. Sachant que le Corem était parti en 2002 avec un boulet d'un milliard au pied, ce chiffre n'était pas si mauvais. Il signifiait que le Corem était sur la trajectoire fixée, celle du retour à l'équilibre en un quart de siècle. Non sans sacrifice imposé aux adhérents. Entre 2002 et 2013, ses rentes n'ont pas été revalorisées malgré l'inflation.
Pourquoi le scandale rebondit-il aujourd'hui ?
Parce que le fonds va en réalité très mal. On finit par l’apprendre grâce à la pression des cotisants, représentés par l'Association nationale des fonctionnaires épargnants pour la retraite (Arcaf). Son porte-parole, Guillaume Prache, a écrit à l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) le 5 juin 2014, dénonçant un « très grave problème », les « informations trompeuses » de l'UMR et « l'occultation de l'insuffisance de provisionnement du Corem ».
Quel est le trou réel dans les provisions du Corem ?
Cinq mois après la mise en garde de l'Arcaf, l'UMR admettait un trou de 2,2 milliards d'euros ! Un message placé sur la page de garde du site du Corem à la demande de l'ACPR le dit désormais : « les engagements de retraite [...] sont couverts à hauteur de 73,5 % (soit un niveau de couverture de 6,3 Mds € sur 8,5 Mds € d’engagement). » Le message est volontairement long, complexe et placé tout en bas d'une page, mais il ne laisse subsister aucun doute. D'ailleurs, en novembre 2014, l'UMR a annoncé de nouvelles mesures douloureuses : l’âge de liquidation, c'est-à-dire le moment où l'affilié peut toucher sa rente, est repoussé de 60 à 62 ans. Le taux de rendement de l’épargne baisse à 1,5 %. Les 100 000 allocataires du R1 voient leur rente mensuelle amputée d'un tiers !
Comment résumer la situation ?
Les finances du Corem ne s'améliorent pas sur le long terme. Elles se dégradent. Le Corem n’en informe pas ses nouveaux adhérents. « Jusqu'en octobre 2014, ses brochures commerciales évoquaient un régime "sûr et performant", relève Guillaume Prache. Il n'est ni l'un, ni l'autre ». Les syndicats de la fonction publique, représentés depuis l'origine au sein du Corem, ne semblent pas avoir pris la mesure du problème. Il est considérable. Les fonctionnaires qui ont souscrit ces dix dernières années ont embarqué à bord d'un navire qui prend l'eau. Le Corem ne semble pas en mesure de revenir à l'équilibre en augmentant le nombre de cotisants, comme le croyaient ses dirigeants. Ils évoquent la baisse des taux d'intérêt qui diminuent les rendements des placements, les exigences de la directive européenne Solvabilité II, l'allongement plus rapide que prévu de l'espérance de vie... Des justifications, peut-être. Des solutions, non.
Que faire ?
Selon l'Arcaf, le Corem n'est pas sauvable. « Il faut fermer le régime, résume Guillaume Prache. Arrêter de recruter de nouveaux adhérents. Si l'État et l'UMR contribuent pour maintenir les rentes des cotisants, on ira vers une extinction progressive ». Elle ne serait pas indolore. Les cotisants ayant déjà subi des sacrifices considérables en subiraient encore peut-être. Une mauvaise solution, mais la bonne existe-t-elle ?
Le Corem est-il un cas isolé ?
Les régimes complémentaires des salariés Agirc et Arcco sont en difficulté. La Cour des comptes a alerté sur d'autres régimes plus petits, comme la complémentaire retraite obligatoire des artistes. Le Corem n'est donc peut-être pas un cas isolé. Il est néanmoins unique par la durée et l'ampleur de ses difficultés.
Mise à jour du mercredi 8 avril 2015
Droit de réponse demandé par l’Union mutualiste de retraite (UMR)
L’UMR n’est en rien concernée par ce que vous appelez le « scandale » du CREF.
Constituée pour ce faire en 2002, l’UMR a reçu les engagements du CREF par voie de transfert de portefeuille, piloté par l’autorité ministérielle et celle de contrôle de l’époque.
L’Etat a donc donné, par décret, 25 ans à l’UMR pour remettre le régime à flot. En suivant un plan établi selon les critères applicables les plus rigoureux.
La conséquence a été une baisse des rentes servies de 16 %, un renchérissement égal du coût d’acquisition du point et la partition du régime en COREM et R1 pour rétablir une équité intergénérationnelle entre les adhérents les plus anciens, qui avaient acquis des droits à moindre coût dans un contexte économique inflationniste et les plus récents.
Saisie du sujet, la Cour de Cassation a rappelé, sur le plan civil, que l’UMR n’était pas responsable de la gestion du Cref au titre d’un manque d’information ; et sur le plan pénal, 4500 parties civiles menées par le CIDS, ont été déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts, la Cour d’appel jugeant qu’elles n’avaient subi aucun préjudice du fait de cette gestion passée.
Le COREM s’est développé conformément à la feuille de route imposée par l’Etat
A votre question « comment s’est développé le COREM ? », vous admettez que l’appréciation peut être plutôt positive. Mais vous reprenez les estimations de l’ARCAF d’un nouveau trou de 2,2 milliards d’€. Il s’agit d’un calcul théorique si le plan de convergence était aujourd’hui à son terme, ce qui n’est pas le cas. C’est précisément l’objectif du plan que de nous permettre d’anticiper les mesures nécessaires pour gérer l’épargne de nos sociétaires sur le long terme.
La politique d’information de l’UMR a toujours été transparente
L’UMR n’a jamais occulté l’insuffisance originelle de provisionnement de ses régimes.
Tous les documents remis aux sociétaires avant qu’ils ne contractent l’un des produits de l’UMR l’ont toujours mentionnée, en conformité avec le décret du 11 mars 2002.
Et l’UMR a informé ses adhérents à chaque étape de cette feuille de route, via notamment le rapport annuel envoyé à tous, son site web, son forum ou les conseillers dont c’est l’une des missions.
Une dégradation brutale de la conjoncture…
Si des mesures ont dû être prises, c’est que la conjoncture économique s’est brutalement dégradée. Au début de l’été 2014, les taux d’intérêt se sont effondrés à un niveau jamais connu depuis 1945. Cela signifie que nous ne pouvons plus proposer en retour le même niveau de rendement à nos sociétaires, sauf à prendre des risques inconsidérés. Tous les assureurs y sont contraints, à l’image du livret A ou de l’assurance-vie. Pourquoi les produits de l’UMR échapperaient-ils à ces réalités qui frappent notre économie ?
De même, va bientôt entrer en vigueur la réglementation européenne dite Solvabilité II. Elle va littéralement plomber les équilibres des assureurs retraites que nous sommes, de façon « idiote » comme l’a récemment martelé le ministre de l’Economie. Elle nous oblige à nous constituer des réserves exorbitantes au détriment des rentes que nous versons à nos sociétaires. L’UMR se mobilise aux côtés des autres acteurs de la retraite supplémentaire pour proposer des solutions adaptées à notre métier.
…qui impose de provisionner des fonds supplémentaires
Dès lors, le plan de convergence devait être modifié pour anticiper les effets désastreux de coup de ciseau conjoncturel. Pour l’UMR, qui gère 10 milliards d’€ d’actifs en valeur de marché, il convenait de provisionner 459 millions d’€ supplémentaires. Dès l’été, nous en avons informé nos sociétaires. Et pris, sans attendre, les mesures qui s’imposaient.
Dans le cas de Corem, l’évolution est similaire à celle du régime général des retraites : avec le recul de l’âge de départ de la retraite à taux plein à 62 ans et l’augmentation du prix d’achat du point.
Notre action a aussi pour effet de sécuriser définitivement le régime R1, désormais intégralement provisionné. Ce dernier a été converti en branche assurance-vie. C’est la garantie légale que le niveau de la rente ne pourra plus baisser à l’avenir.
Des engagements qui seront honorés auprès de nos épargnants
Au final, au 31 décembre 2014, les régimes sont règlementairement provisionnés (c’est-à-dire qu’ils peuvent honorer leurs engagements) à 102 % pour COREM et à 100 % pour R 1. Et ce même en prenant en compte les dernières données sur l’allongement de la durée de vie (1). Les engagements pris auprès de l’Etat ont été honorés.
Nos fondements économiques sont solides. Nous gérons plus de 10 milliards d’€ d’actifs en valeur de marché et distribuons près de 300 millions d’€ de rentes chaque année.
C’était notre responsabilité de sauver les rentes vie de nos sociétaires. La promesse sera tenue.
Le bateau UMR ne prend pas l’eau comme vous l’écrivez. Il doit adapter son cap et sa voilure face à la dépression générée par la baisse des taux et l’écueil d’une réglementation inadaptée.
Des produits qui demeurent « sûrs » et « performants »
Contrairement à ce que votre article insinue, nos produits sont fidèles à la promesse faite à nos adhérents. Ils sont « performants » ; car le retour sur investissement moyen du COREM reste, pour nos adhérents, supérieur à celui des produits comparables comme l’assurance-vie.
Et « sûrs» ; car notre engagement est de continuer à verser les rentes à vie.
Vous le reconnaissez, tous les régimes supplémentaires, publics, privés, facultatifs ou obligatoires sont ou seront amenés à prendre les mesures qui s’imposent. C’est une réalité incontournable. Il n’est qu’à voir les difficultés des régimes Agirc-Arcco et les décisions récentes de l’ERAPF. Nous comprenons qu’elles puissent être difficiles pour les petits épargnants. C’est précisément là que se situe le véritable enjeu : permettre à notre profession de jouer son rôle auprès des épargnants mais aussi au service du financement de l’économie réelle qui en a bien besoin.
(1) Tables de mortalité les plus récentes utilisées par toute la profession, dites TGO5