ENQUÊTE

Vélos électriquesFin de vie des batteries, le grand gâchis

Les industriels ont mis en place une filière de recyclage des batteries de vélo électrique dès 2017, avant même qu’un cadre réglementaire les y oblige. Loin d’être parfaite, elle envoie au broyage des centaines de milliers de cellules lithium qui pourraient encore servir. Enquête.

Les pistes cyclables se développent partout en France, des aides financières locales et nationales permettent de s’équiper d’un vélo électrique, les cyclistes sont ravis de laisser la voiture au garage, et… des centaines de milliers de batteries au lithium ternissent l’image de cette mobilité douce. En 10 ans, près de 4 millions de vélos électriques ont trouvé preneur en France (Union Sports & Cycle, 2024). La durée de vie des batteries atteignant 5 à 10 ans, nombreuses sont celles qui sont déjà arrivées en bout de course. Ces batteries, il a d’abord fallu les fabriquer, ce qui sous-entend l’extraction minière des matériaux qui composent les cellules et les circuits électroniques (voir schéma), souvent dans des pays en guerre. Et maintenant, il faut s’en débarrasser. La France n’a pas à rougir puisque, précédant toute obligation réglementaire, elle a organisé leur recyclage dès 2017. Mais la filière, bâtie sur une réglementation inadaptée, est loin d’être parfaite.

200 000 batteries collectées

Cette filière est née sous l’impulsion des fabricants de vélos réunis au sein de l’Union Sports & Cycle (USC) et de Corepile, l’éco-organisme déjà chargé de la fin de vie des piles (boutons, bâtons) et des petites batteries (smartphones, ordinateurs, etc.). Rien ne les y obligeait, puisque la filière « REP » (responsabilité élargie des producteurs), qui impose aux producteurs de pneus, de médicaments ou d’emballages ménagers d’organiser la fin de vie de leurs produits, n’existe pas encore pour les batteries de vélo électrique. Celles-ci n’ont même pas de définition propre : faute de mieux, les textes les considèrent comme des batteries « industrielles », ce qui ne leur correspond pas vraiment. Ces difficultés réglementaires ont fait naître une filière dite « volontaire » (sans agrément de l’État) qui a collecté 200 000 batteries de vélo depuis 2017, dont 53 000 rien qu’en 2023. « Ce sont les batteries que les consommateurs rapportent en boutique lorsqu’elles sont hors d’usage ou plus assez performantes, explique Frédéric Hédouin, le directeur général de Corepile. Nous en organisons la collecte et les envoyons chez des partenaires afin qu’elles soient recyclées. Chaque batterie est démontée, puis les dizaines de cellules sont extraites pour être broyées afin de séparer les différents métaux et alliages. » Au final, seul 67 % du poids de la batterie est récupéré. Le manganèse, le cobalt, le nickel, un peu de lithium (25 %) serviront à la fabrication de nouvelles batteries. Les métaux non ferreux, le cuivre, l’aluminium (24 %) seront refondus ; les métaux ferreux (18 %) deviendront de l’acier. Et le reste, résidus de métaux non récupérables (dont du lithium) et plastiques (non recyclables car traités anti-inflammables), sera incinéré ou enfoui.

Les batteries sont constituées de dizaines de cellules au lithium pilotées par une carte électronique et enfermées dans une coque en plastique.

Des déchets, vraiment ?

Dans ce circuit certes assez bien rodé, une étape cruciale a été oubliée : à aucun moment les batteries ne sont diagnostiquées. Autrement dit, on ne sait pas pourquoi elles ne fonctionnent plus, ou moins bien. Un câble dessoudé, une fiche débranchée, une seule cellule défectueuse est c’est toute la batterie qui part à la benne ! « Aux yeux de la loi, les batteries collectées sont des déchets, qui ne peuvent plus être commercialisés et que l’on a l’obligation de recycler. C’est vrai, la proportion de celles qui ont encore du potentiel n’est probablement pas négligeable », convient Frédéric Hédouin. Une récente étude (1) portant sur 150 batteries a révélé, après diagnostic, que 68 % d’entre elles auraient pu être réparées simplement (la panne émanant de la carte électronique, du câblage ou d’un connecteur) et que 28 % auraient pu être reconditionnées. Sur 150 batteries envoyées en recyclage, 144 auraient pu servir à nouveau. Quel immense gâchis !

Des cellules encore bonnes pour stocker de l’énergie

Ce constat, d’autres l’ont déjà fait. Plusieurs acteurs ont imaginé de nouveaux usages pour ces batteries ou leurs composants. « Lorsqu’une cellule est trop dégradée pour être performante dans le cadre de son usage d’origine, elle peut toujours servir pour un usage moins exigeant », explique Maxime Bleskine, cofondateur de Voltr, une entreprise fondée en 2022 qui a notamment développé un outil de diagnostic basé sur de l’intelligence artificielle, capable de prédire le comportement d’une cellule dans différents scénarios de seconde vie. L’une des pistes les plus avancées consiste à utiliser les cellules pour stocker de l’énergie. « Cette énergie sert ensuite à électrifier des chantiers de construction, soutenir la recharge des véhicules électriques ou contribuer à l’équilibre du réseau électrique ou à la gestion des pics de consommation », affirme Refurb Battery, une entreprise néerlandaise spécialisée dans le domaine. Début 2024, elle a d’ailleurs signé un partenariat avec le premier fabricant européen de vélos, Accell (Haibike, Lapierre, Raleigh, Winora), pour récupérer ses batteries usagées.

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Des batteries reconditionnées qui font débat

D’autres encore se sont lancés dans la réutilisation de batteries usagées. « Chez Doctibike, on répare, on reconditionne et on remanufacture les batteries. La réparation consiste à n’intervenir que sur la carte électronique, le câblage, les connecteurs, sans toucher aux cellules. Le reconditionnement consiste, à l’inverse, à changer les cellules. Dans le cas du remanufacturage, on refabrique totalement la batterie en ne conservant que le boîtier », détaille Anne-Sophie Caisticker, directrice générale de l’entreprise. Mais cette activité fait débat. Bosch eBike, l’un des principaux fournisseurs mondiaux de batteries et de moteurs, y est opposé. « Les batteries lithium-ion pour vélos électriques sont des systèmes complexes, finement réglés, enfermant un contenu énergétique élevé, dont les composants peuvent être inflammables dans certaines conditions », soutient le fabricant. Les ouvrir et les reconditionner serait donc dangereux. Il y a du vrai : ouvrir une batterie et la remettre en état exige des qualifications techniques, un outillage spécifique ; il est par ailleurs indispensable de n’utiliser que des pièces de rechange identiques à celles choisies initialement par le fabricant. Et concernant les cellules, même si une seule est défaillante, il faut les changer toutes. « Si les cellules sont différentes, la carte mère passe son temps à gérer les différences entre cellules (voltage, etc.), ce qui peut créer des courts-circuits et des départs de feu », explique Anne-Sophie Caisticker. Un doute plane aussi sur le droit de commercialiser des batteries de seconde main, puisque l’opération de reconditionnement annule leur indispensable certification (UN38.3) initiale.

N’empêche, aujourd’hui, reconditionner des batteries est autorisé… puisqu’aucun texte ne l’interdit. Et n’en déplaise à ses opposants, cette activité devrait se développer dans les prochaines années, reposant cette fois sur un cadre réglementaire propre.

Un règlement européen pour encourager le réemploi

Un règlement européen voté en juillet 2023 va en effet modifier en profondeur le cadre juridique de la vie des batteries, de leur fabrication jusqu’à la gestion des déchets en passant par une éventuelle seconde vie. En vigueur depuis moins d’un an, il doit s’appliquer progressivement à chaque maillon de la chaîne. Déjà, il crée enfin une catégorie de batteries propres aux vélos et aux trottinettes, les batteries « MTL » (moyens de transport légers). Un préalable à la mise en place d’une filière recyclage mieux organisée, avec la création imminente d’une filière REP dédiée et de l’éco-organisme agréé ad hoc (Corepile devrait à cette occasion être absorbé par Ecosystem, l’un des éco-organismes déjà agréés pour les déchets électroniques).

Ce règlement fixe les conditions pour sortir les batteries du statut de déchet qui les condamne au recyclage ; il définit aussi les différentes opérations leur offrant une seconde vie, comme la réaffectation et le remanufacturage.

Enfin, il impose aux fabricants une grande transparence sur la conception des batteries, que le consommateur devra pouvoir remplacer facilement lui-même, et qui devront aussi afficher via un QR code des informations sur leur durée de vie (en 2027) et leur empreinte carbone (en 2028). Des mesures qui devraient permettre de mieux gérer l’avalanche de batteries de vélo électrique à venir, mais pas seulement : le règlement concerne tous les types de batteries, de la simple pile à celles des voitures électriques.

Bien entretenir la batterie de son vélo électrique

L’espérance de vie d’une batterie de vélo est généralement estimée entre 5 et 10 ans. Si le temps la dégrade nécessairement, l’usage que les cyclistes en font joue aussi.

  • Lors de la première utilisation, chargez complètement la batterie avec le chargeur fourni. Ensuite, n’attendez pas qu’elle soit totalement déchargée pour la brancher et une fois qu’elle est pleine, débranchez-la.
  • Ne la chargez pas la nuit : mieux vaut qu’une batterie en charge reste sous surveillance.
  • Les batteries ont horreur des grands froids et des grosses chaleurs : stockez la vôtre dans une pièce où la température est clémente, entre 10 et 25 °C.
  • Si vous ne l’utilisez pas pendant plusieurs mois, pensez à la brancher de temps en temps. Non seulement vous éviterez que les composants se dégradent en cristallisant, mais vous écarterez tout risque de décharge profonde (qui nécessite un passage en atelier sans garantie de résultat).
  • Évitez de la faire tomber ! Les chocs peuvent déclencher des courts-circuits et donc des départs de feu.
  • Votre batterie n’est plus assez performante ? Rapportez-la en magasin.

Des objectifs de collecte contre-productifs pour le réemploi ?

Le nouveau règlement européen relatif aux batteries fixe à la filière d’ambitieux objectifs de recyclage. Pour les batteries MLT (moyens de transport légers), le taux de collecte devra atteindre 51 % en 2028 et 61 % en 2031. « Ce sont des objectifs très élevés », note Frédéric Hédouin, le directeur général de l’éco-organisme Corepile. Surtout, ils ne tiennent pas compte des batteries qui devraient échapper à un recyclage prématuré grâce aux circuits de seconde vie (reconditionnement, stockage d’énergie, etc.). En tout cas pour l’instant. Le règlement prévoit une possible révision de la méthode de calcul afin de tenir compte de l’allongement de la durée de vie des batteries et de mieux déterminer le volume réel de déchets disponibles pour la collecte. Mais la Commission européenne devra s’y prendre tôt, la date butoir étant fixée au 18 août 2027.

(1) Étude Screlec/Doctibike, juin 2022.

Camille Gruhier

Camille Gruhier

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