Élisa Oudin
Travaux de rénovationNe rompez pas trop vite !
Mettre fin au contrat avec l’entreprise qui effectue des travaux dans votre logement est délicat. Surtout quand cette dernière connaît parfaitement le droit applicable… Conseils et explications à travers des cas concrets.
Faire rénover son logement n’est généralement pas un long fleuve tranquille. Délais de livraison augmentés, problèmes imprévus, équipements placés à un autre endroit que celui indiqué, dépenses supplémentaires et autres mauvaises surprises sont monnaie courante. Lorsque les malfaçons s’accumulent et que le temps presse, l’expérience peut même carrément virer au cauchemar !
C’est ce qui est arrivé à un certain nombre de personnes ayant eu recours à une entreprise générale de bâtiment de la région parisienne, qui démarche une partie de sa clientèle via Internet. Le même scénario s’est répété plusieurs fois : les travaux prennent beaucoup de retard, les particuliers dénoncent des vices graves, et des différends importants apparaissent entre les deux parties. La conséquence ? Les clients finissent par exprimer leur désir de ne plus travailler avec la société M. qui, pour sa part, les accuse de lui interdire de revenir sur le site, ou de vouloir rompre unilatéralement le contrat. Un cas d’école, ou presque, du piège dans lequel risquent de s’empêtrer les consommateurs quand de grosses difficultés apparaissent au cours de leur chantier.
Assignations en référé
Sur le papier (ou plutôt sur le Web), cette SARL coche toutes les cases. Sur la plateforme Houzz.com, spécialisée dans la mise en relation des particuliers avec des professionnels de la rénovation, l’établissement est ainsi élu « Best of Houzz depuis 2018 », et affiche une note de 4,8 étoiles sur 5. Une évaluation flatteuse qui s’accompagne de commentaires tous dithyrambiques. Chantal 94 (nom indiqué sur le site) loue une « entreprise sérieuse utilisant des produits de qualité […]. Délai très correct. Communication facile et à l’écoute ». Même enthousiasme du côté d’un certain Hugo : « Très bonne expérience avec la société M. sur un projet à la fois compliqué et long. Équipe sympathique et professionnelle. Je les ai, depuis, engagés plusieurs fois sans souci. » Citons encore Céline B., qui affirme avoir « travaillé avec cette entreprise à deux reprises et à 10 ans d’intervalle. Les deux fois, nous avons trouvé des équipes engagées, professionnelles et des travaux d’une grande qualité. Ce qui est vraiment un plus, c’est qu’en cas d’incidents sur le chantier (et cela peut toujours arriver), l’équipe est très mobilisée pour trouver la meilleure solution rapidement et efficacement. Merci à eux ». Des témoignages élogieux mais loin, très loin, des faits exposés devant la justice par plusieurs clients ayant engagé des actions contentieuses contre cette SARL entre 2009 et aujourd’hui…
En 2010, par exemple, M. V., avocat de profession, a assigné en référé (procédure d’urgence) la structure devant le tribunal de grande instance (TGI, devenu tribunal judiciaire) de Paris, en raison du retard des travaux et de l’existence de graves malfaçons. Ce dernier a estimé qu’il y avait des « défauts de l’installation électrique relevés par diagnostic par EDF » et des « désordres avérés concernant non seulement la plomberie et, plus particulièrement la salle de bains, et les peintures ». En 2013, ce sont les époux A.-Y. qui ont saisi le juge, également par la voie du référé. Ils ont affirmé que l’entreprise M. avait abandonné le chantier alors que seulement 15 % des travaux avaient été effectués, mais 40 % payés. Et ajouté que les ouvriers qui étaient intervenus ne possédaient pas les compétences requises. Sans oublier que la plupart des travaux avaient été mal exécutés. La décision rendue a été à nouveau globalement favorable à monsieur et madame A.-Y.
La force du contrat, un principe fondamental
Quand le désaccord s’amplifie en plein chantier, le client est souvent tenté de jeter l’éponge et de se tourner vers une autre société. Surtout s’il est pressé par le temps et qu’il souhaite que les travaux s’achèvent très rapidement (obligation de vendre à une date proche, souscription d’un crédit relais, fin d’une location, etc.). Attention, c’est là que le piège risque de se refermer ! Quelles que soient leurs raisons, les particuliers n’ont pas intérêt à casser un contrat qui les lie à une entreprise du bâtiment sans la plus extrême prudence.
En la matière, le principe fondamental du droit, posé par l’article 1193 du Code civil, est clair : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. » Aussi, gare à la rupture abusive. Madame Z. l’a appris à ses dépens : la société M. n’avait réalisé que 50 % des travaux à la date de livraison prévue. Face à un tel retard, elle a mis fin au contrat et demandé à la justice de déclarer cette résolution valable en 2014. Las, le TGI de Paris n’a pas considéré que cette raison justifiait une résiliation unilatérale. De recours en recours, l’affaire s’est conclue en 2018. Madame Z. a été condamnée à dédommager le professionnel. Pour calculer la somme qu’elle devait lui verser, les juges ont néanmoins tenu compte des malfaçons constatées sur la partie du chantier terminée. Le montant imposé à la cliente a par conséquent été minoré. Plus récemment, le couple F. s’est retrouvé dans une situation comparable. Le 15 décembre 2021, il a adressé un long e-mail à la SARL concernée, listant l’ensemble des anomalies et dénonçant le contrat. Deux mois plus tard, celle-ci lui envoyait à son tour un courrier dans lequel elle le mettait en demeure de lui verser un dernier acompte, et déplorait « une rupture unilatérale du contrat ». L’injonction est restée vaine. La société M. a alors traîné les époux devant le tribunal et réclamé, notamment, « l’indemnisation de la perte financière » qu’elle a subie. À ce jour, la justice ne s’est pas encore prononcée.
Les consommateurs doivent donc manier la menace de révocation du contrat avec un maximum de précautions. Certes, cela ne signifie pas qu’elle ne peut jamais être envisagée. Bien que la force obligatoire de ce document soit un principe du droit français, l’article 1226 du Code civil, introduit en 2016 dans le cadre de la réforme des contrats, accepte quelques dérogations. Cette disposition, qui consacre une jurisprudence bien établie, autorise entre autres « la résolution du contrat par voie de notification » en cas « d’inexécution grave » par l’autre partie. Des malfaçons mettant en jeu la sécurité des personnes peuvent être considérées comme telle. Ce sera cependant au client de prouver l’existence du danger… À défaut d’être en mesure de le faire, il devra s’adresser au tribunal pour demander en référé la constatation des désordres, et leur reprise ou leur indemnisation par l’entreprise de travaux. Ce qui est, il faut bien le reconnaître, une procédure beaucoup plus longue…
Maître d’œuvre, entreprise, sous-traitant : qui est responsable ?
Différents professionnels peuvent intervenir sur un chantier de rénovation. Parce qu’elle manque de temps ou qu’elle ne possède pas des compétences spécifiques, il arrive qu’une entreprise de travaux (ou un artisan) confie certaines tâches à des sous-traitants. C’est le cas de la société M., dont les comptes sociaux montrent qu’elle n’emploie que deux salariés. De son côté, le client a le droit de recourir à un maître d’œuvre (architecte, bureau d’études, etc.) pour la gestion et l’exécution du projet. Quel que soit le cas de figure, c’est toujours celui-ci (ou, à défaut, l’entreprise générale de bâtiment employée) qui est responsable vis-à-vis du client. Le moindre problème doit lui être immédiatement rapporté. À savoir : si le maître d’œuvre est un architecte, son assurance professionnelle peut intervenir en cours de chantier afin de couvrir d’éventuelles malfaçons. Ce n’est pas le cas de celle de l’entreprise générale, qui ne garantit que les vices constatés après la livraison du chantier. Beaucoup moins protecteur !
3 questions à Marie laure Fouché, avocate spécialisée en droit de la construction
QC. Que conseillez-vous pour éviter qu’un chantier de rénovation ne tourne mal ?
Marie Laure Fouché Primo, quand vous vous lancez dans une rénovation relativement importante (de la remise en état d’une salle de bains à la réfection globale d’une maison), mieux vaut recourir à un maître d’œuvre (un architecte, par exemple). Mais, pour jouer son rôle, il doit être totalement indépendant de la(des) entreprise(s) du bâtiment engagée(s). Il vérifiera l’avancement et la bonne réalisation des travaux, et jugera si leur état justifie les paiements. Évidemment, cette expertise n’est pas gratuite. Comptez entre 6 et 12 % du budget total. Cependant, il s’agit d’une « assurance » si des problèmes surviennent. Secundo, demandez aux entrepreneurs qui interviennent chez vous leur attestation d’assurance, afin d’être certain que le chantier est bien couvert. Attention, une société de maçonnerie peut être assurée pour cette activité, mais pas pour de la menuiserie. Dans ce cas, il ne faut pas qu’elle travaille sur ce type d’ouvrages.
QC. Et si, malgré tout, des malfaçons apparaissent ?
M. L. F. En cas de défauts significatifs, faites immédiatement appel à un huissier pour qu’il les relève. La parole de cet officier ministériel ne peut pas être contestée. Dans toutes les situations, engagez rapidement, en parallèle, un dialogue avec l’entrepreneur. Notifiez-lui les anomalies et mettez-le en demeure de les corriger dans un certain délai. Il ne faut pas, en effet, qu’il soit mis devant le fait accompli sans avoir eu la possibilité de les rectifier. Bien sûr, conservez les traces de tous ces échanges. Si le professionnel n’agit pas, il est conseillé de solliciter l’avis d’un expert afin de s’assurer de la réalité des désordres. Puis de saisir le juge des référés, qui sera capable de prendre des mesures d’urgence et d’imposer certaines obligations à la société, voire de désigner un expert judiciaire.
QC. Comment annuler le contrat sans risques ?
M. L. F. Il est tout à fait possible de prévoir une clause résolutoire sous conditions dans le contrat. Pensez à intégrer cette protection lors de sa rédaction. Encore faut-il que l’entreprise l’accepte… À défaut, en cas d’inexécution suffisamment grave, la révocation du contrat reste envisageable. Demandez-la au juge civil (tribunal judiciaire). Toutefois, même en référé, la procédure peut prendre de quatre à six mois. Alors si la faute est évidente ou grave, ou en cas d’urgence liée, par exemple, à la sécurité des personnes, vous avez le droit de procéder à une résolution unilatérale. Vous êtes néanmoins tenu de prouver qu’il existait bien des risques imminents. En toutes circonstances, rappelons que maintenir le dialogue avec la société est préférable, et qu’il est impératif de la mettre en demeure de corriger les défauts avant d’aller plus loin.