Camille Gruhier
Smartphone, tablette, ordinateurConsommez durable
Un e-mail est-il plus écologique qu’un bon vieux courrier, une facture électronique plus respectueuse de l’environnement qu’un document papier ? Le stockage dans le cloud de nos documents dématérialisés et les mises à jour « OTA » de nos appareils (pour « over the air », c’est-à-dire par Internet, sans connexion filaire) sont-ils si mystérieusement impalpables ? Pas vraiment… Contrairement à ce que suggère le champ lexical qui leur est associé, les TIC (technologies de l’information et de la communication) sont tout sauf immatérielles. Réseaux, équipements, infrastructures… Au total, elles consommeraient 8 % de la production mondiale d’électricité (EcoInfo, 2014). Elles sont également gourmandes en ressources naturelles. Aucun bien manufacturé par l’homme n’a un impact aussi élevé que celui des équipements électroniques, tant en termes d’épuisement de ressources que de conséquences pour l’environnement. Pour autant, smartphones, ordinateurs et autres objets connectés sont inéluctablement entrés dans notre quotidien et il n’est évidemment pas question qu’ils en sortent. Mais en réfléchissant mieux à nos achats, en nous souciant de leur répercussion au quotidien et en s’impliquant dans leur recyclage, nous avons le pouvoir d’agir.
Un e-mail est-il plus écologique qu’un bon vieux courrier, une facture électronique plus respectueuse de l’environnement qu’un papier sous pli ? Le stockage dans le « cloud » (le « nuage ») de nos documents « dématérialisés » et les mises à jour « OTA » de nos appareils (pour « over the air », c’est-à-dire par Internet, sans connexion filaire) sont-ils si mystérieusement impalpables ? Non… et non ! Contrairement à ce que suggèrent leur image et le champ lexical qui leur est associé, les TIC (technologies de l’information et de la communication) sont tout sauf immatérielles. Les continents sont connectés par Internet grâce aux centaines de câbles (428 au total, soit 1,3 million de kilomètres !) qui maillent le fond des océans et aux satellites qui gravitent à 2 000 km au-dessus de nos têtes. Sur terre, les antennes-relais des opérateurs mobiles complètent ce réseau planétaire. Plus de 800 millions de box physiquement reliées au réseau des fournisseurs d’accès à Internet apportent le Web jusqu’à nos salons. Chaque e-mail que nous envoyons parcourt des infrastructures bien réelles, de notre ordinateur aux serveurs de messagerie (Gmail, Yahoo !, etc.), puis vers la boîte de réception du destinataire. Toutes ces informations transitent par des « data centers », gigantesques parcs de serveurs informatiques répartis partout sur la planète. Ces centres de données, dont il est extrêmement difficile d’évaluer le nombre en France (200, principalement localisés en Île-de-France, serait la fourchette basse), ont besoin d’électricité pour fonctionner et refroidir les machines. Réseau, data centers, équipements des utilisateurs… Au total, les TIC consommeraient 8 % de la production mondiale d’électricité (EcoInfo, 2014).
23 équipements multimédias par foyer
Avides d’électricité, les TIC sont également gourmandes en ressources naturelles. « Il n’existe quasiment aucun bien manufacturé par l’homme dont l’impact soit aussi élevé que celui des équipements électroniques, tant en termes d’épuisement de ressources que d’impacts environnementaux. Il faut par exemple 32 kg de ressources naturelles pour fabriquer une puce électronique de 2 g, soit 16 000 fois son poids », abonde Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr. La fabrication d’un seul ordinateur exige 375 g de silice, 345 g de plastiques, 300 g de fer, 225 g de cuivre, plomb et zinc et 210 g d’aluminium. Enfin, 45 g de nickel, mercure, sélénium, argent manganèse, cobalt, or, cadmium et arsenic complètent la recette. En France, chaque foyer possède, en moyenne, 23 équipements audio, vidéo, photo, informatique et de téléphonie (source : Ipsos, 2016). « L’effet de mode et la démocratisation d’équipements comme les enregistreurs DVD, les barres de son, les souris et les casques qui bénéficient du jeu vidéo et du e-sport, des drones, des enceintes portables, des objets connectés ont fait monter en puissance les achats de petits équipements », constate l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) dans sa dernière synthèse annuelle sur les équipements électriques et électroniques. Smartphones, ordinateurs et autres objets connectés sont entrés dans notre quotidien. Cette tendance laisse présager de grands combats consuméristes liés, notamment, aux données personnelles collectées par tous ces objets.
À peine 4 % des appareils collectés réutilisés
Chacun peut toutefois agir à son niveau pour limiter son impact. Car oui, on peut être « geek » et respecter l’environnement. Oui, il est possible de profiter des nouvelles technologies sans courir après les nouveautés. « Consommer durable est encore un acte militant dans le sens où il exige des efforts de la part des consommateurs », admet Frédéric Bordage. La démarche consiste à mieux réfléchir à ses besoins et donc à ses achats. Elle revient à adopter quelques bons réflexes et à réduire sa consommation électrique. Vous trouverez dans les pages qui suivent des conseils simples à mettre en œuvre avant l’achat, pendant l’usage et, bien sûr, une fois votre appareil hors d’usage (le réemploi et le recyclage restent largement sous-dimensionnés).
Le smartphone fait figure d’exemple. Depuis quelques années, le marché de l’occasion a explosé grâce à plusieurs acteurs, comme Remade ou encore Recommerce Solutions. Ce modèle vertueux du réemploi n’est hélas pas en marche pour les autres équipements informatiques, télécoms et autres matériels grand public (écrans, moniteurs, appareils photo…). D’après l’Ademe, seuls 4 % des appareils collectés par les éco-organismes, qui organisent la filière recyclage, sont réutilisés. Pourtant, de tous les types de traitements des déchets (recyclage de la matière, valorisation énergétique, etc.), le réemploi est, selon la réglementation, la priorité absolue (Dir. 2008/98/CE). « Nous fonctionnons dans une logique de déchet, pas de réemploi : nous réutilisons les matériaux plus que l’appareil », commente Guillaume Duparay, directeur de la collecte chez Éco-systèmes. Mais la filière a-t-elle intérêt à alimenter le marché de l’occasion, sachant que les éco-organismes sont pilotés par les fabricants de produits neufs ?
Autre explication au faible taux de réemploi : la majorité des EEE (équipements électriques et électroniques, ou 3E) remis en état ne sont pas comptabilisés car les eco-organismes n’en voient même pas la couleur. Les entreprises, qui disposent d’importants parcs d’ordinateurs, d’imprimantes et de smartphones pour leurs salariés, mais aussi d’infrastructures plus imposantes comme des serveurs informatiques, ne s’adressent pas directement à eux. « Les DSI [directeurs des systèmes d’information, ndlr] sont sans cesse démarchés par des courtiers spécialisés qui se présentent comme des entreprises de recyclage agréées par l’État, ce qui est rarement le cas en réalité, explique Guillaume Duparay. L’administration n’a malheureusement pas les moyens de contrôler ces flux. »
60 à 90 % des déchets dans l’illégalité
Cela donne d’ailleurs lieu à un important trafic international de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). Les transferts transfrontaliers de déchets font, eux aussi, l’objet d’une réglementation stricte (Convention de Bâle et règlement CE 1013/2006 du 14 juin 2006, notamment) qui, en substance, interdit de se débarrasser de déchets dans des pays qui ne disposent pas des infrastructures pour les recycler. Mais, en 2015, une étude de l’Unep (Programme pour l’environnement des Nations unies) estimait que 60 à 90 % des déchets électroniques étaient revendus ou jetés illégalement. En 2012, 240 tonnes de DEEE avaient été saisies par Interpol. Ces containers, remplis, en vrac, de gros électroménager, de TV plus ou moins récentes, de téléphones, de petits composés électroniques et d’appareils éclatés, ne sont pas les plus fréquents. Les douanes françaises sont nettement plus préoccupées par les moteurs non dépollués, les batteries et les pneus usagés provenant de l’industrie automobile. Un chantier autrement plus vaste côté environnemental.
Composition des téléphones
Une opacité entretenue par les fabricants
Dans un rapport d’information de 2016, le Sénat déplore l’opacité générale autour de la composition des smartphones. « Impossible d’obtenir de la part des fabricants des informations précises sur la liste des matériaux entrant dans la composition d’un téléphone type et sur leur proportion générale », indique le document. Cette rétention d’information nuit à la gestion des déchets électroniques (DEEE), en particulier à leur traitement et à leur valorisation ou recyclage.
Bilan matière des téléphones portables
Un recensement exhaustif des matières fait apparaître plus d’une cinquantaine d’éléments du tableau périodique de Mendeleïev (qui regroupe tous les éléments chimiques connus) dans la composition d’un téléphone portable.