SFAML’heure des comptes
Le 23 septembre s’ouvrira le procès de la SFAM. Sept ans après nos premières révélations, la justice se penche enfin sur cette affaire, l’un des plus gros scandales de la décennie.
Après des années d’attente et d’espoirs déçus, le procès de la SFAM se tiendra du 23 septembre au 2 octobre devant le tribunal correctionnel de Paris (75) – sauf rebondissement de dernière minute. Poursuivis pour pratiques commerciales trompeuses, six sociétés issues de la galaxie Indexia (AMP Serena, Cyrana, Foriou, Hubside, SFAM et SFK Group), ainsi que leur gérant, Sadri Fegaier, comparaîtront à la barre.
Ce dernier devra aussi répondre d’obstacle à fonctions : il lui est reproché d’avoir dissimulé des documents lors d’une perquisition réalisée par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Des victimes désabusées
Les magistrats chercheront notamment à comprendre pourquoi des clients ayant exigé la résiliation de leur contrat ont continué à être prélevés pendant des mois sur leur compte bancaire. Ils se demanderont également pour quelles raisons des promesses de remboursement formulées par des téléopérateurs de la SFAM n’ont jamais été suivies d’effet.
Les juges s’appuieront en particulier pour cela sur un rapport de la DGCCRF, et se fonderont sur les témoignages de centaines de clients lésés qui se sont portés partie civile. Tous racontent plus ou moins la même histoire, à l’instar de Michel. En 2019, cet Auvergnat avait souscrit une assurance SFAM dans un magasin Welcom. « Au début, tout se passait normalement. Puis, petit à petit, les montants ont augmenté et les prélèvements se sont multipliés, affirme-t-il. J’en ai même eu jusqu’à quatre dans une même journée sous des intitulés différents. Quand je me suis rendu compte de l’ampleur du problème, j’ai résilié tous les contrats et demandé le remboursement des sommes ponctionnées. Sur les 25 000 € indûment perçus, je n’en ai reçu que 4 000. »
Le CSE de la SFAM Roanne et de Hubside se portera aussi partie civile
Même si Michel ne se déplacera pas jusqu’à la capitale, il attend beaucoup du procès : « Je veux que l’on me rende ce que l’on m’a volé, et que le responsable soit puni et ne puisse pas recommencer. » D’autres pourraient le rejoindre dans la procédure. Comme Dominique, qui se bat depuis plusieurs mois afin de recouvrer les 2 300 € que la SFAM a pris à sa fille. « J’hésite à aller en justice, car j’ai déjà perdu énormément de temps dans les démarches. Et vu le peu d’argent qu’il restait dans les caisses de la société au moment de sa liquidation, je sais que je ne récupérerai rien », déplore-t-il.
L’UFC-Que Choisir, elle, se constituera partie civile. L’association, qui défend depuis sept ans les victimes du courtier en assurances, compte tout faire pour qu’elles soient indemnisées et que les responsables se retrouvent lourdement condamnés.
Des salariés trahis
Moins fréquent : d’anciens employés de la SFAM siégeront aux côtés des consommateurs abusés. Le syndicat CFDT et le comité social et économique (CSE) de la SFAM Roanne (42) et de Hubside ont, eux aussi, décidé de se porter partie civile. « Les salariés ont le sentiment d’avoir été trahis, se justifie Nicolas Zeimetz, l’un de leurs représentants les plus actifs. Alors qu’ils se sont pleinement investis pour développer l’entreprise, ils n’ont plus d’emploi et se retrouvent parfois dans des situations financières délicates. Certains vivent également très mal le fait d’avoir été complices de cette escroquerie. Ils veulent apporter leur témoignage. »
« On comprend que des personnes nous détestent. Cependant, nous n’appliquions que les consignes de nos managers, explique un ancien télé-opérateur. Par exemple, lorsque quelqu’un souhaitait résilier une assurance ou obtenir un remboursement, nous étions contraints de lui répondre que sa demande était prise en compte, mais de ne transmettre l’information au service concerné qu’au bout de son troisième coup de fil… Et, même après cela, certains nous rappelaient étant donné que rien n’avait été fait. Dès que l’on évoquait ces problèmes à nos supérieurs, ils nous disaient que le client avait mal lu son contrat, ou que nous devions nous occuper de nos affaires. »
Des garde-fous inefficaces
Comment se fait-il que la SFAM ait pu agir aussi longtemps en toute impunité ? Parce que les systèmes de vérification censés éviter ce genre de dérives n’ont pas fonctionné. Bien que l’une de ses missions soit de protéger les particuliers des assureurs et des banques, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a attendu avril 2023, soit six ans après nos premières révélations, pour suspendre l’agrément de commercialisation de produits d’assurance de la SFAM !
La justice, non plus, n’a pas toujours pris les bonnes décisions. En 2019, après avoir reçu des plaintes de clients et lu Que Choisir, la DGCCRF avait mené une première enquête sur les méthodes de vente douteuses de la société. Toutefois, à l’époque, le procureur de la République de Paris avait préféré signer avec elle un accord transactionnel prévoyant le règlement d’une amende de 10 millions d’euros et le dédommagement des victimes. Mais si l’argent a bien atterri dans les poches de l’État, les consommateurs dupés, eux, ont été peu nombreux à obtenir un remboursement. De plus, cette sanction est loin d’avoir incité la SFAM à stopper ses pratiques !
Alors qu’elle connaissait la situation, la Fnac a tardé à remplacer son prestataire
Quant aux établissements bancaires, ils auraient dû mieux surveiller les mandats de prélèvement qui provenaient de l’entreprise. Les contrôleurs de gestion, chargés de valider les comptes de la SFAM chaque année, auraient également pu donner l’alerte. Il n’en a rien été. Enfin, les procédures collectives n’ont été lancées que très tardivement. Alors que la loi oblige les sociétés à se déclarer en cessation de paiements dès qu’elles ne parviennent plus à honorer leurs factures, la SFAM n’a rien fait, et personne ne s’en est ému. Il aura fallu attendre une plainte de l’Urssaf Rhône-Alpes, à la suite d’un impayé de 11,7 millions d’euros, pour qu’un tribunal de commerce prononce la liquidation judiciaire de la structure, le 24 avril dernier. Pendant ce temps, elle a continué sans scrupule à se servir sur les comptes de ses victimes.
Des partenaires aveuglés
Les entreprises travaillant avec la SFAM ont également mis beaucoup de temps à réagir. Ainsi, tandis qu’elle avait parfaitement conscience de ce qui se passait dans ses magasins, la direction de la Fnac n’a cessé de pousser ses vendeurs à faire souscrire un maximum de contrats, tergiversant pendant deux ans avant de remplacer son prestataire. MMA, l’assureur historique de la SFAM, n’a révoqué le contrat qui le liait à son courtier qu’en décembre 2022, après avoir reçu des plaintes de clients et assisté à une explosion du taux de sinistres. Enfin, la banque publique d’investissement BpiFrance, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, ne s’est retirée du capital d’Indexia qu’en octobre 2023…
Les problèmes étaient pourtant connus depuis des années. Tous ces anciens partenaires justifient ces délais par les rapports compliqués qu’ils entretenaient avec les membres des équipes de la SFAM. « Nous leur avons demandé des explications dès que nous avons constaté des anomalies, mais entre les congés et les soucis informatiques, ils trouvaient toujours une excuse pour ne pas nous fournir les éléments que nous réclamions », assure l’un d’entre eux. « Nous avons passé des mois à réunir des preuves et à discuter avec eux, mais ils ont toujours fait en sorte de ne pas nous régler ce qu’ils nous devaient », renchérit un autre à qui la SFAM devait de l’argent, précisant qu’il n’avait « jamais vu des gens aussi malhonnêtes ».
Pire encore : certains ont apporté au groupe un soutien indéfectible, à l’image du fonds d’investissement Ardian. En mars 2023, alors qu’elle était lâchée par ses assureurs et que l’idée d’un procès était actée, il certifiait qu’Indexia était une société « solide et sérieuse », qui plaçait « la qualité de service et la satisfaction client en tête de ses priorités ».
Des taux intenables
« Tout le monde dans le milieu savait que les taux de rentabilité avancés n’étaient pas tenables. Beaucoup de partenaires ont été aveuglés par l’argent et les beaux discours », décrypte un ancien concurrent de la SFAM. La personnalité de son fondateur a aussi contribué à cet égarement. « C’était quelqu’un de posé, de professionnel, et qui affichait une grande confiance en lui. Au départ, il nous a fait une très bonne impression », se souvient un ancien partenaire. « Un grand nombre de salariés le considéraient comme un modèle, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’il avait construit sa réussite sur le mensonge, le déni et le fric », confirme Nicolas Zeimetz, représentant du personnel. Sadri Fegaier risque à présent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende.
Procès, mode d’emploi
L’audience s’ouvrira le 23 septembre prochain devant le tribunal correctionnel de Paris (75), pour une durée de sept jours. Les victimes qui souhaitent se porter partie civile peuvent le faire par courrier avant cette date, mais aussi sur place auprès du greffe jusqu’au début des réquisitions du procureur de la République. Le président du tribunal, accompagné de deux assesseurs, dirigera les débats. Il posera des questions aux prévenus en se fondant sur les faits rapportés par les agents de la répression des fraudes. Il devrait aussi donner la parole aux parties civiles et aux victimes qui le souhaitent. Le jugement sera mis en délibéré ultérieurement.
15 dates clés
1999 Sadri Fegaier crée la Société française d’assurance multimédia (SFAM). Il distribue ses contrats d’assurance affinitaire (qui couvre la casse d’un smartphone, par exemple) dans ses propres magasins de téléphonie.
2017 à 2019 La SFAM vend ses assurances dans les magasins Fnac et Darty. Le succès est au rendez-vous grâce à un marketing agressif reposant sur la promesse d’un remboursement de 30 € en échange de la souscription d’un contrat « résiliable à tout moment ». Les plaintes de clients commencent à affluer.
Septembre 2017 Que Choisir dénonce ces pratiques sous le titre « Les trop belles promesses de la SFAM ».
Février 2018 La SFAM rachète 11 % du capital du groupe Fnac Darty et en devient le deuxième actionnaire.
Août 2018 L’UFC-Que Choisir porte plainte contre la SFAM et la Fnac.
2019 La SFAM écope d’une amende de 10 millions d’euros et doit rembourser les victimes ; ce qu’elle ne fera qu’en partie.
2019 Le premier magasin Hubside Store ouvre à Salaise-sur-Sanne (38).
2020 La SFAM crée de nouveaux services (Cyrana, Foriou, Serena, etc.) et augmente ses tarifs.
Janvier 2021 La SFAM change de nom et devient Indexia Group.
Avril 2021 Les prélèvements abusifs se multiplient. « SFAM : la machine s’emballe » titre, cette fois, Que Choisir.
Avril 2023 L’ACPR, le gendarme du secteur, suspend l’autorisation de la SFAM de commercialiser des produits d’assurance.
Décembre 2023 Indexia opère de nouvelles ponctions sur les comptes d’anciens clients.
Mars 2024 La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) condamne Foriou, une des filiales d’Indexia, à 310 000 € d’amende pour démarchage illégal.
Avril 2024 La SFAM est placée en liquidation judiciaire.
Septembre 2024 Le procès contre la SFAM et Sadri Fegaier s’ouvre.