ENQUÊTE

Refus de soins1 dentiste sur 10 est hors la loi

Refuser un rendez-vous à un patient au motif qu’il est démuni est illégal. Cela arrive pourtant, chez les dentistes notamment. Cette discrimination est le fait d’une minorité mais entache la profession.

« Je suis étonnée que vous demandiez pour la CMU. On doit prendre tout le monde. » Cette réaction de surprise d’une secrétaire d’un cabinet dentaire de la Drôme a été recueillie récemment par un bénévole de l’UFC-Que Choisir enquêtant sur les refus de soins. Elle résume ce qui devrait toujours être pratiqué – donner des rendez-vous sans distinguo. Mais, dans les faits, un dentiste sur dix refuse d’accueillir un bénéficiaire de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), alors qu’il accorde dans le même temps un créneau à un autre patient. C’est injuste et injustifiable. Certes, un professionnel de santé est libre de refuser des soins. Mais cela n’est licite que sous certaines conditions, par exemple s’il se trouve incompétent face au problème du patient ou qu’il y a mésentente avec lui. Autrement, quand un refus est motivé par l’origine de la personne, son handicap, son âge, son état de santé ou sa situation financière (comme pour les bénéficiaires de la CMU-C), il s’agit de discrimination. Ce qui est interdit par le code de la santé publique (article L. 1110-3) et réprouvé par les codes de déontologie médicale. Le DChristian Winkelmann, président de la Commission d’évaluation des pratiques de refus de soins du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, juge de tels faits « déshonorants », en soulignant que dans toute profession, « il y a des mauvais, à la marge ». Et que certains professionnels font même des efforts particuliers pour les patients à la CMU-C.

Des victimes qui s’ignorent

Les refus discriminatoires s’affichent parfois de façon très explicite : « On me donne un rendez-vous, mais quand je précise que je suis à la CMU, on m’indique qu’en fait, non, il n’y a plus de disponibilités ! », rapporte un de nos enquêteurs. Plus fréquemment, les rejets prennent « des formes insidieuses », analyse Vanessa Pideri, chargée de mission chez le Défenseur des droits. On prétexte, par exemple, ne plus avoir de place. En ce cas, il n’apparaît pas clairement aux victimes de discrimination qu’elles le sont. D’ailleurs, peu de personnes utilisent les voies de recours – qui sont au nombre de trois, ce qui ne facilite guère la tâche. Un patient refoulé peut en effet saisir la Caisse primaire d’assurance maladie, le conseil départemental de l’Ordre concerné ou le Défenseur des droits.

Le problème est systémique

Les résultats de notre enquête rejoignent les études effectuées par le passé ou par ailleurs. Ainsi, fin 2019, un testing réalisé auprès de 1 500 cabinets médicaux, coordonné par le Défenseur des droits, établissait que 11 % des gynécologues et 15 % des psychiatres pratiquaient des refus de soins à l’encontre de patients économiquement précaires... Nous avons également établi de fortes disparités selon les régions : 3 % seulement de refus en Bretagne et Pays de la Loire et 4 % en Nouvelle-Aquitaine, contre 11 % en Auvergne-Rhône-Alpes et même 24 % en Île-de-France ! Leurs raisons sont sans doute multiples – méconnaissance des dispositifs, représentations négatives, crainte de problèmes administratifs... Et la dimension financière ne peut pas être ignorée : les professionnels n’ayant pas la possibilité de demander des dépassements d’honoraires aux bénéficiaires de la CMU-C, certains assimilent cette contrainte à une perte de revenus, et rejettent ceux-là mêmes qui auraient souvent le plus besoin de soins.

Enquête Que Choisir

Notre protocole

Pour évaluer la réalité des refus, les associations locales de l’UFC-Que Choisir ont enquêté anonymement auprès de 1 095 chirurgiens-dentistes. Les patients mystères les ont appelés deux fois pour prendre rendez-vous : d’abord en se présentant comme un bénéficiaire de la CMU-C, puis tel un patient lambda. Ce protocole a permis de vérifier si un refus éventuel était licite (dans ce cas, personne n’obtient de rendez-vous) ou discriminatoire.

Les formes de la discrimination

Le refus direct

« On ne prend pas les CMU. » Dans 20 % des cas de refus, les praticiens avouent sans état d’âme ne pas prendre les bénéficiaires de cette aide.

La facilité

« On ne prend plus de nouveaux patients. » C’est la raison la plus couramment donnée. Elle est peut être vraie, mais pas quand elle ne concerne que les personnes démunies.

Les bâtons dans les roues

« Il faut venir au cabinet/aller sur Internet pour prendre rendez-vous. » Compliquer la venue des bénéficiaires de la CMU-C est une façon de les décourager.

L’ajournement

« Tous les créneaux sont complets, réessayez plus tard. » Là encore, l’excuse est fréquente et plausible, mais pas lorsqu'elle n’est servie qu’aux seuls patients CMU-C.

Le délai excessif

Accorder un rendez-vous beaucoup plus tard que ce qui se fait d’habitude est aussi une façon de refuser les soins. Ce type de prétexte semble toutefois assez rare.

Au revoir, CMU-C et ACS...

Et bonjour, CSS ! Depuis le 1er novembre 2019, la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et l’Aide à la complémentaire santé (ACS) ont fusionné dans la Complémentaire santé solidaire (CSS). Elle offre les mêmes droits à toute personne en difficulté financière : prise en charge à 100 % des soins coûteux (tel le dentaire ou l’optique), avance des frais (tiers payant), interdiction des dépassements d’honoraires. Le Défenseur des droits se dit attentif à ce que cette nouvelle aide, moins connue des praticiens, ne suscite pas d’autres refus de soins.

Trouver un praticien

Une galère pour tous les usagers

Obtenir un rendez-vous médical n’est pas facile, et pas seulement si l’on a des difficultés financières. Publiée fin 2019, l’enquête de l’UFC-Que Choisir avait déjà montré que 44 % des généralistes ne prenaient plus de nouveaux patients comme médecin traitant. Ce deuxième volet, auprès des dentistes, a mis en lumière le même type de difficultés : 17 % des praticiens ont indiqué ne pas accepter d’autres patients, CMU-C ou non. Ces taux de refus étaient supérieurs à 30 % en Bourgogne-Franche-Comté et en Nouvelle-Aquitaine... Avec une réponse positive, le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous (pour une pose de couronne) s’élevait à 33 jours. Mais, dans près d’un quart des cas, il atteignait plus de deux mois... Attente maximale constatée : 229 jours.

Perrine Vennetier

Perrine Vennetier

Isabelle Bourcier

Isabelle Bourcier

Observatoire de la consommation

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