Fabienne Maleysson
Réchauffement climatiquePourquoi l’objectif est-il fixé à 1,5 °C ?
Limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C est un objectif fréquemment évoqué. Comment ce seuil a-t-il été retenu, et qu’est-ce que ça implique ? On fait le point.
Quel est le point de repère ?
C’est la température globale de la Terre à l’ère préindustrielle. Plus précisément, entre 1850 et 1900. Certes, la révolution industrielle a commencé bien avant ce demi-siècle mais entre 1750 et 1850, plusieurs éruptions volcaniques ont eu lieu, ce qui nuit à la représentativité de cette période. De plus, les connaissances sur le climat continental et océanique sont meilleures sur la période 1850-1900, pendant laquelle l’effet des activités humaines demeure d’ailleurs très faible.
Comment connaît-on le climat du passé ?
Les fluctuations du climat s’impriment de multiples manières dans de nombreux compartiments de l’environnement. « En analysant l’air piégé dans les bulles de glace de carottages en Antarctique, on peut reconstituer la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre à l’échelle planétaire sur 800 000 ans, explique Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, ex-coprésidente du groupe de travail du Giec (1) sur les aspects physiques du changement climatique. On voit bien la rupture due aux activités humaines, responsables de la hausse de la concentration en CO2, qui est 50 % plus élevée aujourd’hui que pour les périodes préindustrielles. Mais nous trouvons aussi des informations sur les températures, le niveau de la mer, les épisodes de sécheresse, d’inondations et bien d’autres données en analysant les sédiments marins, ceux des lacs, les concrétions des grottes, les anneaux de croissance des arbres ou encore les coraux. À cela s’ajoutent certaines connaissances historiques comme les dates des vendanges dont nous disposons en Europe sur 800 ans et qui sont un excellent indicateur de l’évolution des températures printanières et estivales. »
Quel réchauffement global ces observations montrent-elles ?
Entre la période préindustrielle et la dernière décennie, la température globale a augmenté de 1,15 °C. Si à première vue, cela peut sembler peu, c’est en réalité du jamais vu. « Certes, le climat a connu d’importantes variations naturelles au cours de l’histoire de la Terre, retrace Valérie Masson-Delmotte. Mais si l’on parle, par exemple, des passages des ères glaciaires aux ères interglaciaires, donc entre des climats très différents, il n’y avait qu’environ 5 °C de différence sur 10 000 ans, avec une vitesse maximale de 1 °C par millénaire. Il n’y a jamais eu de variations aussi fortes en si peu de temps. Si le réchauffement planétaire dépasse 1,5 °C, ce qui se produira probablement au cours de la prochaine décennie si les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne diminuent pas fortement, on arrivera à des températures globales en moyenne annuelle que l’espèce humaine n’a jamais connues. »
Quelles sont les conséquences déjà constatées avec 1,15 °C de réchauffement depuis l’ère préindustrielle ?
Cette hausse reflète une accumulation de chaleur considérable à l’échelle de la planète, capable par exemple de faire fondre des milliards de tonnes de glace (l’équivalent de plus de 11 000 km3 au Groenland et en Antarctique depuis les années 1970). Elle a aussi entraîné partout dans le monde des phénomènes chroniques ‒ hausse du niveau des mers, recul des glaciers, baisse de l’enneigement ‒ et des événements extrêmes plus fréquents et plus intenses : canicules, sécheresses, mégafeux, pluies diluviennes, submersions marines, etc.
Si on parle spécifiquement de la France, chacun a pu constater les effets délétères de cette augmentation. Les records de chaleur tombent les uns après les autres, qu’ils soient annuels (2022 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, suivie par 2023 et 2020) ou ponctuels : 39,3 °C à Brest en juillet 2022 ; 42,5 °C à Toulouse fin août 2023 ; 46 °C dans l’Hérault en juin 2019. Mais l’été n’est pas la seule période concernée : en octobre dernier, presque tout le territoire a connu des températures excédant 30 °C. Et les normales de saison ont été dépassées tous les mois sauf un depuis deux ans.
« 2022 a été une année emblématique : les températures ont été très élevées de mai à fin octobre avec une sécheresse marquée. Car non seulement il y a eu un déficit de pluie mais la chaleur a entraîné une évaporation importante, contribuant à assécher davantage les sols et les rivières », précise Aurélien Ribes, chercheur en climatologie au Centre national de recherches météorologiques. L’une des conséquences les plus spectaculaires ? La multiplication des incendies, notamment en Bretagne et surtout en Gironde avec le fameux mégafeu qui a détruit plus de 30 000 hectares. « Avec le réchauffement climatique, on s’attend, en France métropolitaine, à moins de précipitations en été et davantage en hiver », ajoute Aurélien Ribes. Les inondations qui ont touché le Pas-de-Calais ces derniers mois font aussi partie des événements qui ont tendance à devenir plus fréquents et plus intenses. Idem pour les épisodes méditerranéens, ces précipitations d’une ampleur extraordinaire (jusqu’à 50 cm en une demi-journée !), qui ont quasiment triplé entre 1961 et 2015.
Les conséquences de ces bouleversements sont innombrables, touchant notamment l’agriculture à de multiples égards, menaçant l’industrie dépendant de l’eau et la production hydroélectrique (deuxième source d’électricité après le nucléaire), qui a baissé de 20 % en 2022 par rapport aux 5 années précédentes.
Quant aux particuliers, ils sont aussi directement concernés : selon le Commissariat général au développement durable, 6 Français sur 10 sont d’ores et déjà exposés aux risques climatiques, essentiellement aux inondations et aux glissements de terrain. Et plus de la moitié des maisons individuelles sont « potentiellement très exposées » aux risques de fissurations du bâti dus aux sécheresses, qui amplifient les mouvements de sols, d’après le Service des données et études statistiques du gouvernement. Mais surtout, Santé publique France a chiffré à plus de 33 000 le nombre de décès liés à la chaleur depuis 2014.
Pourquoi l’objectif a-t-il été fixé à 1,5 °C ?
C’est l’accord de Paris, en 2016, qui insiste sur l’urgence de « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C ». En clair, réchauffer le moins possible sans fixer d’objectif inatteignable.
À 2 °C, des conséquences irréversibles sont prévisibles, en particulier l’extinction des récifs coraliens. Non seulement ils jouent un rôle de protection côtière mais ils abritent des poissons dont dépend un demi-milliard d’humains. D’une manière générale, les effets néfastes seraient bien plus importants avec ce demi-degré d’écart. Par exemple, il est prévu une diminution de 1,5 million de tonnes de prises pour les pêcheurs en mer à 1,5 °C et une diminution supérieure à 3 millions de tonnes à 2 °C. Les mers pourraient monter de 10 cm supplémentaires en moyenne d’ici à 2100, ce qui exposerait 10 millions de personnes de plus aux risques associés (inondations, dommages sur les infrastructures).
Sur quelle trajectoire se dirige-t-on dans les prochaines décennies ?
Les chercheurs en climatologie élaborent depuis longtemps des projections sur le réchauffement. La concordance entre ces dernières et ce qui s’est réellement passé incite à leur accorder du crédit (voir graphique ci-dessous). D’après leurs projections, nous devrions atteindre 1,5 °C de réchauffement aux alentours de 2030. Pour la fin du siècle, le dernier rapport du Giec évoque 3 scénarios :
- selon le plus optimiste (« émissions de gaz à effet de serre très basses »), ce niveau ne serait pas dépassé ;
- selon le scénario intermédiaire, le réchauffement serait de 2,7 °C ;
- et avec des émissions « très élevées », il atteindrait les 4,4 °C.
Tout dépendra donc des initiatives mises en place pour les contenir, en particulier des politiques publiques, sans oublier le rôle joué par les entreprises et chacun d’entre nous. Tous les leviers doivent être actionnés, que ce soit par la voie de l’atténuation ‒ on réduit les émissions de gaz à effet de serre ‒ ou par celle de l’adaptation ‒ on trouve des solutions pour affronter les bouleversements qui affectent notre quotidien.
Les climatologues avaient vu juste
Que signifierait un réchauffement d’environ 3 °C ?
Ce scénario est réaliste au vu des engagements pris par les États. Quelles conséquences devons-nous en attendre ? « Les continents se réchauffent davantage que les océans, et les régions autour du bassin méditerranéen, dont le sud de la France, encore un peu plus. Un réchauffement global de 3 °C, cela signifie 4 °C sur la France, avertit Christophe Cassou, climatologue, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique. Concrètement, si on suit cette tendance, un été comme celui de 2022 qui nous apparaît aujourd’hui extrêmement chaud, sera la norme en 2050 et frais en 2070. » Par ailleurs, les autres conséquences néfastes comme les sécheresses, les mégafeux, les pluies diluviennes, la montée du niveau des mers empireront. Le Giec a chiffré certains des bouleversements à prévoir selon le niveau de réchauffement. Chaque palier supplémentaire aggrave considérablement la situation.
« Ce que l’on ne sait pas bien prévoir, ce sont les points de bascule possibles comme l’effondrement des calottes polaires, des changements abrupts de la circulation océanique [courants dont fait partie le Gulf Stream, ndlr] ou encore le dépérissement de la forêt amazonienne, complète Christophe Cassou. Ce sont des événements à haut risque et de probabilité inconnue. Comme on ne sait pas à partir de quel degré de réchauffement ils pourraient se produire, cela nous conforte dans l’idée qu’il faut à tout prix minimiser celui-ci. » En 2008, l’Agence de la transition écologique lançait une campagne en faveur des économies d’énergie assortie du slogan « Faisons vite, ça chauffe !». Quinze ans après, l’incitation est plus que jamais d’actualité.
À quelle fréquence se produit une chaleur extrême ?
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(1) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.