ENQUÊTE

Huissiers de justiceDifficile de frapper à la bonne porte

Quand des professionnels du droit font tout de travers, ou comment une majorité d'huissiers de justice bafoue ouvertement la loi en matière d'honoraires et de tarifs réglementés.

Le choix de l'enquêteur

Nous avons cherché à vérifier si les huissiers de justice respectaient bien la législation en matière de tarifs réglementés.

Le protocole

Du 4 au 12 février, nous avons contacté par téléphone 400 études d'huissiers réparties dans 163 localités. Tous les départements ont été couverts.

Nous nous sommes placés dans le cas d'un acte réglementé : l'état des lieux, tel qu'il est prévu par la loi de 1989 sur les baux d'habitation, et dont le montant est fixé à 152,10 euros. Nos enquêteurs ont posé une question simple : « Mon locataire est parti hier et nous ne sommes pas d'accord sur le constat de sortie des lieux. Combien prenez-vous, tout compris, pour établir un état des lieux en vertu de la loi de 1989 ? »

Au printemps 2000, une rapide enquête, réalisée auprès d'une quinzaine d'huissiers parisiens, nous avait montré que ces auxiliaires de justice, professionnels du droit et par ailleurs officiers ministériels, ne respectaient pas les tarifs fixés par la loi concernant les honoraires de certains actes réglementés. Et pas qu'un peu : ils facturaient un simple état des lieux deux fois plus cher en moyenne que ce que prévoient les textes (lire encadré "Une profession réglementée"). L'abondant courrier que nous recevons sur ce sujet nous a conduits à renouveler cette enquête, étendue cette fois à toute la France. Quatre cents études réparties dans tous les départements de l'Hexagone ont ainsi été questionnées. Le résultat est sans appel : depuis 2000, en effet, les choses ne se sont guère améliorées pour le consommateur. Ainsi, 84 % des 400 professionnels interrogés ne respectent pas le tarif fixé par la loi pour un état des lieux d'entrée et de sortie du locataire (voir notre protocole ci-dessus). Et les surcoûts facturés par les huissiers sont loin d'être négligeables : dans la moitié des cas, en effet, ces professionnels du droit appliquent une majoration comprise entre 47 et 106 %, soit une facture de 1,5 à plus de 2 fois le montant légal des honoraires.

Tarifs fantaisistes

Certains n'hésitent pas à faire chauffer la calculette. Les dépassements relevés lors de notre enquête atteignent jusqu'à trois fois le tarif légal. Au lieu des 152,10 euros prévus par la loi, un particulier qui souhaite faire établir un état des lieux devra dans ce cas débourser 450 euros !

Invités à justifier ces montants exorbitants, les huissiers ne se démontent pas. L'un d'eux, qui annonce un prix de 287 euros, affirme tout bonnement qu'il s'agit du tarif réglementé et que, de toute façon, s'agissant d'un état des lieux de sortie, il est possible de récupérer la moitié de cette somme sur la caution du locataire. Quitte à se servir, autant n'oublier personne ! Un autre, qui demande 220 euros, affirme sans sourciller que les tarifs sont libres. Un troisième précise bien que les tarifs sont réglementés et facture 228 euros, soit près de 80 euros au-dessus du montant légal. Un autre demande 200 euros pour chacune des parties, et précise que les 400 euros seront à la charge du propriétaire si le locataire refuse.

Déjà en 2000, les huissiers ne manquaient ni d'aplomb ni d'imagination pour justifier leurs tarifications illégales. L'un deux avait affirmé à notre enquêteur d'alors que le prix d'un état des lieux variait en fonction du montant annuel du loyer. Ce qui est faux, le tarif est forfaitaire. Un autre expliquait que le tarif réglementé ne s'appliquait qu'aux états des lieux de sortie et non à ceux d'entrée... Toujours capables de fantaisie, les huissiers invoquent les raisons les plus farfelues pour justifier leurs dérapages.

Une épidémie nationale

N'espérez pas bénéficier d'un meilleur prix en province plutôt qu'en Ile-de-France ou dans une petite ville. Réalisée dans 163 communes, notre enquête démontre qu'il n'y a aucun rapport entre le tarif pratiqué et la taille de l'agglomération ou la localisation géographique de l'étude. Certes, le tarif maximal (450 euros) est pratiqué par une étude parisienne. Mais à côté de cet extrême, tout est possible. Au sein d'une même localité, grande, moyenne ou petite, les prix peuvent être très variés. Ainsi, à Alençon, les prix des études contactées allaient de 165 à 304 euros, soit 84 % d'écart. À Bordeaux, la fourchette des tarifs relevés par nos enquêteurs va de 150 à 300 euros. Du simple au double ! À Limoges, comptez de 152 à 284 euros, soit 87 % de différence. À Marseille, les prix vont de 180 à 300 euros, soit 67 % d'écart. En bonne logique, c'est à Paris que nous avons relevé la fourchette la plus large : de 180 à 450 euros, soit 150 % de variation.

Position ambiguë des chambres départementales

Confronté à ces pratiques, ne comptez pas sur les chambres départementales des huissiers pour vous aider à y voir plus clair et obliger leurs membres à pratiquer des prix conformes à la loi. Aucune de celles que nous avons contactées, afin de leur demander s'il était normal d'avoir des tarifs différents pour un acte réglementé, n'a voulu nous renseigner. Dans la quasi-totalité des cas, il suffit de prononcer les mots « tarif non respecté » pour s'attirer une réponse invariable : « Faites un courrier. » Dans un seul cas, il a été possible d'engager un semblant de conversation. Visiblement gêné par notre question, notre interlocuteur a fini par nous demander, après beaucoup d'hésitation : « Avez-vous posé la question à votre huissier ? » Oui, avons-nous répondu. « Et que vous a-t-il précisé ? » Que le tarif réglementé n'était pas applicable. « Ah ben, vous voyez, le tarif réglementé n'est pas applicable. » Retour à la case départ...

La loi ? Connais pas !

Afin de justifier l'application d'honoraires libres, bien supérieurs au tarif réglementé, les huissiers s'appuient sur une interprétation très restrictive des termes de la loi. L'UFC-Que Choisir, accompagnée de plusieurs consommateurs, a donc saisi les tribunaux afin de faire trancher ce point. Or, par trois arrêts (21 février 2006, 30 mai 2006 et 30 janvier 2007), la Cour de cassation a exclu l'interprétation défendue par les huissiers, que ce soit pour les constats d'état des lieux d'entrée ou de sortie. En particulier, selon la Cour suprême, ces derniers ne peuvent se prévaloir du fait que les deux parties, bailleur et locataire, n'ont pas été préalablement convoquées à l'état des lieux, pour en déduire la non-application du tarif réglementé. En outre, les chambres départementales des huissiers ayant plus ou moins clairement soutenu la position des huissiers attaqués, alors qu'elles « ont pour attribution d'examiner toutes réclamations de la part des tiers contre des huissiers à l'occasion de l'exercice de leur profession, et notamment en ce qui concerne la taxe des frais, et de réprimer, par voie disciplinaire, les infractions », ont été condamnées dans deux des trois affaires à verser des dommages et intérêts au consommateur. La jurisprudence actuelle est donc bien fixée et ne laisse place à aucun doute : les 84 % des huissiers n'ayant pas appliqué le tarif réglementé dans notre enquête violent la loi. Un comble !

L'UFC-Que Choisir saisit la garde des Sceaux

Devant le constat accablant que dresse cette enquête, l'UFC-Que Choisir a décidé de saisir la garde des Sceaux, Rachida Dati, de ces manquements graves à la profession d'huissiers de justice. Des courriers ont également été adressés au président de la Chambre nationale des huissiers de justice ainsi qu'à l'ensemble des chambres départementales. Par trois arrêts à l'initiative de l'UFC-Que Choisir (en date des 21 février 2006, 30 mai 2006 et 30 janvier 2007), la Cour de cassation a rejeté de manière très claire l'interprétation défendue par les huissiers pour refuser, de manière délibérée, de se conformer au droit et d'appliquer les tarifs réglementés. Il est donc urgent de rappeler fermement les termes de la loi et d'attirer l'attention des procureurs de la République sur cette problématique afin qu'ils poursuivent, disciplinairement et/ou pénalement les huissiers concernés. L'impunité n'a que trop duré.

Tout savoir sur...

Une profession réglementée

Officier public ministériel, l'huissier de justice entre dans la catégorie des auxiliaires de justice, comme l'avoué ou le notaire. Ses missions sont variées : il a le monopole de la délivrance des actes de procédure judiciaire, de l'assignation en justice à l'exécution des décisions rendues. Il exerce une partie de son activité sur un marché concurrentiel, qui regroupe les actes pour lesquels ses clients (particuliers et entreprises) font librement appel à ses services. Le recouvrement de créances, la rédaction des baux, l'administration d'immeuble, les ventes aux enchères publiques, les consultations juridiques et les actes sous seing privé entrent dans le cadre de cette activité. La France compte un peu plus de 2 000 études, soit plus de 3 000 huissiers qui effectuent environ dix millions d'actes par an et cinq millions de consultations juridiques. L'huissier exerce une profession libérale réglementée. En conséquence, pour un grand nombre d'actes, le montant de sa rémunération est fixé par décret. Toutefois, dans certaines situations, ses honoraires sont libres. Ainsi, l'huissier peut fixer librement son prix « lorsqu'il est confronté à une situation d'urgence ou à des difficultés particulières ». De même, les tarifs des constats autres que locatifs, des consultations juridiques et des actes sous seing privé sont libres, tout comme les honoraires qu'il peut demander dans le cadre d'une mission d'assistance ou de représentation devant les juridictions. Les honoraires exigibles pour un constat locatif sont, quant à eux, très clairement soumis à un tarif réglementé, comme l'indique le décret 96-1080 du 12 décembre 1996. Ce texte précise notamment que l'état des lieux établi par huissier en application de la loi du 6 juillet 1989 est soumis à un tarif forfaitaire, quels que soient la taille du logement et le temps nécessaire à sa rédaction, et doit être rémunéré à hauteur de 51,5 fois le « taux de base ». Ce taux égal à 2,20 euros sert de base de calcul à la plupart des tarifs réglementés que doivent normalement appliquer les huissiers. Ainsi, le tarif d'un état des lieux loi de 1989 se décompose de la façon suivante : une rémunération forfaitaire hors taxe de l'huissier de 113,30 euros (51,5 fois le taux de base de 2,20 euros), une indemnité pour frais de déplacement de 6,22 euros, la TVA de 19,6 % sur cette rémunération, une taxe fiscale forfaitaire de 9,15 euros. Soit au total un coût réglementé de 152,10 euros TTC. Pour nos calculs, nous avons ajouté une marge confortable de tolérance d'une vingtaine d'euros en couverture des frais postaux. En cas de non-respect de cette règle, l'huissier de justice doit restituer l'excédent perçu...

Alexandre Fleury

Alexandre Fleury

Carole Matricon-Delbé

Carole Matricon-Delbé

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