Élisabeth Chesnais
Factures d'eauNotre étude fait des vagues
Retour sur le prix de l'eau et les nombreuses réactions que notre dossier a suscitées, entre hostilité et initiatives prometteuses.
Une nouvelle fois, notre dossier sur le prix de l'eau a suscité de nombreuses réactions. Certaines très négatives, et c'est sans surprise. Elles nous viennent des distributeurs d'eau, ce qui est normal, mais également d'élus qui jugent leur prix de l'eau tout à fait adapté, alors que notre étude le taxe de prohibitif et non fondé. Et puis aussi de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies).
Alors que nous reproche-t-on ? Pour faire bref, d'être incompétents. Procès un peu léger, puisque nous avons invité toutes les parties à présenter leurs propres coûts, poste par poste, en vis-à-vis des nôtres et en les justifiant. Mais plutôt que se livrer à cet exercice de transparence et d'information du public, la FP2E, le syndicat professionnel des distributeurs d'eau, essentiellement Veolia et la Lyonnaise, nous a opposé une fin de non-recevoir, avec un argument des plus savoureux : « Votre démarche ne tient pas compte des progrès réalisés dans l'information des collectivités figurant dans les rapports annuels des entreprises délégataires, qui sont pourtant librement consultables (...).» Mais si, justement, ces données ont été utilisées par nos experts ! Et leur gros défaut, c'est d'être incomplètes et fort peu détaillées. Résultat des courses, les distributeurs tentent de discréditer notre étude, mais se gardent bien de fournir leurs propres chiffres. L'opacité qui entoure le prix de l'eau leur sied manifestement à merveille.
De son côté, la FNCCR a expertisé notre étude avec soin. La démarche mérite d'être saluée, même si le propos se révèle très critique. Notre enquête souffrirait ainsi « d'erreurs méthodologiques » et nos conclusions seraient « souvent basées sur une analyse trop sommaire du fonctionnement des services concernés ». La FNCCR nous reproche, par exemple, de ne pas prendre en compte « les coûts liés à la sécurité et à la protection des ressources ». Ahurissant. La Cour des comptes elle-même a dénoncé les nombreux cas de surcapacités de production et de traitement de l'eau, totalement surévaluées par rapport aux besoins. Enfin, le surdimensionnement systématique des installations, avec le surcoût qu'il engendre, est injustifiable dans un contexte de baisse des consommations d'eau (Paris, Syndicat des eaux d'Île-de-France, Clermont-Ferrand, Nancy, Grenoble) ou, au pire, de stagnation (Nantes, Lyon).
Les distributeurs s'arc-boutent
Autre reproche, nos coûts seraient minorés sur de nombreux postes. L'UFC-Que Choisir accepte d'en discuter, mais la FNCCR n'avance guère de chiffres ni de ratios précis, ou propose des fourchettes telles (presque du simple au double pour le renouvellement d'un mètre de canalisation en milieu très urbanisé, par exemple) que c'est objectivement injustifiable. Plus généralement, la FNCCR juge nos références de coûts obsolètes. Il est vrai que nous ne les avons pas actualisées, mais elles remontent à 2005 et 2004 pour un prix de l'eau 2006, et pas à Mathusalem.
Alors qu'on l'attendait plutôt du Sedif (Syndicat des eaux d'Île-de-France), qui nous l'avait annoncée après la première étude, c'est de la Société des eaux de Marseille qu'est arrivée une procédure pour diffamation, le 29 janvier dernier. Une situation pour le moins paradoxale puisque cette Société des eaux de Marseille est l'exemple type de l'entreprise qui ne se prête guère au jeu de la concurrence et devrait, en toute logique, être démantelée depuis plusieurs années (voir encadré ci-contre). Elle appartient en effet à la fois à Veolia et à La Lyonnaise des eaux, à parts égales. Difficile de croire à des prix tirés au plus juste quand les deux leaders du secteur s'associent au lieu de se faire concurrence !
De son côté, le Sedif a d'abord parlé de calomnie puis proposé une rencontre début février. Cette fois, le syndicat des eaux d'Île-de-France s'est livré à un véritable exercice de transparence, auquel il ne nous avait pas habitués, en nous communiquant ses comptes détaillés. Un effort que nous tenons à saluer. Néanmoins, même avant expertise minutieuse, certains postes de dépense nous apparaissent très excessifs par rapport à nos références de coûts.
Des élus relèvent la tête
D'autres élus ont aussitôt réagi de manière constructive. Il s'agit, sans trop de surprise, des représentants des villes où le prix de l'eau facturé paraît juste, comme Clermont-Ferrand ou Grenoble, mais également de maires ayant entrepris de renégocier des contrats qu'ils jugent trop favorables aux délégataires privés et nettement moins aux usagers. C'est la preuve que le prix et la gestion de l'eau ne sont plus des sujets tabous pour les élus des collectivités locales ou tout au moins une partie d'entre eux, Que Choisir s'en félicite. Paris a entamé une renégociation par étapes depuis 2003 et notamment obtenu 153 millions d'euros d'investissements supplémentaires, sans hausse de prix, ainsi que la suppression du fameux GIE facturation, le service commercial commun à la Lyonnaise des eaux et à Veolia qui générait 40 % de profits. Le maire, Bertrand Delanoé, a en outre annoncé un retour à la gestion publique en 2009, lorsque le contrat qui lie la capitale à Veolia et à la Lyonnaise depuis 1985 arrivera à expiration. Eau de Paris nous a d'ailleurs communiqué ses chiffres en toute transparence. À Bordeaux, le président de la Communauté urbaine, Alain Rousset, a obtenu 233 millions d'engagements supplémentaires de la part de la Lyonnaise des eaux fin 2006, à la satisfaction de l'association Transcub, qui a longtemps dénoncé les profits excessifs du délégataire. Fin 2007, la Communauté urbaine de Lyon a arraché une baisse de 16 % du prix du mètre cube, soit une économie de 28 centimes/m3, à Veolia, après dix-huit mois d'âpres discussions et le rapport d'une commission de médiation, un vrai succès pour le maire, Gérard Collomb, puisque le Grand Lyon est corseté par un contrat signé pour... trente ans en 1986 ! À Toulouse, enfin, le conseil municipal du 21 décembre dernier a pris la décision de renégocier les tarifs de l'eau, un virage peut-être électoral mais bienvenu. Autant de signes positifs pour les usagers, qu'il convient maintenant d'amplifier et de généraliser.
Filiales communes
Le montage anticoncurrence
À en croire les distributeurs d'eau, l'UFC-Que Choisir voit le mal là où il n'est pas. Le prix de l'eau opaque ? La concurrence qui ne joue pas ? Circulez, il n'y a rien à voir. Un peu rapide comme réaction alors que deux entreprises, Veolia et la Lyonnaise des eaux, détiennent 85 % du marché de l'eau et de l'assainissement, ainsi que la quasi-totalité des contrats passés dans les villes de plus de 100 000 habitants. Au lieu de répondre à des appels d'offres en serrant les prix au plus juste, les multinationales de l'eau ont souvent préféré se partager le marché en toute amitié. Pour la distribution à Paris, par exemple : rive gauche pour la Lyonnaise, rive droite pour Veolia. Et il y a pire. Dans plusieurs villes et non des moindres, la gestion de l'eau est assurée par une société qui est tout à la fois filiale de Veolia et de la Lyonnaise. À Marseille, comme à Lille ou à Saint-Étienne, c'est un partenariat 50/50. Ce n'est même plus une étrange conception de la concurrence, c'est sa négation absolue. À tel point qu'en 2002, le Conseil de la concurrence avait dénoncé l'abus de position dominante de Veolia et de la Lyonnaise et demandé au ministre de l'Économie « le réexamen, pouvant aller jusqu'au démantèlement, des filiales communes créées conjointement ». Curieusement, les ministres de l'Économie qui se sont depuis succédé à ce poste ne sont jamais intervenus pour mettre fin à ces pratiques anticoncurrentielles. L'UFC-Que Choisir a donc écrit en décembre dernier à l'actuelle ministre de l'Économie, Christine Lagarde, pour lui demander de se saisir du dossier. Sans obtenir de réponse et encore moins d'engagement à ce jour. La concurrence sur le marché de l'eau ne semble pas une priorité gouvernementale.
François Carlier