ENQUÊTE

ÉpargneLa loi Sapin 2 souffle le chaud et le froid

La loi Sapin 2 modifie la donne en matière d’assurance vie et de placements sur Internet. Explications.

Impossibilité temporaire de retirer de l’argent de son assurance vie ! Voilà la mesure de la loi présentée par Michel Sapin, ministre de l’Économie et des Finances, qui a fait le plus couler d’encre. Cette loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, a été votée le 9 novembre 2016. L’article sur l’assurance vie n’a au final pas été censuré par le Conseil constitutionnel, contrairement au dispositif sur l’assurance emprunteur, pourtant très attendu par les associations de défense des consommateurs. Faut-il s’inquiéter de cette disposition et que penser de l’encadrement des placements à risques sur Internet et des mesures concernant les associations d’épargnants ? Éléments de réponse.

Assurance vie

Menaces sur les retraits…

L’article 49 de la loi Sapin 2 autorise l’État (via le Haut conseil à la stabilité financière, HCSF) à suspendre, retarder ou limiter les retraits d’argent ou arbitrages sur l’assurance vie en cas de « menace grave et caractérisée » pour le système financier. De quoi susciter une vive inquiétude chez de nombreux épargnants, qui redoutent de ne plus pouvoir retirer leurs économies. « On a fait très peur aux assurés avec cette mesure », déclare Jean-François Filliatre, éditorialiste et membre fondateur du collectif “Dans l’intérêt des épargnants”. En réalité, ses conséquences devraient être assez limitées. » Il faut en effet relativiser le danger du nouveau dispositif. Pour commencer, il est strictement encadré dans le temps : les retraits ne pourront pas être bloqués plus de trois mois, période renouvelable une seule fois. En outre, l’article 49 ne représente pas vraiment une innovation. Il assouplit un dispositif existant. La loi prévoyait déjà la possibilité pour l’Autorité de contrôle prudentielle et de résiliation (ACPR) de restreindre les retraits des assurances vie, ce qui n’a jamais été fait. Avant, cette limitation était individuelle et devait cibler une compagnie en particulier. Désormais, il est possible de geler les retraits pour tout un secteur.

Enfin, beaucoup d’assureurs et d’experts estiment que le risque de menace grave pesant sur l’assurance vie est très faible aujourd’hui. Ainsi, selon un conseiller en gestion de patrimoine, les réserves des assureurs seraient encore suffisantes. En outre, une décollecte brutale de l’assurance vie est peu probable car, au regard des autres produits financiers, cette épargne conserve encore beaucoup d’avantages.

… et modulation des rendements

La loi autorise le HCSF à intervenir de deux autres façons. La première consiste à suspendre les versements. On ne touche pas au passé, on limite provisoirement la possibilité de placer de nouvelles sommes sur le contrat. L’atteinte contractuelle est donc assez mince. Seconde possibilité, s’il estime les rémunérations versées aux assurés trop élevées, l’État pourra imposer aux compagnies de les réduire. Le surplus sera alors mis en réserve et reversé plus tard aux assurés. Les conséquences concrètes de cette mesure sont réelles mais moins préjudiciables pour les assurés que celles prévues par le gouvernement pour les nouveaux contrats Eurocroissance de l’assurance vie. En effet, ce nouveau dispositif permet, au sein d’un même établissement, de prélever une partie des réserves d’une assurance vie en euros pour les transférer sur les nouveaux contrats Eurocroissance.

Placements sur Internet

Début d’encadrement

Les sites qui appâtent les particuliers avec des rendements élevés font des ravages… Ils promettent des gains rapides et conséquents via des placements à haut risques, particulièrement sur le marché des changes (Forex). Au final, le consommateur néophyte perd presque toujours. Malgré les nombreuses mises en garde, notamment de l’Autorité des marchés financiers (AMF), les arnaques se multiplient. Pour essayer d’endiguer le phénomène, la loi Sapin 2 interdit (à partir de janvier 2018) toute forme de publicité par Internet ou mail promotionnel. Les sites, même non domiciliés en France (beaucoup le sont à Chypre) sont concernés. Cette mesure permet d’attirer l’attention sur ces nouvelles formes d’arnaque mais reste lacunaire. « Une interdiction claire de l’accès des particuliers à ces produits serait la bienvenue », estime Me Hélène Féron-Poloni, avocate spécialisée dans la défense des épargnants qui voit les dossiers d’arnaque sur les placements à risque se multiplier. « En outre, une réforme européenne levant les difficultés à mettre en cause la responsabilité des banques devant les juridictions de l’état membre de la victime serait indispensable. » En effet, de nombreuses banques autorisent, en contradiction avec leur devoir de contrôle, des virements vers des sites plus que douteux (notamment inscrits sur la liste noire de l’AMF des sites non autorisés). Or ces dernières sont souvent hors d’atteinte, car non enregistrées en France !


Associations d’épargnants

Davantage de démocratie

L’obligation de soumettre au vote de l’assemblée générale (AG) toute modification substantielle du contrat était réclamée depuis longtemps par certaines associations d’épargnants. La loi Sapin 2 leur donne satisfaction sur ce point. Ainsi, fini les décisions importantes adoptées en petit comité par le conseil d’administration. Désormais, l’AG est seule compétente et chaque adhérent peut, en outre, proposer une résolution. Un regret, selon Jean-François Filliatre : la revendication portée par plusieurs associations de limiter le nombre de pouvoirs lors des assemblées générales n’a pas été retenue. Cette pratique des mandats continue pourtant de fausser les débats en permettant aux membres du conseil d’administration de détenir plusieurs milliers de voix et « de faire adopter toutes les résolutions possibles en assemblée générale sans réelle discussion », comme l’exposait l’amendement rejeté.

Assurance emprunteur

La résiliation annuelle bloquée

La loi Sapin 2 entendait ouvrir le marché de l’assurance emprunteur à la concurrence en introduisant le droit à sa résiliation annuelle, c’est-à-dire durant toute la durée du contrat. Les banques subordonnent en effet l’octroi d’un prêt immobilier à la ­souscription d’une assurance couvrant les cas de décès, invalidité, incapacité. En théorie, les consommateurs ont le choix entre l’assurance groupe proposée par le banquier ou la délégation d’assurance auprès d’une autre compagnie. Cette dernière solution se révèle en pratique beaucoup moins chère, jusqu’à 40 %. Dans les faits, les banques multiplient les entraves pour décourager les emprunteurs de choisir cette seconde solution. En censurant la loi Sapin, le Conseil constitutionnel, par une décision difficilement explicable, si ce n’est de favoriser les intérêts des banquiers, freine à nouveau l’ouverture à la concurrence d’un marché très lucratif pour les établissements financiers… 

Assurance vie en euros

Des pratiques préjudiciables aux assurés

Certains assureurs développent depuis peu des pratiques préjudiciables aux assurés. Plusieurs compagnies ont en effet profité du contexte pour pousser leur éternelle revendication : obliger les épargnants à verser une partie de leur épargne sur des unités de compte (notamment investies en Bourse). Cela permet de déplacer vers le client le risque qui pèse sur l’assureur ! En outre, les unités de compte rapportent bien plus de frais de gestion que les fonds en euros. Autre abus : des assureurs ont commencé à porter atteinte au principe de base de l’assurance vie en euros, la garantie du capital investi. Certaines compagnies viennent de décider de ne garantir que le capital net, c’est-à-dire les sommes investies mais diminuées des frais de gestion !

Élisa Oudin

Élisa Oudin

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