Élisabeth Chesnais
ÉnergieNe bougez pas !
Deux mois après l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité à la concurrence, que penser des offres des fournisseurs, entre promesses de prix garantis et d'énergie verte ?
En juin dernier, à un mois de l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence, nous recommandions de rester fidèle au tarif réglementé, autrement dit de ne rien changer à son contrat d'électricité ou de gaz, et de ne pas succomber aux sirènes de la concurrence. Pour les entreprises, après quelques rabais initiaux, l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence s'était en effet traduite par une flambée des prix de l'électricité. À tel point que les pouvoirs publics et le Parlement ont dû, tant en 2006 que début 2007, inventer des parades législatives et réglementaires pour atténuer les effets inflationnistes de cette ouverture du marché. Aussi, qu'en est-il deux mois après l'ouverture du marché au grand public ? Les consommateurs ont-ils intérêt à franchir le pas ?
Nous avons examiné les différentes offres. D'emblée, ce constat : les accros à l'affaire du siècle ou les propriétaires de résidences secondaires qui ne pardonnent pas à EDF et GDF de leur facturer un abonnement à l'année pour une consommation saisonnière en sont pour leurs frais. Pour l'instant, aucun fournisseur n'a renoncé à l'abonnement ; c'est même pire. Dans les forfaits proposés aux prix de marché, son montant est parfois supérieur à celui des contrats réglementés. Et si les offres cherchent à se différencier les unes des autres, aucune ne se détache vraiment à la baisse. Côté prix, rien de miraculeux : on reste loin des offres affriolantes qui avaient incité des entreprises à franchir le pas au début des années 2000. La preuve avec cette revue de détail.
Des fournisseurs d'électricité et de gaz
EDF. Assise sur un marché de quelque 28 millions de clients, manifestement EDF ne craint guère de les perdre. Le tarif bleu, le tarif réglementé, reste à l'honneur. L'offre au prix de marché (1) est plus chère. Explication d'EDF : « Cette offre reflète les... prix de marché, qui sont en moyenne supérieurs de 10 % au tarif régulé. » Seuls les nostalgiques de la facture unique gaz/électricité pourraient donc être tentés par le contrat gaz naturel qu'on leur propose, à un tarif quasi similaire à celui du tarif réglementé, tout en restant pour l'électricité au tarif bleu. Mais attention, le prix du kWh gaz d'EDF n'est pas garanti, il est indexé sur celui des fiouls lourd et domestique, et « pourra évoluer à la hausse ou à la baisse deux fois par an ». Or, de 2003 à 2006, le prix des fiouls a nettement plus augmenté que celui du gaz naturel. De mauvaises surprises pourraient par conséquent survenir.
Gaz de France. « Les points forts des nouvelles offres : prix garantis et respect de l'environnement », affirme Gaz de France qui, visiblement, veut rassurer et séduire les écolos. Les prix garantis ? Oui, c'est vrai, et c'est bien joué d'un point de vue commercial. Il y a pourtant un hic, et sérieux. En effet, le prix du kWh ne bougera pas pendant un ou deux ans, selon la durée choisie, et les clients devraient être gagnants sur cette période, tant pour l'électricité que le gaz - à l'exception des petits consommateurs de gaz dont l'abonnement double -, mais après, c'est la pochette surprise. Gaz de France ne s'engage sur rien. Pas de hausse ou alors + 5 %, + 10 %, + 30 % : tout peut arriver. En guise de garantie, c'est plutôt la roulette russe. Le respect de l'environnement ? L'entreprise s'engage à « promouvoir la production d'électricité à base d'énergies renouvelables à hauteur de 21 % ». En réalité, Gaz de France ne promeut pas grand-chose. Il garantit seulement que de l'électricité d'origine renouvelable a été injectée dans le réseau par l'achat de certificats verts (voir encadré "Énergies renouvelables"). C'est minimaliste mais, heureusement, sans surcoût pour le client.
Poweo. Chez ce fournisseur, on préfère éluder ce qui pourrait fâcher. Quand Poweo annonce un prix du kWh électrique inférieur de 10 % à celui d'EDF, il dit vrai mais oublie d'indiquer qu'en revanche son abonnement est presque toujours supérieur : jusqu'à 48 % de plus avec une puissance de 3 kVA (kilovoltampère), jusqu'à + 29,7 % pour 6 kVA et + 28,2 % pour 9 kVA. Les particuliers qui ont souscrit sur la foi de ce bonus de 10 % risquent donc d'avoir des déconvenues. Sur la première année, c'est plutôt 5 à 7 % d'économies. Et après ? Si Poweo s'engage sur un forfait inférieur aux offres en tarif réglementé, il ne précise pas de combien. Cela peut être aussi bien 5 que 0,5 ou 0,2 % puisqu'aucun engagement formel n'est pris. Les forfaits gaz fonctionnent sur le même principe. Quant aux offres « Électricité bio », elles sont bien mal nommées et leur surcoût pour le client n'est pas justifié (voir encadré "Énergies renouvelables").
Des fournisseurs d'électricité
Direct Énergie. Au moment où nous mettions sous presse, Direct Énergie préparait de nouvelles offres. L'entreprise revoyait sa stratégie à la suite de la décision du Conseil de la concurrence qui impose à EDF de lui fournir de l'électricité à des prix plus bas, afin qu'elle soit en mesure de faire des offres commerciales compétitives. Pour l'heure, difficile d'être plus disert !
Electrabel. Une réduction de 5 % sur le prix du kWh et sur celui de l'abonnement par rapport au tarif réglementé d'EDF, l'offre d'Electrabel (groupe Suez) a le mérite de la clarté et paraît a priori intéressante. L'ennui, c'est l'absence d'engagement au-delà de la première année. « Les prix pourront être modifiés », avertit-on le consommateur sans lui donner plus de précision. L'aventure, en un mot. Quant à son offre AlpEnergie, 100 % renouvelable, elle ne justifie pas son surcoût de 1,20 euro par mois puisqu'il s'agit surtout de courant produit par les centrales hydroélectriques du Rhône (voir encadré ci-dessous).
Les opérateurs historiques locaux. Ces fournisseurs, qui étaient en situation de monopole sur leur territoire jusqu'au 1er juillet, se lancent également dans les offres de marché. C'est le cas de Proxelia, en Picardie, et d'Alterna, qui regroupe vingt services locaux d'énergie, surtout présents en Rhône-Alpes avec parmi eux GEG (Gaz Électricité de Grenoble). Alterna propose un kWh 100 % renouvelable pour un surcoût de 11 %, là encore injustifié (voir encadré ci-dessous). Chez Proxelia, le kWh est 5 % inférieur au tarif EDF la première année, mais sans aucune garantie au-delà.
Enercoop. Voilà le plus original des fournisseurs d'électricité. Cette coopérative d'intérêt collectif s'approvisionne à 100 % en électricité renouvelable. Ses coûts de production étant actuellement supérieurs à ceux du nucléaire ou de la grande hydroélectricité, le kWh Enercoop est vendu 30 % plus cher que le kWh EDF. L'abonnement aussi est plus élevé. Toutefois, si les prix ne sont pas garantis au-delà d'un an, il est peu probable qu'ils augmentent fortement. Enercoop fixe ses tarifs en fonction des coûts et non des opportunités du marché. Un choix militant mais onéreux.
Un fournisseur de gaz
Altergaz. Le client bénéficie d'une réduction de 5 % sur le prix du gaz et de l'abonnement par rapport au tarif réglementé, et ce sur une durée de trois ans. Épaulé par le groupe italien ENI, Altergaz est le seul fournisseur à s'engager avec précision sur la durée. Pour les acquéreurs et les locataires qui n'ont plus droit au tarif réglementé du gaz s'ils emménagent dans un logement neuf, c'est le choix le plus sécurisant. À noter que le risque est également minime pour les clients de Gaz de France puisque, au niveau européen, l'écart entre prix de marché et tarif réglementé demeure faible sur le gaz, contrairement à celui de l'électricité.
Le pari est trop risqué
Alors que conclure ? Pour l'électricité, passer au prix de marché peut entraîner une baisse de facture momentanée, mais sans garantie d'économies réelles au-delà d'un an. Rappelons-le : une fois ce pas franchi, le retour au tarif réglementé devient strictement impossible. Notre conseil demeure donc identique à celui que nous donnions il y a deux mois : ne changez rien, d'autant que le maintien du tarif réglementé est le seul rempart contre une flambée des prix de l'électricité. L'exemple des pays européens qui ont ouvert le marché de l'énergie à la concurrence est éloquent. Les tarifs de l'électricité ont explosé en quelques années : + 91 % au Danemark, + 80 % en Grande-Bretagne, + 77 % en Suède, + 49 % en Allemagne, + 40 % aux Pays-Bas, d'après l'étude de Nus Consulting portant sur 2001-2006. En France, la hausse est de 75 % pour les entreprises passées au prix de marché contre 3,7 % pour celles restées au tarif réglementé. Compter sur l'exception française en matière d'évolution des prix de marché de l'électricité pour les particuliers semble par conséquent être un pari très risqué ! Que Choisir se gardera bien de le prendre.
Marketing
L'art de vendre des services inutiles
Le grand avantage de la concurrence, ce serait - à en croire les fournisseurs d'énergie - les nouveaux services associés à leurs offres. Le suivi de la consommation, par exemple. Poweo la joue technologique avec sa Poweo box à 3 euros/mois, EDF est plus classique avec son suivi conso à 2,40 euros/mois. « Suivre sa consommation en temps réel », promet Poweo. Certes, mais va-t-on interrompre la cuisson du rôti sous prétexte que le four consomme ? Pour économiser l'énergie, les particuliers disposent d'une palette de mesures autrement plus efficaces : éteindre la lumière en sortant d'une pièce, baisser le thermostat du chauffage et la température du chauffe-eau, s'équiper en ampoules basse consommation, opter pour de l'électroménager classé A, isoler et même surisoler son logement, couper les veilles des appareils... Quant aux conseils, les Espaces Info Énergie répartis sur l'ensemble du territoire les dispensent gratuitement. Sans but lucratif et sans intérêt dans quelque secteur industriel que ce soit, ils sont plus qualifiés qu'un opérateur pour vous assister et vous initier à l'« éco efficacité énergétique ». Autre service proposé, l'assistance. Facturé 3 ou 4 euros par mois selon les fournisseurs, ce service s'avère inutile si vous n'avez jamais eu besoin de recourir à un professionnel pour dépanner votre installation électrique.
Énergies renouvelables
Le leurre des offres vertes
Il y eut l'époque des lessives qui lavaient plus blanc que blanc, voici les offres d'électricité plus vertes les unes que les autres. À peine ouvert à la concurrence, le marché de l'énergie surfe sur la vague de l'écologie. C'est à qui fournira le kWh le plus respectueux de l'environnement. Alterna propose Idea vert, un kWh hydraulique, Electrabel la formule AlpEnergie 100 % renouvelable, Poweo un forfait « Électricité bio », Gaz de France une électricité renouvelable à 21 %, et Enercoop, le petit poucet coopératif qui vient se mesurer aux mastodontes de l'énergie, 100 % d'électricité renouvelable. À lire les publicités des divers opérateurs, on pourrait croire que la production d'électricité recourt fortement aux énergies renouvelables, à savoir le solaire photovoltaïque, l'éolien, l'hydraulique, la géothermie et la biomasse. Pourtant, c'est loin d'être le cas. La France se contente de 12 % d'électricité renouvelable, en quasi-totalité grâce à l'hydraulique. Le nucléaire assure 78 % de la production, les centrales thermiques classiques (charbon, fioul, gaz) les 10 % restants. L'offre en électricité renouvelable est donc limitée. Alors, comment la garantir aux clients ?
Certificat d'hypocrisie
Hormis Enercoop, les fournisseurs ont recours aux certificats verts. Chaque certificat émis sur le marché atteste qu'un mégawatheure (1 000 kWh) a été produit à partir d'une énergie renouvelable. Quand un fournisseur veut faire une offre « verte », rien de plus simple : il achète des certificats. Ces derniers correspondent dans leur immense majorité à l'électricité des grosses centrales hydroélectriques, qui coûte moins cher à produire que celle d'origine nucléaire et que les organisations environnementales refusent de considérer comme renouvelable tant les grands barrages sont néfastes pour l'état des rivières. Les certificats de la grande hydraulique se négocient en moyenne à 1,30 euro l'unité, ceux de l'hydraulique de moindre capacité autour de 2 euros. En acquérir peut se révéler très rentable pour le fournisseur s'il décide de vendre ces kWh « verts » plus chers que les kWh ordinaires. En revanche, cette offre présentée comme respectueuse de l'environnement est sans intérêt pour le client : il paie plus cher une électricité qui de toute façon est injectée dans le réseau sans pour autant soutenir le développement des énergies renouvelables. Les certificats verts, en effet, prouvent simplement que de l'électricité renouvelable a été envoyée, à un moment donné, sur les lignes. Ils n'obligent en rien le fournisseur à s'approvisionner lui-même en électricité renouvelable ou à investir dans sa production. On peut proposer une offre verte tout en misant sur des centrales au charbon, très polluantes, plutôt que sur le photovoltaïque, l'éolien ou le petit hydraulique. Absurde d'un point de vue environnemental !
Les ONG font le tri
Pour assainir ce marché de dupes qui ne profite qu'aux fournisseurs, les ONG se sont jetées dans la bataille. L'organisation WWF, en partenariat avec le Cler, le Comité de liaison énergies renouvelables, a lancé le label EVE (Électricité verte). Pour le mériter, l'offre verte d'un fournisseur doit respecter des critères précis : une électricité d'origine vraiment renouvelable - ce qui exclut la grande hydraulique - et le réinvestissement d'une part des bénéfices dans les énergies renouvelables. Pour l'instant, seul Enercoop y répond. Mais si ce label présente l'énorme avantage de distinguer le bon grain de l'ivraie en matière d'offres, il ne s'intéresse pas à la politique globale du fournisseur. C'est sa limite. Plutôt que telle ou telle offre, Greenpeace a donc préféré noter les entreprises. Avec Ecolo Watt, un comparatif écologique des fournisseurs d'électricité. Leur approvisionnement, leurs investissements et les services proposés à la clientèle sont passés au crible du respect de l'environnement. À l'arrivée, une belle débâcle ! Une fois encore, seul Enercoop s'en sort bien avec 17/20. Le fait que Greenpeace en soit sociétaire ne suffit pas à expliquer ce très bon résultat. En effet, Enercoop s'approvisionne à 100 % en énergie renouvelable auprès de petits producteurs et réinvestira ses bénéfices dans la production d'énergies renouvelables.
Charbon
La concurrence nuit au climat
En dehors des risques de dérapage des prix, l'autre effet pervers de l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence réside dans le retour du charbon. Au diable la lutte contre le réchauffement climatique, des fournisseurs investissent dans cette matière première, soit la source d'énergie la plus polluante actuellement disponible ! Car même si l'on parle de « charbon propre », il s'agit seulement de centrales moins sales que les précédentes, et les projets de captage et de stockage du CO2 mis en avant sont loin d'être opérationnels. C'est ainsi que Poweo prévoit d'implanter une centrale à charbon au Havre (76). Une hérésie au regard des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
(1) Toutes nos comparaisons portent sur le tarif de base ; les promotions, non durables par définition, ne sont pas prises en compte.