Michel Ebran
Diagnostics techniques immobiliersDiscordance à tous les étages
Trois maisons, 21 diagnostics et de graves divergences de résultats. Notre test met en lumière l'incompétence de certains opérateurs. Un bilan scandaleux.
C'est l'histoire d'une manne économique sur laquelle se ruent nombre de professionnels aux compétences pourtant visiblement perfectibles. Les pouvoirs publics ferment les yeux sur ces carences, pour cause de créations d'emplois rapides et de forte croissance économique du secteur. Si, dans l'ensemble, nos diagnostics se sont bien déroulés d'un point de vue commercial et relationnel, les rapports montrent de graves lacunes, au regard des prix payés.
Notre enquête
L'établissement d'un DDT (dossier de diagnostic technique) étant un préalable obligatoire à toute vente immobilière, nous avons voulu vérifier le sérieux des professionnels qui s'en chargent.
Le protocole
L'enquête s'est déroulée en janvier à La Rochelle, Besançon et Clermont-Ferrand. À chaque fois, le propriétaire anonyme, prétextant la vente prochaine de son bien, a pris rendez-vous avec plusieurs diagnostiqueurs pour faire établir un DDT.
La Rochelle : 6 diagnostics amiante, termites, gaz, DPE (diagnostic de performance énergétique selon une échelle graduée de A à G).
Besançon : 7 diagnostics amiante, DPE.
Clermont-Ferrand : 8 diagnostics amiante, DPE. Au total, 21 diagnostics ont été effectués par des diagnostiqueurs d'entreprises (Dimexbat), de réseaux (Agenda, Diagmanter et Norisko) ou des indépendants.
Les résultats
Grâce à notre enquête, nous avons pu évaluer la qualité du diagnostic établi et le professionnalisme du diagnostiqueur, et connaître le coût de la prestation. Pour contrôler la véracité des mesures effectuées et la précision des estimations de consommation énergétique des rapports remis par les diagnostiqueurs, nous avons fait auditer (à l'exception du DPE, qui n'a pas été fait à La Rochelle) les mêmes maisons par des experts d'Afnor Certification, leader français de la certification et premier organisme à avoir été accrédité pour la certification des diagnostiqueurs immobiliers. Cela nous a permis d'obtenir des valeurs de référence.
Rendez-vous : Aimables et ponctuels
Tous les rendez-vous ont été pris par téléphone, très aimablement, avec des informations données spontanément sur le contenu et/ou le but du dossier de diagnostic technique (DDT). Un seul carton rouge, attribué au correspondant local du réseau Norisko à Besançon, qui a promené notre enquêteur sans jamais pouvoir lui trouver de rendez-vous. Un peu léger pour un réseau qui se targue, sur son site Internet, d'être « présent dans plus de 100 villes en France » et de permettre « la réalisation de plus de 100 000 diagnostics annuels ». Bonne nouvelle lorsqu'on prévoit de bloquer plusieurs heures de son emploi du temps, nos diagnostiqueurs ont été ponctuels, à l'exception d'un seul qui s'est désisté. Et les opérateurs ont tous été avenants. Certains un peu plus bavards que d'autres, notamment pour donner les explications techniques relatives à leurs prestations ou à leurs premiers résultats d'analyses.
La carte de certification : Preuve à l'appui ?
Lors de leurs interventions, nos enquêteurs devaient demander aux diagnostiqueurs de montrer leur carte de certification, véritable « permis d'exercer ». Première déception, seuls quatre l'avaient sur eux et ont pu prouver immédiatement leur qualification. C'est maigre. Par ailleurs, il serait bon, au regard de la législation, que soit jointe au rapport une copie de la certification du technicien pour chaque diagnostic effectué (le décret 2006-1114 du 5/9/06 dispose que le professionnel doit remettre un document par lequel il « atteste sur l'honneur » être en situation régulière vis-à-vis de l'obligation de certification). Sur 21 rapports, 10 comportaient tous les certificats (soit un par diagnostic) liés aux contrôles effectués. Sur les onze autres rapports, neuf mentionnaient un numéro unique de certification sans dissocier chaque diagnostic, un comportait une attestation. Un autre n'indiquait aucune information sur ce point. Difficile, donc, de vérifier la certification de l'opérateur pour chacun des diagnostics. Alors, méfiance côté vendeur : le décret (2006-1114) prévoit une contravention de 5e classe (jusqu'à 1 500 euros d'amende) pour les propriétaires qui missionneraient un diagnostiqueur non certifié !
Certifications
De lourdes carences
Si la certification a dû permettre d'éradiquer nombre de mauvais diagnostiqueurs, l'état actuel de la profession autorise encore trop de dérapages. Exemple flagrant, un opérateur qui perd sa certification peut repasser un examen sans délai dans un autre organisme qui ne connaîtra rien de son dossier ! Autre aberration, aucun prérequis n'est demandé. Autrement dit, la loi n'impose aucune connaissance préalable aux candidats à l'examen. Examen auquel on peut d'ailleurs se représenter autant de fois que nécessaire (tout dépend du budget dont on dispose), sans limitation. Les pouvoirs publics prennent ainsi soin de préserver ce nouveau réservoir d'emplois en plein essor... Autre incohérence, si la réglementation exige des consommateurs qu'ils s'adressent à des personnes physiques certifiées, dans la pratique aucune liste exhaustive et nationale (annuaire) ne les recense de manière centralisée. Comment vérifier alors à qui on s'adresse ?
Durée : Le temps ne fait rien à l'affaire
Les temps passés sur place pour un même bien à expertiser sont, pour le moins, très élastiques. À La Rochelle, le plus dynamique des opérateurs n'a mis qu'une demi-heure alors qu'un de ses concurrents a eu besoin de 2 h 20. Écart quasi identique à Besançon : de 30 minutes à 2 heures. Et à Clermont-Ferrand, si la demi-heure demeure le temps minimal constaté, le plus lent a fait son travail en 1 h 20. Mais il n'y a aucune corrélation notable entre le temps passé et la justesse du diagnostic. Par exemple, un diagnostiqueur a établi son rapport sur une surface habitable totalement erronée (250 m2 au lieu de 130 m2 réels). Il avait pourtant passé 2 heures sur place. A contrario, à Clermont-Ferrand, un diagnostiqueur a réussi à estimer le montant de la consommation énergétique à 1 euro près par rapport à celui réellement payé en étant resté moins d'une heure (50 min) sur place.
Explications fournies : Pas très bavards, mais impartials
Les opérateurs expliquent généralement bien le pourquoi du comment du DDT. Le discours technico-commercial est bien rodé, au point de sembler parfois avoir été appris par coeur. Mais ils ne vont pas beaucoup plus loin. Seuls 4 diagnostiqueurs sur 21 ont osé parler, sur place et en présence du pro-
priétaire, de leurs premières conclusions. À la fin de leur intervention, seuls sept ont évoqué les travaux d'amélioration à envisager, notamment en termes de performance énergétique. En revanche, preuve d'une indépendance envers les entreprises et artisans du bâtiment, tous ont respecté en partie leur déontologie car aucun d'entre eux n'a recommandé d'artisans locaux pour effectuer de tels travaux.
Tarifs : Le grand écart
Globalement, les factures et les rapports ont été rapidement envoyés au domicile visité, telle était la demande de nos émissaires. Dans la pratique, ces documents sont le plus souvent adressés aux études notariales ou aux agences immobilières en charges des transactions. Les plus rapides ont été réceptionnés le jour même. Les plus lents, jusqu'à 17 jours plus tard. La grosse majorité est arrivée en trois jours, un délai très raisonnable et satisfaisant. En revanche, lorsqu'on analyse les prix payés, les choses se gâtent. D'abord parce qu'ils font le grand écart pour une mission identique. Si les tarifs sont logiquement variables en fonction de la surface de l'habitation expertisée, sur une même maison de tels écarts restent incroyables. Ainsi oscillent-ils, à La Rochelle, de 395 à 560 euros, soit 42 % d'écart. C'est pire à Besançon : de 271 à 410 euros, la différence culmine à 51 %. Seuls les diagnostiqueurs de Clermont-Ferrand pratiquent des tarifs plus homogènes : de 220 à 254 euros, soit 15 % d'écart seulement. Au moins ne peut-on pas reprocher à cette profession de s'entendre sur un tarif unique pour éradiquer toute forme de concurrence. D'où l'intérêt de se renseigner sur les tarifs de plusieurs diagnostiqueurs avant de prendre rendez-vous... D'autant que le prix n'est pas garant d'un travail de qualité !
Conformité des rapports : Les lacunes ne se comptent plus
La majorité des rapports d'expertise remis sont conformes dans les grandes lignes mais beaucoup d'informations, généralement techniques, ou de mesures manquent. En effet, un rapport de DDT doit se présenter sous une forme clairement prédéfinie et comporter des points aussi précis qu'indispensables. Nous ne pouvons que constater des lacunes dans les rapports facturés à nos enquêteurs. Par exemple, sur 21 diagnostics amiante, cinq ne comportent pas la liste détaillée des revêtements, pièce par pièce, pourtant obligatoire. Pour le DPE, cinq rapports ne mentionnent pas les références réglementaires. Par ailleurs, cinq cabinets de diagnostics se sont permis d'associer leur raison sociale au logo d'un organisme certificateur sur leur rapport, alors que la certification leur interdit cette publicité et pour cause : seules les personnes physiques sont certifiées, jamais une personne morale.
Véracité des diagnostics : Du n'importe quoi
Les quelques petits manquements à la règle d'écriture et de présentation des rapports ne seraient pas graves si les diagnostics se révélaient justes et pertinents. Or, pour un même bien immobilier, les diagnostics divergent et de beaucoup.
L'amiante. Un diagnostic primordial tant il concerne la santé des personnes. Deux de nos trois habitations sélectionnées comportaient de l'amiante. À Clermont-Ferrand, les spécialistes de l'Afnor Certification ayant réalisé la contre-expertise ont repéré deux parties de bâti susceptibles d'en contenir et méritant un prélèvement pour analyse. Or, aucun de nos diagnostiqueurs ne les a décelées ! Idem à La Rochelle, où il existe de l'amiante à deux endroits. Les diagnostiqueurs en ont bien détecté la présence à un des deux endroits mais sans voir une belle dalle amiantée au sol d'un placard. Et pour cause, seuls deux des six techniciens venus sur place ont eu la curiosité (et la conscience professionnelle !) d'ouvrir ledit placard lors de leur inspection. À Besançon, où il n'y avait pas d'amiante, tous les diagnostiqueurs sont arrivés à cette même conclusion, conforme à la contre-expertise.
Les termites. Seul le pavillon de La Rochelle se trouve en zone infestée. Aucune trace de ces bestioles n'a été trouvée par nos diagnostiqueurs. La contre-expertise menée par les émissaires de l'Afnor Certification confirme le diagnostic mais prouve aussi qu'un seul des six diagnostiqueurs a réellement sondé les parties boisées de la maison pour vérifier la présence ou non de termites. Tout simplement inadmissible ! En effet, les sondages laissent des traces aisément repérables par un expert. Leur absence signifie que le diagnostiqueur n'a fait que « jeter un oeil ». De même, un bon professionnel se doit d'examiner le terrain (au moins dans un périmètre de 10 m autour des bâtis). En réalité, beaucoup de diagnostiqueurs se sont contentés de faire une dizaine de pas. Un de nos certificateurs s'apprête d'ailleurs à assigner trois diagnostiqueurs qui, n'ayant pas effectué ces recherches dans des terrains, n'ont pas remarqué la présence de termites parfois à moins de 2 m de l'habitation. On imagine la déconvenue pour l'acquéreur.
Le gaz. Ce diagnostic concerne directement la sécurité des personnes. Il a uniquement été réalisé dans le pavillon de La Rochelle. Selon l'expert de l'Afnor Certification, il existe, sur l'installation de cette habitation, trois anomalies à détecter sans difficulté. Pourtant, aucun des six diagnostiqueurs missionnés n'a été capable de toutes les repérer. Trois en ont trouvé une, trois autres deux, mais aucun les trois. Une des anomalies, pourtant facilement repérable, a même échappé à deux diagnostiqueurs : la date limite d'utilisation du tuyau d'alimentation non lisible ou dépassée. C'est écrit dessus en toutes lettres ! Par ailleurs, l'analyse des rapports montre que seuls deux des six professionnels ont mesuré et mentionné le débit de la chaudière, un contrôle pourtant obligatoire et facturé.
Le DPE. C'est un comble, mais aucune des trois maisons expertisées n'a obtenu une estimation homogène de sa consommation énergétique. Celle-ci se traduit, dans le rapport, par une échelle graduée de A à G (d'économe à énergivore). À La Rochelle, la consommation énergétique pour le chauffage et la production d'eau chaude sanitaire a été graduée D ou E. À Besançon de D à F et à Clermont-Ferrand C ou D. Si l'on tient compte des 15 contre-expertises réalisées par l'Afnor Certification, on compte huit erreurs de classement sur l'échelle de consommation, soit près de la moitié. Par conséquent, les estimations de coût de consommation énergétique annuel varient du simple au double pour un même bien. Incroyable. Alors que c'est une information primordiale pour le futur occupant. Ainsi, à La Rochelle, le coût annuel a été évalué entre 738 et 1 280 euros (73 % d'écart), à Besançon entre 1 202 et 2 576 euros (114 % d'écart), à Clermont-Ferrand entre 509 et 1 114 euros (119 % d'écart). Même en admettant une marge d'erreur, on est loin d'un résultat fiable. Si l'on se base sur les consommations réellement payées (factures à l'appui) par nos trois propriétaires, nous arrivons aux résultats suivants : à La Rochelle, avec 748 euros payés par an, on dénombre quatre bons diagnostics (entre 738 et 850 euros) pour deux mauvais (1 104 et 1 280 euros). À Besançon, avec 2 300 euros par an, nous pointons trois bons diagnostics (2 123, 2 313 et 2 576 euros) et quatre erronés (entre 1 202 et 1 813 euros). À Clermont-Ferrand, avec 605 euros payés par an, six bons diagnostics (entre 509 et 770 euros) contre deux mauvais (877 et 1 114 euros). Au total, les diagnostiqueurs se sont trompés dans plus d'un tiers des cas, rien que ça.
Trois exemples d'expertise
Besançon : pavillon 130 m2
Temps passé et prix payé : 30 min à 2 h/271 euros à 410 euros
Consommation énergétique :
- diagnostic : D à F
- expertise Afaq-Afnor : F
6 erreurs de diagnostic sur 7
Consommation annuelle :
- diagnostic : 1 202 à 2 576 euros
- expertise Afaq-Afnor : 2 675 euros
Prix réel payé : 2 300 euros
4 mauvaises estimations sur 7
Amiante :
- diagnostic : pas de traces
- expertise Afaq-Afnor : pas de traces
7 bons diagnostics sur 7
La Rochelle : pavillon 75 m2
Temps passé et prix payé : 30 min à 2 h 20/395 euros à 560 euros
Consommation énergétique :
- diagnostic : D ou E
Consommation annuelle
- diagnostic : 738 à 1 280 euros
Prix réel payé : 748 euros
2 mauvaises estimations sur 6
Amiante :
- diagnostic : traces à 1 ou 2 endroits
- expertise Afaq-Afnor : traces à 2 endroits
4 repérages incomplets sur 6
Gaz :
- expertise Afaq-Afnor : 3 anomalies
- aucun diagnostic complet
Termites :
- diagnostic : pas de traces mais un seul sondage correctement réalisé
- expertise Afaq-Afnor : pas de traces
1 sondage correct sur 6
Clermont-Ferrand : pavillon 80 m2
Temps passé et prix payé : 30 min à 1 h 20/220 euros à 254 euros
Consommation énergétique :
- diagnostic : C ou D
- expertise Afaq-Afnor : D
2 erreurs de diagnostic sur 8
Consommation annuelle
- diagnostic : 509 à 1 114 euros
- expertise Afaq-Afnor : 784 euros
Prix réel payé : 605 euros
2 mauvaises estimations sur 8
Amiante
- diagnostic : pas de traces
- expertise Afaq-Afnor : traces suspectes
Aucun diagnostic d'alerte
Connivence
Petits cadeaux contre recommandation
L'article L. 271-6 du code de la construction et de l'habitation est pourtant clair : les diagnostics doivent être établis « par une personne présentant des garanties de compétence et disposant d'une organisation et de moyens appropriés. Cette personne est tenue de souscrire une assurance permettant de couvrir les conséquences d'un engagement de sa responsabilité en raison de ses interventions. Elle ne doit avoir aucun lien de nature à porter atteinte à son impartialité et à son indépendance ni avec le propriétaire ou son mandataire qui fait appel à elle, ni avec une entreprise pouvant réaliser des travaux sur les ouvrages, installations ou équipements pour lesquels il lui est demandé d'établir l'un des documents mentionnés au premier alinéa ».
Un tel texte devrait logiquement exclure le fait de donner une commission à une agence immobilière ou un notaire (que ce soit en argent ou par le biais de bons d'essence et autres gracieusetés). Même chose pour la pratique consistant à recommander une entreprise « amie » ou familiale capable d'effectuer les travaux d'amélioration (isolation, pose de double vitrage, etc.). Pourtant, sur le terrain, ce n'est un secret pour personne, les diagnostiqueurs « draguent » leurs rapporteurs d'affaires privilégiés. Ce sont souvent les agences immobilières qui en tirent les bénéfices par des tas de petites attentions qui les aident à recommander la « bonne » adresse à leurs clients. Mais le notariat n'est pas toujours en reste. En mars dernier, par exemple, on a vu quelques notaires triés sur le volet partir pour une balade de 400 km en Maserati, assortie d'un déjeuner gastronomique chez Georges Blanc, à Vonnas (01). Les petits cadeaux entretiennent l'amitié...
Carole Matricon-Delbé
Les associations locales de l’UFC-Que Choisir