Fabienne Maleysson
Danone EssensisPas de pot !
Avec son yaourt présenté comme « bon pour la peau », Danone se veut pionnier d'un nouveau territoire : la « dermo-nutrition ». Mais notre test, lui, montre que ce produit très onéreux ne tient aucunement ses promesses.
Le choix du testeur
Nous avons voulu vérifier si les effets supposés du yaourt Essensis de Danone étaient réels.
Protocole
Pendant trois mois, cent personnes ont consommé chaque jour soit un ou deux Essensis, soit un ou deux Velouté de Danone, soit ont mangé varié. En parallèle, elles appliquaient une crème hydratante sur l'un de leurs avant-bras. La perte insensible en eau et la cornéométrie des deux avant-bras ont été mesurées en laboratoire avant et après l'étude.
C'est une évidence, notre peau est le reflet de notre hygiène de vie. Il n'est que d'observer celle des fumeurs invétérés pour s'en convaincre. Manger varié et équilibré fait donc aussi partie des gestes beauté. Est-ce à dire que certains aliments auraient à eux seuls des effets visibles sur la jeunesse de notre épiderme ? C'est en tout cas ce que revendiquent désormais plusieurs industriels de l'agroalimentaire, au premier rang desquels Danone. Lancé à grand renfort de communication, son yaourt Essensis prétend « nourrir votre peau de l'intérieur ».
Danone Essensis
À environ 50 centimes le pot, sachant que Danone recommande d'en manger deux par jour, ce yaourt a au moins un effet : il fait la peau à votre porte-monnaie.
Ce qu'en dit l'Afssa
« La dermo-nutrition, c'est un concept marketing, estime le professeur Irène Margaritis, chef de l'unité sur la nutrition à l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments). On pourrait tout aussi bien parler de "cardio-nutrition", d'"oculo-nutrition>... La peau est constituée de cellules, comme l'ensemble du corps, nous ne considérons pas que ces aliments à visée cosmétique aient un statut à part. » Quid d'Essensis en particulier ? « Nous n'avons pas été saisis. Sans examen du dossier, il est impossible de se prononcer. On peut simplement faire remarquer que l'un des critères que nous prenons en compte est la précision de l'allégation. "Nourrit votre peau de l'intérieur" pourrait être considéré comme plutôt flou. » D'autres industriels se réclamant de la dermo-nutrition ont vu leurs allégations passées à la moulinette des experts de l'agence. La majorité a été retoquée. « L'effet sur les cellules de la peau est techniquement difficile à prouver, explique Irène Margaritis. En outre, qu'il soit fait référence à une notion esthétique serait difficilement recevable pour nous car impossible à quantifier. »
L'étude de Danone...
On est obligé de se fier à la firme car cette étude a été faite en interne et n'a pas été publiée. Soixante-douze femmes ont été divisées en deux groupes, l'un consommant deux Essensis par jour, l'autre deux produits laitiers dépourvus du « complexe Pronutris », terme employé par Danone pour désigner le mélange « huile de bourrache-thé vert-vitamine E et probiotiques exclusifs » présent dans Essensis. Les résultats montreraient chez les consommatrices du nouveau yaourt une diminution de la « perte insensible en eau », une mesure dont on se sert parfois pour évaluer le degré d'hydratation. Cependant, le fait que Danone ait retenu ce critère est étonnant car il est rarement employé. Bien plus fréquemment, c'est à une autre méthode, la cornéométrie, qu'on a recours en cosmétique pour évaluer le degré d'hydratation. On est en droit de se demander si cette dernière mesure n'a pas du tout été utilisée, ou si elle l'a été mais n'a pas donné de résultats probants... Par ailleurs, l'âge moyen des testeuses était de 30 ans alors qu'aujourd'hui Danone vise clairement une clientèle plus âgée (« avec le temps, les changements hormonaux se répercutent sur la qualité de la peau », peut-on lire sur l'emballage). Enfin, Danone ne précise pas si l'amélioration constatée est acquise définitivement ou si, à l'arrêt de la consommation, la peau finit par revenir à son état initial. Outre cette étude clinique, l'entreprise a interrogé des lectrices de Marie-Claire à qui elle avait demandé d'essayer le nouveau yaourt : « 80 % des lectrices qui l'ont testé ont approuvé ce nouveau geste pour la peau », peut-on lire dans le mensuel, en préambule de quatre pages assorties de « témoignages ». Ces chiffres sont d'ailleurs repris sur certains emballages. Ne nous y trompons pas, il s'agit de publicité. Et le fait que ce « test » ne soit ni contre placebo, ni surtout en aveugle (puisque les testeuses savaient quel produit elles consommaient), invalide complètement ses résultats : si on dit à des femmes « goûtez notre nouveau yaourt qui nourrit la peau de l'intérieur », elles ont forcément tendance à dire que oui, effectivement, leur peau est moins sensible et plus douce.
... et celle de Que Choisir
Cent personnes ont participé à notre étude, menée par un laboratoire spécialisé. Elles étaient divisées en cinq groupes, consommant respectivement chaque jour un Essensis ou deux Essensis, ou un yaourt Velouté de Danone, ou deux Velouté, le cinquième groupe ayant pour seule instruction de manger varié. Pourquoi le Velouté ? Parce que c'est le yaourt qui se rapproche le plus de Essensis, tant du point de vue de la texture que du profil nutritionnel. Nous l'avons additionné d'édulcorant (le même que celui utilisé dans Essensis) pour parfaire la similitude. Tous les sujets devaient appliquer la crème Diadermine Expert rides 3 D (meilleure de notre dernier test pour son pouvoir hydratant) sur la face interne d'un avant-bras, l'autre avant-bras étant non traité. Cela afin de constater l'éventuel effet d'Essensis chez les personnes qui emploient une crème hydratante, mais aussi chez celles qui n'y recourent pas. Pour écarter un maximum de biais, les testeurs ne devaient pas utiliser de produits cosmétiques autres que la crème sur la zone de test, ni s'exposer au soleil, ni prendre de médicaments susceptibles d'influer sur les résultats, etc. Nous avons mesuré la perte insensible en eau (PIE) et la cornéométrie des deux avant-bras de chaque personne au début de l'étude et trois mois après. Les mesures étaient opérées dans des conditions très strictes : les sujets devaient notamment attendre 30 minutes dans une salle d'attente climatisée, pour éviter que les conditions climatiques ou des raisons personnelles (par exemple, personne en retard = stress, transpiration...) ne jouent. Cette étude a nécessité une logistique importante avec notamment l'achat de plusieurs milliers de yaourts et de centaines de pots de crème.
Beaucoup de bruit pour rien
Nos résultats sont clairs, aucune des deux mesures (cornéométrie et PIE) ne montre de supériorité statistiquement significative de la consommation d'Essensis (un ou deux pots) par rapport à celle de Velouté ou même par rapport aux personnes à qui aucune instruction particulière n'avait été donnée. Beaucoup de bruit pour rien, donc. Ce dossier soulève plus largement la question des allégations santé plus ou moins fondées qui fleurissent sur les emballages. Actuellement, un industriel qui met sur le marché un produit revêtu d'un tel slogan n'a pas à le justifier a priori. Il n'aura à fournir de preuve qu'à la demande éventuelle des services de contrôle, mais ceux-ci restent bien timorés, d'autant que l'heure n'est pas à la sévérité envers les industriels. Ainsi, dans un récent bulletin de la Direction des fraudes, un article plutôt sceptique sur la dermo-nutrition se conclut par : « Encore faudra-t-il apporter toutes les preuves scientifiques. » Encore faudrait-il les réclamer, serait-on tenté de rétorquer à cette administration.
En résumé
Mieux vaut une bonne crème antirides
Bien qu'ayant bénéficié d'une promotion hors du commun, Essensis peine à rencontrer son public. Il est vrai que, outre la question de l'efficacité cosmétique, il y a de quoi hésiter à l'idée de manger deux Essensis par jour, comme le conseille indirectement Danone. Le Programme national nutrition santé préconise de consommer quotidiennement trois produits laitiers - ce qui constitue une fourchette haute - mais en privilégiant la variété. Deux yaourts par jour, c'est beaucoup ! Pour les versions aux fruits, l'addition énergétique n'est pas négligeable : 200 calories, soit 10 % des apports énergétiques conseillés pour une femme, dont l'équivalent de trois morceaux de sucre. Mais c'est surtout le prix qui fait bondir : Essensis coûte au bas mot 50 centimes le pot, soit 1 euro par jour pour deux pots. Une « cure » de six mois revient à 180 euros, soit bien davantage que l'application biquotidienne d'une bonne crème antirides (63 euros pour le meilleur choix de notre dernier test).
Gaëlle Landry
Rédactrice technique