par Elsa Casalegno
Café ou chicoréeLaquelle de ces boissons a le plus faible impact carbone ?

Boisson incontournable, le café parcourt des milliers de kilomètres pour remplir nos tasses. Face à lui, la chicorée, cultivée localement, semble une alternative plus écologique. Qu’en est-il vraiment ?
Plus de 2 milliards de tasses de café sont bues chaque jour dans le monde. De quoi doper un tiers de l’humanité pour sa journée de travail, mais peut-être aussi nos émissions de CO2… D’autant que les grains proviennent de zones de culture tropicales, donc éloignées des lieux de consommation.
Le café est issu des grains du caféier, un petit arbre qui pousse sous les tropiques. Il doit être fermenté, séché, transporté (par cargo) depuis l’Afrique, l’Amérique centrale et latine ou l’Asie du Sud-Est, puis torréfié et broyé. Remplacer cette boisson par une tasse de chicorée peut-il contribuer à réduire notre empreinte ?
Cultivée principalement dans le nord de la France (qui en est le premier producteur mondial), ainsi que dans les pays septentrionaux voisins (Belgique, Allemagne, Pays-Bas), la chicorée est tirée de la racine de la plante homonyme (de la même famille que l’endive). Une fois arrachée, elle est coupée, séchée, puis torréfiée et concassée. En termes d’impact carbone, la chicorée l’emporte haut la main.
La chicorée soluble émet 4 fois moins de carbone que le café filtre

Émissions de gaz à effet de serre en équivalent CO2
La preuve par les chiffres
En équivalent CO2, la chicorée soluble émet 26 g éq. CO2 pour 150 ml, soit 4 fois moins que le café filtre. Si on la compare au café soluble (ou instantané), l’écart est encore plus grand, car le processus de transformation du café en poudre soluble (lyophilisation) consomme de l’énergie et, surtout, la quantité de café nécessaire pour préparer 1 tasse de boisson est plus importante. Pour 1 tasse de 150 ml de café soluble instantané, il faut compter 230 g éq. CO2, soit 9 fois plus que le volume équivalent de chicorée. Et pour répondre aux interrogations des amateurs de petits noirs bien serrés, nous avons aussi comparé la tasse de chicorée à une tasse d’expresso (30 ml) : le volume de cette dernière joue en sa faveur (seulement 19 g éq. CO2).
Il suffit de multiplier ces chiffres par le nombre de tasses que vous buvez chaque jour pour connaître le poids en carbone de votre consommation de ces boissons chaudes.
Ce qui pénalise le café
Comme pour la plupart des aliments, c’est le stade de la production qui affecte le plus lourdement le score : il représente 94 % de l’empreinte carbone de la mouture de café, et entre 76 et 80 % de la boisson finale, tandis que les impacts de la transformation (torréfaction et, le cas échéant, lyophilisation), de l’emballage et de la distribution restent marginaux. Le score CO2 du café soluble est plombé par la quantité de matière première nécessaire : il faut 2,6 kg de café en grains pour fabriquer 1 kg de poudre de café lyophilisé, contre seulement 1,2 kg de café pour 1 kg de mouture.

Le café est généralement produit en monoculture, dans des plantations intensives mécanisées (donc consommatrices de carburants) qui utilisent des engrais et des pesticides de synthèse, à l’impact carbone très lourd – de ce fait, un café bio est moins problématique. Pour calculer un chiffre moyen, l’Ademe applique une pondération selon les variétés (arabica et robusta) et les origines (Brésil, Honduras, Indonésie, Vietnam) les plus fréquentes sur le marché français. En effet, la déforestation, qui grève très lourdement le bilan carbone, diffère d’un pays à l’autre : par exemple, elle est 2 fois plus élevée au Honduras et au Vietnam qu’au Brésil. Le café cultivé en agroforesterie exigeant moins de déforestation, son impact est allégé.
La transformation, qui comprend la torréfaction, fortement consommatrice d’énergie, varie entre 1 % et 14 % d’impact CO2. L’emballage pèse de 5 à 10 % selon les conditionnements. Le transport et la distribution sont négligeables par rapport à ces deux postes. Au niveau de la consommation, le mode de préparation peut faire varier à la marge la note « carbone », selon la quantité d’eau chauffée.
Ce qui pénalise la chicorée
Culture de plein champ relativement simple, sobre en engrais et en pesticides, la chicorée ne présente pas une empreinte carbone très élevée à la production : « 1 kg de racine de chicorée sortie des champs a environ 20 fois moins d’impact sur le changement climatique que l’arabica du Brésil, et jusqu’à 100 fois moins qu’un café déforesté », précise l’Ademe. L’écart se réduit lors de l’étape de transformation, du fait de rendements moindres : il faut 2 kg de racines pour obtenir 1 kg de poudre. Près de la moitié de l’impact carbone de la boisson chicorée est liée à cette étape, et non à la production agricole.
Quand on aime la chicorée, c’est donc une bonne idée de se tourner vers cette boisson issue d’une production locale, qui présenterait divers bénéfices pour la santé (sur le microbiote intestinal, la régulation de la satiété et la réponse immunitaire grâce à la présence d’inuline). Si vous n’en avez jamais consommé, sachez que son goût, aux arômes de noisette et de caramel, diffère de celui du café.
Il faut approcher la chicorée comme une boisson différente, et non un substitut équivalent. Elle peut remplacer un café décaféiné de milieu d’après-midi ou celui que l’on prend pour faire une pause de fin de matinée. En revanche, si vous recherchez un stimulant pour vous tenir éveillé, passez votre chemin : la chicorée est dépourvue de caféine !
Différentes présentations sont désormais en vente : de la chicorée soluble, mais aussi des moutures pour machines à café et même, depuis peu, des dosettes compatibles Nespresso. D’autres boissons, à base de lupin torréfié (déjà consommée en Allemagne), voire d’orge ou de petit épeautre, font également leur apparition. Comme pour le café, optez si possible pour des produits labellisés bio. Lors d’une dégustation informelle entre collègues à Que Choisir, une partie des amateurs de café ont apprécié les dosettes de chicorée. Les non-amateurs de café n’ont pas trouvé leur compte dans ces alternatives, en particulier du fait de l’amertume de cette boisson – à l’instar du café, d’ailleurs.

Les autres habitudes qui alourdissent la note
Quelques habitudes de consommation peuvent alourdir la note « carbone » de ces boissons. Ainsi, vous ajoutez entre 4 et 5 g éq. CO2 à chaque cuillère de sucre selon qu’il est blanc ou roux (1). S’en passer est donc bon pour la santé, mais aussi pour la planète ! Choisissez plutôt un café peu amer (peu torréfié) pour ne pas trop grimacer en buvant votre breuvage. Si vous ajoutez du lait dans la boisson, ce sera moins amer, mais vous multipliez potentiellement le poids carbone par 10… Faire bouillir plus d’eau que nécessaire contribue aussi à saler la note « carbone », puisque le chauffage est très consommateur d’énergie. Une bouilloire trop remplie équivaut plus ou moins à 10 g eq. CO2 gaspillés (2) chaque fois qu’elle chauffe inutilement. Multiplié par 2 milliards de tasses par jour, ce sont 20 000 tonnes de CO2 quotidiennes. Quant à utiliser un gobelet jetable, c’est une très mauvaise idée : il ajoute à lui seul 110 g eq. CO2 à votre café ! Avoir un mug sur soi en permanence semble difficile à envisager, mais c’est faisable au bureau, par exemple.
Pour une consommation globalement responsable, il faut tenir compte également de l’impact de la filière sur les populations locales, en particulier les agriculteurs. En effet, mieux ces derniers sont rémunérés, plus ils ont la capacité de mettre en place des pratiques vertueuses sur le plan environnemental. Or, dans la filière caféicole, la plupart des planteurs sont de petits producteurs dont la moitié vit sous le seuil de pauvreté. Il existe de nombreuses références certifiées « Commerce équitable » pour le café, tournez-vous vers elles de préférence.
Empreinte carbone : des chiffres encore approximatifs
Les données sur les empreintes carbone des différents aliments sont tirées de la base de données Agribalyse, publiée par l’Ademe. Agribalyse utilise la méthode d’analyse du cycle de vie (ACV) pour calculer 14 indicateurs prenant en compte toutes les étapes « du champ à l’assiette » (production, stockage, pertes, transformation, transport…). Ces chiffres donnent un ordre de grandeur, mais ils restent approximatifs du fait de la difficulté à appréhender l’ensemble des étapes du cycle de vie des produits agroalimentaires. De plus, l’empreinte carbone est un élément parmi d’autres de l’empreinte environnementale globale d’un produit – il y a aussi, par exemple, l’impact sur la biodiversité et la toxicité pour l’humain ou l’environnement à prendre en compte.
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Empreinte carbone : Entretien avec Mike Berners-Lee, auteur et chercheur spécialisé
(1) Source : Agribalyse, https://agribalyse.ademe.fr/.
(2) Peut-on encore manger des bananes ?, Mike Berners-Lee, éd. L’arbre qui marche, 2024.
Elsa Casalegno