Pauline Gabinari
Alimentation végétaleDes produits pas si verts
Cranberries, noisettes ou encore baies de goji sont à l’honneur dans les rayons depuis quelques années. Mais derrière les beaux emballages verts se présentant comme bénéfiques pour la planète se cache une mise en avant savamment marketée, loin d’être synonyme de consommation responsable dans certains cas.
« Entreprise avancée en matière de développement durable », « recette végétale », « nous travaillons sincèrement »… Estampillées d’arbres et de fleurs, un flot d’étiquettes vertes et d’emballages en papier kraft s’est abattu dans les rayons des supermarchés. Dessous, des fruits secs (cranberries, noisettes décortiquées, baies de goji…) et leurs dérivés : boissons végétales ou produits à tartiner (beurre de cacahuètes, purée de sésame…). « Entre 2016 et 2019, les produits de type “graines” ont connu une croissance forte. Comparé aux autres, c’est le secteur qui a le plus augmenté, affirme Pascale Hébel, directrice associée de C-Ways, une société de conseil en marketing. La vente de jus végétaux, plus connus sous le nom de “laits”, se développe également beaucoup. »
Toujours « bio », « vertueux » et « engagés », ces produits, comme les desserts végétaux, figurent souvent en tête de gondole des supermarchés et des magasins bios. « De plus en plus de produits positionnés sur les créneaux santé et environnement sont arrivés sur le marché ces dernières années. L’idée est de créer un raccourci dans la tête du consommateur et de le déculpabiliser pour le pousser à l’achat : si c’est végétal, alors c’est bon pour la planète. Mais ce raccourci n’est pas toujours juste », explique Lydiane Nabec, professeure en sciences du management et marketing social à l’université Paris-Saclay.
Des aliments gourmands en eau
Effectivement, de nombreux facteurs entrent en compte pour réduire les impacts environnementaux de l’alimentation. Il suffit d’un rapide coup d’œil sous le logo Eurofeuille (un label européen qui caractérise les produits respectant le cahier des charges de l’agriculture biologique) pour s’en rendre compte. Sur les 13 fruits secs en sachet proposés à l’entrée d’une moyenne surface parisienne (chips de bananes, amandes effilées, poudre d’amandes, pistaches, amandes émondées, noisettes décortiquées, noix du Brésil, graines de sésame, abricots secs, cranberries, pignons de pin, noix de macadamia et gingembre confit), 8 proviennent d’une agriculture « non UE » (Union européenne).
« Certaines variétés ne sont pas adaptées aux climats tempérés que l’on retrouve en France. Par ailleurs, la main-d’œuvre est trop onéreuse et ne permet pas assez de rentabilité », précise Victor Walspeck, membre de l’association Maraîchage sur sol vivant. Arrivés par cargos et camions de Chine, d’Inde ou des États-Unis, ces aliments engendrent des pollutions liées à leur transport et à leur conservation. Mais la question du transport n’est pas le principal problème. D’après un rapport de l’Agence de la transition écologique (Ademe) (1), seules 13,5 % des émissions de gaz à effet de serre de l’alimentation des Français sont imputables au transport des denrées. « Ce n’est pas le transport qui a le plus d’impact, mais le type d’aliment et son mode de production », affirme Benoît Granier, responsable alimentation de l’association Réseau Action Climat France.
« Le gros enjeu de ces produits est leur empreinte eau », souligne Valentine Ambert, vice-présidente de l’association Terre citoyenne et solidaire. En effet, les fruits secs et les aliments transformés qui en découlent portent bien mal leur nom ! Selon le réseau Water Footprint Network regroupant scientifiques, entreprises et citoyens, la production de certains fruits secs fait partie des cultures les plus gourmandes en eau. Par exemple, 1 kg de noix de cajou consommerait 14 218 l d’eau. De même, les pistaches boiraient 11 363 l/kg, les amandes 8 047 l/kg et les noisettes 5 258 l/kg. À titre de comparaison, la laitue se contente de 237 l/kg et la pomme de terre, 287 l/kg. À ceci s’ajoutent des conditions de production particulières. « Produire 1 kg d’amandes consomme énormément d’eau, notamment issue de l’irrigation, car c’est une plante qui nécessite de la chaleur », précise Valentine Ambert, évoquant l’exemple de la Californie, principal exportateur d’amandes, où les producteurs n’ont d’autre choix que de pomper dans les nappes phréatiques.
Un imaginaire cultivé par les marques
« Les raccourcis type “végétal = bon pour la planète” sont soutenus par tout un imaginaire cultivé par les marques », indique Lydiane Nabec. Autrice de Nouvelles formes de consommation et nouveaux enjeux dans la protection du consommateur, elle a accompagné les recherches qui donneront lieu à la mise en place d’un affichage environnemental public dont le nom est encore en débat. La seule manière, pour elle, d’informer le consommateur de façon objective et de sortir de cette première impression positive qui accompagne systématiquement les produits végétaux.