ENQUÊTE

Pêche durableManger des poissons en bonne conscience

Acheter un poisson issu d’une pêche durable ? Ce n’est pas évident. D’après une enquête menée en grandes surfaces par l’UFC-Que Choisir pour trois espèces (cabillaud, sole, bar/loup), les étiquettes sur la méthode et la zone de pêche ne sont pas pas conformes dans deux tiers des cas : pas lisibles, mentions absentes... De plus, 86 % des poissons sur les étals sont pêchés selon des méthodes non durables ou dans des stocks surexploités. Mais comment, alors, identifier les espèces de poissons à manger en toute bonne conscience ?

Comment savoir si une espèce de poisson est menacée, ou si elle a été pêchée dans de bonnes conditions ? Et surtout, comment le savoir lorsqu’on se trouve devant l’étal du poissonnier ? Il est possible de faire jouer sa mémoire, en se remémorant les espèces victimes de surpêche. Mais ça ne suffit pas. Un poisson pêché durablement conjugue des stocks suffisants dans une zone géographique et à une période données, une méthode de pêche peu destructrice du milieu et permettant des prises ciblées sur les espèces recherchées, mais aussi des facteurs plus « humains » comme les conditions de travail des marins et le maintien d’une activité économique. Tour d’horizon des différents facteurs.

Quel est l’état des stocks de poissons ?

Il est compliqué d’appréhender précisément l’état des stocks car il s’agit d’une ressource sauvage, encore mal connue. Mais ne nous voilons pas la face, le bilan global n’est pas très bon. Face à l’appétit de l’humanité, une grande partie des populations de poissons sont sous pression. Et la situation ne s’arrange pas franchement... « L’état des ressources halieutiques marines a continué de se dégrader », constate la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) cette année encore (1). Les stocks exploités à un niveau biologiquement durable sont tombés à 67 % en 2015, contre 90 % en 1974. Ce qui signifie que le tiers des ressources sont surexploitées, « une situation pour le moins inquiétante », estime l’agence. Pour les ONG WWF et Bloom, il faudrait à tout le moins interdire la pêche minotière (intensive, destinée à fabriquer des huiles et farines de poissons pour l’industrie et l’aquaculture), mais aussi réduire la consommation de poissons dans les pays développés pour tendre vers les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé : 11 kg/an/personne, contre le double en France aujourd’hui.

L’UFC-Que Choisir recommande pour sa part « de diversifier les achats en privilégiant les espèces dont les stocks sont les plus fournis (par exemple lieu noir, merlan, hareng, maquereau) ».

Quelles zones géographiques sont surexploitées ?

Des progrès sont à noter dans les pays développés. Ainsi, la proportion de stocks exploités durablement est passée de 53 % en 2005 à 74 % en 2016 aux USA, et de 27 % en 2004 à 69 % en 2015 en Australie. La Chine, de loin le premier producteur mondial, a décidé une baisse des captures sur 2016-2020. En Europe, la situation s’est un peu redressée dans les zones de pêche européennes de l’Atlantique nord-est et des mers adjacentes, mais les progrès sont trop partiels. L’Union européenne (UE) a mis en place une politique commune de la pêche reposant sur trois axes : des quotas par zones de pêche et par pays, un encadrement des méthodes de pêches et la création d’aires marines visant notamment à protéger les zones de reproduction et les poissons juvéniles. Malgré un mieux par rapport aux années 1980, l’état des stocks reste encore très préoccupant pour de nombreuses espèces, du fait de quotas de pêche trop élevés, de zones de pêches trop vastes et de contrôles/sanctions peu dissuasifs. La situation reste particulièrement inquiétante en Méditerranée.

Dans les pays les moins développés, la situation s’aggrave franchement, du fait d’une surcapacité des flottilles, de prélèvements trop élevés (y compris de la part des flottilles des pays développés), mais également d’une plus forte demande internationale. Il faut savoir que plus du tiers des poissons pêchés sont échangés sur le marché mondial, et que les deux tiers de ces volumes sont absorbés par l’UE (qui importe les deux tiers de sa consommation), les USA et le Japon… Sachant que les principaux pays exportateurs sont la Chine, la Norvège, le Vietnam et la Thaïlande, alors que l’encadrement de la pêche en Asie en particulier laisse fortement à désirer.

Quelles espèces sont surpêchées ?

Parmi les 10 espèces les plus pêchées (l’anchois du Pérou, le lieu d’Alaska, le hareng de l’Atlantique, la morue de l’Atlantique, le maquereau espagnol du Pacifique, le chinchard du Chili, le pilchard du Japon, le listao, le pilchard sud-américain et le capelan), 77 % des stocks sont exploités à un niveau durable. Ce chiffre tombe à 57 % pour le thon, en partie du fait d'une surcapacité considérable des flottilles de pêche thonière.

En réalité, l’état des lieux est plus subtil, car il dépend de l’espèce, mais aussi des zones où elle est prélevée, de la saison de la pêche (hors des périodes de frai) et de l’année, plus ou moins favorable à la reproduction. Ainsi, les stocks de cabillaud (morue) sont en très mauvais état en mer d’Irlande et en mer Celtique, tandis qu’ils ont explosé dans le nord de l’Atlantique nord-est, au large de la Norvège et de la Russie, du fait de bonnes conditions climatiques, mais aussi des résultats des plans de gestion. Il n’est donc pas nécessaire de se l’interdire, à condition qu’il vienne bien de cette dernière zone. Mais le chinchard d’Europe et le capelan demeurent surexploités. Les sébastes et les espèces d’eaux profondes sont en probable surexploitation. Dans l’Atlantique nord-ouest, l'inquiétude persiste pour le cabillaud, la morue, le merlu, la merluche et l'églefin, dont les stocks ne parviennent pas à se reconstituer. En Méditerranée, le merlu, le rouget, la sole, le turbot ou encore la sardine, sont également surexploités. Bref, difficile d’y voir clair ! Pour contourner cette difficulté, l’UFC-Que Choisir conseille a minima « de proscrire les achats de poissons de grands fonds (notamment sabre noir, grenadier de roche, lingue bleue, empereur) du fait de la grande fragilité de ces stocks ».

Quelles sont les méthodes de pêche employées ?

Parmi les outils utilisés, certains ont un impact fort sur le milieu marin, en particulier ceux qui sont traînés sur les sols. C’est le cas du chalut de fond, un immense filet qui racle les sols pour en déloger les langoustines et les espèces profondes. D’autres, comme les lignes, les casiers, ou même les sennes sur banc libre, n’entrent pas en contact avec les fonds marins. Autre critère important : la sélectivité de la pêche, afin d’éviter de capturer les juvéniles ou les espèces à préserver.

Les engins actifs sont déplacés sur le fond ou en pleine eau pour capturer les animaux recherchés, à la manière d’une chasse aux papillons. L’engin passif ne bouge pas, d’où son nom d’engin « dormant ». C’est le mouvement des poissons qui les conduit à se faire prendre, à la manière d’un piège. Source Ifremer.

Les engins les plus invasifs sont contestés par les associations environnementalistes, qui n’hésitent pas à en cibler certains pour demander leur interdiction. Et l’ONU avait également demandé, dès 2006, que certaines techniques soient encadrées. Néanmoins la filière est consciente de la nécessité d’améliorer les techniques de pêche. Appuyée par l’Ifremer, elle teste et applique peu à peu des techniques moins invasives, sans pour autant en proscrire.
 

L'impact environnemental des techniques de pêche
Plusieurs critères sont pris en compte pour évaluer l’impact environnemental d’une technique de pêche. Les deux principaux sont l’impact sur l’écosystème (fonds marins et habitats) et la sélectivité des prises (ciblage ou non des espèces qu’on souhaite pêcher, et capacité à éviter de pêcher les espèces vulnérables pour lesquelles la pêche est interdite ou déconseillée).

Méthode de pêcheImpact sur les habitats
ou les populations de poissons, ou risque de surpêche
Sélectivité
des espèces pêchées
Qualité du poisson
(abîmé ou pas)
Zones de pêche
Chalut de fond et à perche            Des eaux côtières et jusqu’à 2000 m de profondeur
Drague            Zones côtières (fonds)
Chalut pélagique            Au large, de la surface jusqu’en eaux profondes
Senne sur dispositif à concentration de poissons            Eaux de surface en haute mer
Senne danoise            Eaux côtières
Palangre dérivante            Eaux de surface en haute mer
Palangre de fond            Zones côtières (fonds)
Filets maillants            Haute mer
Filets calés            Eaux côtières
Pêche à pied professionnelle            Estran et zones très peu profondes
Senne sur banc libre            Surface, des eaux côtières au grand large
Ligne de traîne et à main            Eaux côtières
Casiers            Eaux côtières

     Sans impact ou impact très marginal - très bon ciblage des espèces ou possibilité de les relâcher vivantes - très bonne qualité
     Impact modéré - ciblage des espèces convenable ou possibilité de les relâcher vivantes - bonne qualité
     Des impacts, mais d’ampleur circonscrite - captures non spécifiques - poissons abîmés
     Dégâts importants à très importants - nombreuses captures non spécifiques sans possibilité de les relâcher vivantes - poissons très abîmés ou écrasés
 

Pour ces différentes méthodes de pêche, leur impact sur l’écosystème ou leur sélectivité est étroitement liée à l’utilisation qui en est faite (à l’exception des grands chaluts, par nature non sélectifs, et trop souvent sources de surpêche) : une technique a priori vertueuse peut devenir dommageable entre des mains peu consciencieuses (par exemple des casiers ou des lignes relevés trop peu souvent) ; à l’inverse, un outil potentiellement impactant mais utilisé avec précaution peut être considéré durable (par exemple, possibilité de tri avec une senne coulissante).

Le chalutage en eaux profondes est l’un des chevaux de bataille de plusieurs ONG, dont Bloom, qui avaient lancé en 2013 une campagne alliant pétition et réseaux sociaux. En 2016, il a été interdit par l’UE au-delà de 800 m de profondeur. La drague est aussi dans le viseur pour la même raison. Les sennes (capture des poissons par encerclement à l’aide d’un grand filet) engendrent pour leur part de nombreuses prises non souhaitables, comme les requins, tortues, raies… Bloom estime qu’il serait plus efficace que le consommateur boycotte les poissons issus de méthodes de pêche impactantes, plutôt que d’essayer de mémoriser quelles espèces selon quelles zones de pêche. De plus, les engins « passifs », moins destructeurs du milieu, sont davantage utilisés par les artisans pêcheurs, alors que les engins « actifs » sont davantage du ressort des navires industriels. Pour WWF, il faut être plus nuancé, et plutôt « déconseiller certains engins, dans certaines zones et pour certaines espèces ». La ligne de l’UFC-Que Choisir est assez proche, conseillant « de préférer les méthodes de pêche les plus protectrices de la ressource (lignes, hameçons et filets) »

Il faudrait aussi valoriser toutes les captures, plutôt que de rejeter celles de moindre valorisation commerciale, donc apprendre à cuisiner et manger des poissons comme le tacaud, le merlan, la vieille. C’est toute l’éducation du consommateur qu’il faut revoir… Élargir l’offre présenterait aussi l’intérêt de faire baisser la pression sur les espèces les plus prisées. En grande surface, les trois quarts des achats se concentrent sur le cabillaud, le saumon et la crevette...

Aides à la décision : les logos sont-ils fiables ?

Il existe bien quelques tentatives pour orienter les achats, mais les logos sont rarement bien identifiés par les consommateurs. Le plus connu est le poisson sur fond bleu du MSC (Marine Stewardship Council), mais il est régulièrement critiqué pour des certifications parfois laxistes accordées à de gros navires ou des zones de pêche surexploitées. On peut effectivement s’interroger sur la certification « durable » du chalutage en eau profonde ou de la pêche minotière. Bloom juge sévèrement le MSC, estimant qu’il s’agit davantage de pêche « gérée », et que ce logo est devenu une barrière à une transformation en profondeur du secteur vers des pratiques réellement durables.

La pêche durable regroupe plusieurs piliers : environnemental, social (conditions de travail) et économique (activité de pêche à l’origine de ressources pour la population).

Logo « Pêche durable ». Lancé par le ministère de la Transition écologique en 2017, il prend en compte les trois piliers de la durabilité. Les audits sont en cours, et FranceAgriMer, l’Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, prévoit un affichage en poissonneries à partir de l’été 2019.

Logo « Pêche durable » du MSC : ce logo qui focalise sur les aspects environnementaux a été créé il y a 20 ans par le WWF et la multinationale de l’agroalimentaire Unilever, mais c’est l’association MSC qui le gère (financée par des fondations privées, des industriels, des distributeurs…). C’est le logo de loin le plus connu et le plus répandu au niveau international. En France, Carrefour, Ikea, Unilever ou encore Sodexo (no 1 de la restauration collective) utilisent la certification MSC.

La filière française de la pêche porte deux logos, France pêche durable et responsable (lancé en 2008) et Pavillon France (qui indique le pavillon français du bateau de pêche et garantit des conditions de sécurité, de travail ou encore de qualité sanitaire, mais pas de durabilité).

Il existe une série de petits labels plus simples, avec des cahiers des charges resserrés, qui soutiennent des modes de pêche artisanaux et locaux… Par exemple « Artysanal Pêche artisanale garantie » est porté par l’association Smart, qui s’appuie sur l’ONG Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche ; ou encore le label « Bar de ligne – Pointe de Bretagne », porté par l’Association des ligneurs de la pointe de Bretagne. Mais ils restent confidentiels et peinent à trouver un débouché en grande distribution, pénalisés par des volumes faibles et des prix plus élevés, et par l’ombre que leur fait le MSC.

Certains industriels et distributeurs ont aussi leur propre affichage, mais il ne s’agit pas de logos avec cahier des charges et certification.

Sans oublier le gaspillage…

Comme pour le reste de notre alimentation, une meilleure gestion des ressources passe aussi par la limitation du gaspillage. Selon la FAO, les pertes et gaspillages représentent 27 % du poisson débarqué !


(1) Situation mondiale des pêches, FAO, 2018.
Sandrine Girollet

Sandrine Girollet

Observatoire de la consommation

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