Marie-Noëlle Delaby
Charcuterie et cancerCancérogène, le jambon ?
Le classement des charcuteries au rang des produits cancérogènes par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en octobre 2015 a suscité la défiance des consommateurs vis-à-vis du jambon cuit, en dépit des efforts des industriels pour améliorer sa qualité. Décryptage.
Période de vache maigre pour le porc. Pratique et relativement abordable, le jambon blanc demeure la charcuterie la plus vendue en France où chaque semaine 78 % des adultes et 76 % des enfants en consomment, selon les dernières données du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc). Mais depuis un an, secoué par la crise des éleveurs de porc et éclaboussé par plusieurs scandales de maltraitance dans les abattoirs, le secteur des produits carnés est mis à mal. Avec pour résultat un recul de la consommation de viande passée de 153 à 145 g/j en 2015 selon l’Institut du porc (Ifip).
Des recettes qui s’améliorent
Moins salé et moins gras que naguère, le jambon blanc jouit pourtant d’une image plus saine grâce aux efforts des industriels qui en 30 ans ont sensiblement rehaussé sa qualité. Dans cette optique d’amélioration nutritionnelle, le nouveau code des usages de la charcuterie, prévu pour la fin mai 2016, devrait ainsi introduire des limites – jusque-là absentes – pour les lipides et le sel des jambons cuits supérieurs. Soit 830 mg/100 g pour le sodium (ce qui équivaut à environ 2 g de sel) et 4 g/100 g pour les lipides. Or beaucoup des jambons vendus en libre-service au rayon charcuterie répondent déjà à ces nouveaux critères.
Mise à l’index
Mais en octobre dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) inscrivait la charcuterie au rang des produits certainement cancérogènes (niveau 1). Cette mise à l’index fut largement relayée par la presse française et en quelques jours, une grande partie des consommateurs intégrait que la charcuterie était cancérogène. Ce qui entraîna le mois suivant une plongée des ventes de jambon cuit de 3,4 % par rapport à novembre 2014, tandis que les ventes globales de charcuterie affichaient une baisse en volume de 0,5 % sur un an, de février 2015 à février 2016.
Fraction de risque imputable
« La nouvelle a fait grand bruit mais on a largement passé sous silence le fait que ce classement ne concerne pas le niveau de risque de cancer lié à la charcuterie mais le niveau de certitude de ce risque. En d’autres termes, charcuterie et tabac sont tous les deux classés en niveau 1 car leur effet promoteur du cancer est clairement établi. Mais la fraction de risque imputable à leur consommation n’est pas la même : fumer augmente de 500 % le risque de cancer du poumon quand l’abus de charcuterie [plus de 50 g par jour selon l’OMS, ndlr] augmente de 18 % celui de développer un cancer du côlon », explique Fabrice Pierre, chercheur en toxicologie alimentaire à l’Inra de Toulouse dont le laboratoire étudie le lien entre alimentation et risque de cancer du côlon.
L’industrie cherche à mieux faire
« Nos travaux ont montré le rôle central que joue le fer de la viande (fer héminique) dans la promotion des cancers via la production d’aldéhydes, des molécules toxiques pour les cellules du côlon », détaille le chercheur. Or les nitrates et nitrites, présents dans le jambon pour assurer sa belle teinte rosée mais aussi pour limiter la prolifération des bactéries, agissent sur le fer héminique en le rendant plus prompt à former ces aldéhydes. Ces agents de conservation sont soumis à des limites règlementaires. Ajoutés dans les jambons directement sous forme de sels nitrités ou via un bouillon de légumes qui sont naturellement pourvus de nitrates, leurs quantités résiduelles dans le jambon ne doivent pas dépasser 250 mg/kg pour les nitrates et 100 mg/kg pour les nitrites. Mais l’industrie souhaite encore en diminuer l’usage. « Depuis 2005, l’Inra travaille avec l’institut du porc à l’amélioration des recettes afin de déterminer jusqu’où nous pourrions baisser les taux de nitrites pour maîtriser le risque cancérogène sans augmenter le risque bactériologique », précise Fabrice Pierre.
Alors que l’OMS précise que consommer 50 g de charcuterie par jour augmente de 18 % le risque de cancer colorectal, les adultes français en consommeraient en moyenne 40,2 g par jour, dont 13 g de jambon cuit, selon une enquête du Credoc.