ENQUÊTE

Additifs alimentairesLes dessous de notre évaluation

Que Choisir a mis en ligne en novembre dernier une base de données visant à fournir au lecteur des descripteurs de l’usage de chaque additif ainsi qu’une appréciation d’ordre sanitaire des risques potentiellement associés à leur consommation. Plusieurs structures ou individus se sont livrés ces derniers temps à ce type d’exercice, consistant à délivrer un avis sur les additifs inscrits à la liste positive des additifs autorisés dans l’Union européenne. Les travaux réalisés par l’UFC-Que Choisir ont ainsi pu se trouver associés à la critique d’autres publications ou outils, évoquant notamment l’absence de légitimité scientifique pour apporter un regard critique sur l’évaluation du risque sanitaire de la consommation d’additifs alimentaires. Soucieux d’affirmer le sérieux de notre démarche, nous apportons les réponses à certaines questions.

Sur quelles données avez-vous fondé votre travail et par qui a-t-il été réalisé ?

Sur une recherche bibliographique approfondie, dont les sources incluent avant tout les avis scientifiques rendus par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), les données d’usage de la Food Additives Database de la Commission européenne mais aussi des publications scientifiques issues de revues à comité de lecture. Notre équipe de travail est composée d’ingénieurs possédant à la fois la formation scientifique et l’expérience professionnelle leur permettant de comprendre les contenus de ces différentes sources et qui sont familiers des méthodes d’évaluation du risque appliquées en Europe et en France.

Notre évaluation de 329 additifs alimentaires

La liste des additifs autorisés est fixée par la Commission européenne, suite à l’évaluation de ceux-ci par l’Efsa. Quelle légitimité avez-vous pour apporter un jugement sur l'emploi de ces additifs ?

Nous n’avons pas vocation à nous substituer aux autorités sanitaires en charge de l’évaluation des risques pour ces substances. Néanmoins, notre travail se veut le reflet des limites rencontrées par l’Efsa elle-même dans son évaluation, notamment en termes de difficultés à collecter des données sur les additifs évalués, dont la transmission relève de la responsabilité des opérateurs industriels les produisant ou les utilisant. Ces limites portent également sur l’absence de prise en compte de certaines études du fait d’exigences méthodologiques très strictes. Notre lecture met aussi en évidence l’incompréhension que peut parfois susciter l’articulation entre avis scientifique rendu et décision politique au niveau de la Commission européenne, notamment lorsque de nombreuses données sont manquantes pour l’évaluation des risques. Ce point a notamment été mis en évidence lors d’un récent audit de la Cour des comptes européenne rendu public le 15 janvier dernier.

« Y a-t-il de bons et de mauvais additifs alimentaires ? »

Il est à noter que, contrairement à d’autres publications, notre base de données ne classe pas les additifs sous les termes de « bons » ou « mauvais ». Les noms des 4 catégories de notre classement ont été choisis avec soin (« Acceptable », « Tolérable, vigilance pour certaines populations », « Peu recommandable », « À éviter »), de même que leurs définitions. Ces catégories (symbolisées par les couleurs vert, jaune, orange et rouge) se veulent le reflet des risques relevés en lien avec la consommation de chaque additif.

Ainsi, les additifs classés rouge, soit « À éviter », regroupent les additifs pour lesquels les effets indésirables/néfastes identifiés par un faisceau d’études scientifiques nous semblent critiques. Très souvent un risque de dépassement de dose journalière admissible (DJA) est souligné, notamment au sein de populations sensibles. C’est le cas des colorants azoïques pour lesquels le message de mise en garde suivant doit être étiqueté sur les produits en contenant : « Peut avoir des effets indésirables sur l'activité et l'attention chez l'enfant ».

De nombreux acteurs de l’agroalimentaire opèrent d’ailleurs d’eux-mêmes un tri entre les additifs et cessent l’emploi de certains, comme Carrefour via son Act for Food ou encore M&Ms avec le retrait du dioxyde de titane E171 de ses confiseries. Fleury Michon quant à lui met en avant que son service de recherche et développement travaille avec une liste finie de 21 additifs qu'il s’autorise pour le développement de ses produits. 

Ne confondez-vous pas les notions de « danger » (1) et de « risque » (2) ?

Nous tenons au contraire compte des dépassements possibles de DJA mis en évidence par l’Efsa  – donc de notions d’exposition – et des dangers soulignés par diverses études qu’il nous semblerait important de réévaluer. En revanche, nous nous interrogeons parfois sur les décisions prises par la Commission européenne suite aux avis rendus par l’Efsa, ce que notre classement manifeste également.

La présence de plusieurs additifs dans un aliment fait-elle courir des risques aux consommateurs ?

Les additifs alimentaires sont évalués indépendamment les uns des autres et les contraintes méthodologiques d’une évaluation de l’ensemble des combinaisons d’additifs présentes dans nos aliments seraient considérables. Il semble néanmoins impossible de nier la potentialité de telles interactions délétères, puisqu’il est par ailleurs déjà démontré que l’interaction d’additifs avec d’autres molécules produit des composés secondaires toxiques (par exemple : nitrites + acides aminés qui donnent des nitrosamines). Dans son rapport sur les nouvelles recommandations PNNS 4, Santé publique France indique elle-même en parlant des produits ultratransformés qu’ils « contiennent de nombreux additifs [...] [dont on ne] connaît pas encore précisément l’impact sur la santé humaine. Par précaution, privilégiez les aliments sans additifs ou avec la liste la plus courte d'additifs. » Sur ce sujet, les recherches actuelles en épidémiologie nutritionnelle pourront peut-être permettre d’identifier les cocktails d’additifs les plus fréquents, potentiellement associés à des pathologies, et qu’il serait nécessaire d’étudier en priorité.

Si l’on compare votre base de données aux classements d’autres organismes, vos évaluations des additifs diffèrent, comment l’expliquez-vous ?

Les intitulés de classement de même que les grilles de lecture ne sont tout simplement pas les mêmes. Notre démarche est ainsi différente de celle de Carrefour par exemple, qui doit certainement intégrer un aspect de faisabilité technique : tous les additifs que nous classons « rouge » ou « orange » ne figurent pas dans leur liste de 100 additifs bannis. Nous classons ainsi comme « rouge » les nitrates/nitrites ainsi que le benzoate de sodium E211 alors que ceux-ci ne figurent pas dans la liste de Carrefour, probablement car il est difficile de s’affranchir de leur emploi dans l’ensemble des produits à marque Carrefour.

La démarche de Que Choisir sur ce sujet complexe des additifs alimentaires s’est donc voulue rigoureuse et transparente, avec pour but d’assurer la protection des consommateurs en exerçant son esprit critique sur les données publiques disponibles pour leur évaluation.

Comment nous avons procédé

L’exemple des additifs à base de phosphate

Les additifs à base de phosphate sont tous classés orange, « Peu recommandables », dans notre base de données. En effet, de récentes études ont montré une augmentation potentiellement néfaste du taux de phosphate dans la paroi des vaisseaux sanguins, qui augmenterait le risque de maladies cardiovasculaires (3). D’après l’étude de Rahabi-Layachi et al., « cette relation n’est pas encore clairement comprise, mais pourrait s’expliquer par l’augmentation constatée au cours de ces dernières années, de l’apport de phosphate inorganique alimentaire, présent dans les aliments transformés contenant des additifs phosphatés », en particulier en cas de maladie rénale. Il pourrait de même entraîner une aggravation de l’insuffisance rénale chronique.

L’Efsa a été amenée à se prononcer (4) sur une étude publiée en 2012 (5) par Ritz et al. sur le risque sanitaire des additifs à base de phosphates, accusés de favoriser les maladies cardiovasculaires et donc de contribuer à une hausse de la mortalité : « Il a aussi été démontré récemment qu’une concentration sérique élevée en phosphate constitue un biomarqueur indépendant de maladies cardiovasculaires et de mortalité en population générale. C’est pourquoi les additifs alimentaires phosphatés présentent un caractère préoccupant : leur impact potentiel sur la santé est susceptible d’avoir été sous-estimé. » Dans son avis, l’Efsa a estimé que les éléments présentés par l’étude de Ritz et al. ne permettaient pas d’établir un lien de causalité entre les niveaux de phosphates sériques et les risques cardiovasculaires observés, ni d’attribuer ces effets à une prise alimentaire accrue de phosphate d’ordre général, ou plus spécifiquement liée à la consommation d’additifs alimentaires vecteurs. Dans ce document, l’Efsa ne clôt toutefois en aucun cas le sujet et renvoie à sa réévaluation spécifique à venir des additifs à base de phosphates, prévue initialement avec une priorité forte pour fin décembre 2018.

Au vu de ces éléments et considérant la grande diversité d’additifs alimentaires vecteurs de phosphates (antioxydants, émulsifiants, humectants, stabilisants), la classification de ces additifs à base de phosphates comme « Peu recommandables » nous a donc semblé adaptée à la définition que nous avons fournie de cette catégorie, à savoir : « additifs pour lesquels un faisceau d’études scientifiques identifie un (ou plusieurs) effet(s) indésirable(s)/néfaste(s) ; bien que les niveaux de preuves pour certains de ces effets sur la santé humaine soient encore insuffisants et que, par ailleurs, les limites d’usage soient censées garantir la sécurité des consommateurs pour les toxicités avérées, il nous semble préférable d’éviter autant que possible leur consommation. »


(1) Le danger est la propriété intrinsèque d’une substance, d’un processus, d’une situation, d’un outil, d’un matériel, d’une personne… pouvant entraîner des conséquences néfastes, aussi appelés « dommages ».
(2) Il y a un risque lorsqu’une exposition au danger est possible, autrement dit s’il existe une probabilité qu’un dommage (ou conséquence néfaste : maladie, accident, blessure…) se produise effectivement.
(3) L’excès de phosphate peut-il s’avérer aussi dangereux pour le système cardiovasculaire que l’excès de cholestérol ? H. Rahabi-Layachi et al. Revue francophone des laboratoires  http://www.em-consulte.com/en/article/1019225
(4) Assessment of one published review on health risks associated with phosphate additives in food https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2013.3444
(5) Phosphates Additives in Food – A health risk, E. Ritz et al. Deutsches Arzteblatt International https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3278747/
Cécile Lelasseux

Cécile Lelasseux

Rédactrice technique

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