Concurrence sclérosée sur la production d’électricitéUn surcoût de 2,4 milliards d’euros pour les consommateurs
Alors que s’ouvre le débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit fixer la trajectoire d'évolution du mix électrique pour les années à venir, l’UFC-Que Choisir rend publique une étude exclusive sur la défaillance du marché de la production d’électricité et ses conséquences économiques désastreuses pour les 32 millions de foyers abonnés à l’électricité. L’association exhorte les pouvoirs publics à profiter de la PPE pour élaborer une régulation plus contraignante de l’activité de production, qui soit enfin bénéfique à l’ensemble des consommateurs.
Production d’électricité : la domination d’EDF se poursuit
Malgré deux décennies d’ouverture à la concurrence de la production d’électricité, l’opérateur historique EDF règne presque sans partage sur l’approvisionnement français avec plus de 86 % de la production, grâce notamment à son monopole sur le parc nucléaire. Les évolutions successives de la régulation1 de la production nucléaire n’ont pas permis de renforcer la concurrence sur l’activité de production. Ce quasi-monopole en amont permet à EDF une exploitation de ses capacités de production, notamment nucléaires, contraire aux intérêts des consommateurs.
Des capacités nucléaires sous-utilisées qui affectent les prix de marché de gros
Notre étude, qui a consisté à comparer les prix de marché de gros et l’utilisation des capacités de production2 pour trois pays (France, Allemagne, Royaume-Uni), révèle ainsi que le parc nucléaire opérationnel a été largement sous-utilisé entre 2012 et 2017. En effet, dans une logique concurrentielle, une centrale électrique devrait être utilisée dès lors que le prix de marché permet, a minima, de couvrir le coût du combustible. Or, on constate que si en France comme en Allemagne, les centrales nucléaires tournent à quasi plein régime (au-delà de 95 %) quand les prix de marché sont très élevés, les deux pays divergent lorsque les prix diminuent. Ainsi, à 12 € du MWh, soit approximativement le coût du combustible3, le taux moyen d’utilisation des centrales opérationnelles baisse en France à 83 %, quand il se maintient à 91 % en Allemagne. Cette sous-utilisation du parc nucléaire français est généralement compensée par l’emploi de centrales plus coûteuses (gaz, fioul, charbon), qui font augmenter les prix sur le marché de gros. Cela a permis à EDF d’engranger, selon nos estimations, une recette supplémentaire d’environ 3,2 milliards d’euros sur la période.
Un surcoût de 2,4 milliards d’euros qui fait disjoncter la facture des ménages
Au niveau des consommateurs, ces tensions de gros se répercutent sur les prix de détail. D’après nos estimations, ce sont ainsi 2,4 milliards d’euros de surcoût qui ont été supportés par l’ensemble des consommateurs particuliers, entre 2012 et 2016. Dans le détail, les abonnés au tarif réglementé de vente (TRV) chez EDF ont supporté un surcoût moyen de 71 € par consommateur, quand les clients des fournisseurs alternatifs ont vu leur facture gonflée de 109 € par ménage.
Des échanges transfrontaliers qui ne favorisent pas la concurrence
L’intégration progressive des marchés européens de l’électricité est censée favoriser la concurrence. En toute logique, la France devrait donc, dans la limite des capacités du réseau transfrontalier, importer lorsque le prix de l’électricité est inférieur dans les Etats voisins et, inversement, exporter lorsque les prix français sont plus compétitifs. Or, l’analyse des flux d’électricité et des différentiels de prix entre la France et l’Allemagne entre 2012 et 2017 montre que cette logique n’est plus respectée à partir de 2015. En effet, malgré un prix régulièrement plus compétitif en Allemagne, les importations sont restées anormalement faibles, ne permettant pas une baisse des prix français.
Ces constats mettent clairement en lumière l’incapacité de la régulation actuelle à garantir aux consommateurs un prix de l’électricité qui tire pleinement avantage de la compétitivité des capacités nucléaires historiques. L’UFC-Que Choisir, dans le cadre de l’élaboration de la PPE, appelle donc les pouvoirs publics à ne pas limiter le débat à la seule question de l’évolution de la part du nucléaire dans le mix électrique futur, mais à prendre également en compte la problématique de son fonctionnement. En effet, il apparaît essentiel de mettre en place un cadre réglementaire plus contraignant afin d’assurer un fonctionnement du parc nucléaire qui soit à la fois bénéfique aux consommateurs et qui n’hypothèque pas les objectifs environnementaux de long terme.
1 Loi de Programmation fixant les Orientations de la Politique Énergétique (Pope) en 2005 et la Nouvelle Organisation des Marchés de l'Electricité en 2010.
2 Données sur la production (RTE) et sur les prix (EPEX spot et EEX).
3 Plus précisément, il s’agit d’une évaluation par l’ADEME et par la Cour des comptes du coût variable du nucléaire, principalement constitué du coût du combustible.