Rosine Maiolo
Conflit de voisinageRéagir face aux nuisances d’un locataire
Dès lors qu’un propriétaire est informé des troubles de voisinage causés par son locataire, il doit agir. À défaut, sa responsabilité peut être retenue.
Quelle est la règle ?
Tout locataire est tenu « d’user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée dans le contrat de location » (art. 7b, loi du 6 juillet 1989), sous peine de risquer la résiliation du bail.
À qui s’adresser ?
Dans une copropriété, si vous êtes gêné par un voisin locataire, prenez contact avec son bailleur en passant par un copropriétaire pour avoir ses coordonnées. Une fois informé, le bailleur devra utiliser tous les moyens pour faire cesser les troubles. Peu importe qu’il y parvienne ou pas, sa responsabilité ne peut être engagée que s’il ne réagit pas.
Quels sont les moyens d’action du bailleur ?
Le propriétaire met d’abord son locataire en demeure de cesser les nuisances, via un courrier recommandé avec avis de réception pour apporter la preuve de son action. Si le bruit perdure en dépit de ses démarches amiables, il a la possibilité de saisir le tribunal judiciaire pour faire constater la résiliation du bail et obtenir l’expulsion du locataire. Les juges ne peuvent pas s’y opposer si le bail contient une clause de résiliation pour non-respect de l’obligation d’user paisiblement des locaux loués. En l’absence de cette clause, le bailleur devra assigner le locataire devant le tribunal judiciaire afin de demander la résiliation.
Que faire en cas d’inaction ?
Si vous constatez que le bailleur n’a pas réagi, sachez que la jurisprudence admet qu’un syndicat des copropriétaires puisse se substituer à un bailleur négligent. Il a le droit d’agir à sa place en résiliation du bail et expulsion d’un locataire ne respectant pas le règlement de copropriété. C’est l’assemblée générale des copropriétaires qui autorise le syndic à aller en justice. Cette action dite « oblique » contre le propriétaire et le locataire vise à faire résilier le bail. Un copropriétaire peut également directement agir contre le locataire indélicat (Cass., 3e ch. civ., 8 avril 2021, pourvoi n° 20-18.327).
Et si vous êtes vous-même locataire ?
Votre propre bailleur ayant l’obligation de vous assurer une « jouissance paisible » du logement qu’il vous loue pendant la durée du bail (art. 1719 du Code civil), il s’agit d’un interlocuteur de choix concernant toute question de bruit excessif. Pour la Cour de cassation, il est même responsable des troubles de jouissance que pourraient vous causer les autres locataires ou occupants de l’immeuble, et n’est exonéré de cette responsabilité qu’en cas de force majeure. Ainsi, dans une affaire, un office HLM qui n’avait fait qu’envoyer trois lettres recommandées à l’auteur des nuisances, sans prendre les mesures qui s’imposaient, a été condamné (Cass., 3e ch. civ., 8 mars 2018, pourvoi n° 17-12.536).
Le fléau des locations saisonnières
Plusieurs problèmes entachent l’énorme succès d’Airbnb : l’entreprise californienne est régulièrement accusée de faire grimper les loyers, et la location de courte durée que propose son service est souvent dénoncée dans les copropriétés pour les nuisances qu’elle cause. Victime de tels désagréments, vous pouvez agir. Relisez le règlement de copropriété et, le cas échéant, faites valoir le non-respect de la destination des lieux pour exiger la cessation d’une location meublée saisonnière. Dans l’idéal, regroupezvous avec d’autres copropriétaires. Mieux encore, inscrivez à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale une résolution donnant au syndic un mandat pour agir en justice afin de faire cesser les troubles et l’autorisant à demander des constats d’huissier.
En présence d’une clause d’habitation « exclusivement bourgeoise », c’est-à-dire si l’immeuble est uniquement réservé à l’habitation résidentielle, l’exercice d’une activité professionnelle ou commerciale est interdit. Toute la question est donc de déterminer la nature de l’activité de location meublée saisonnière : civile ou commerciale ? La position des juges a évolué sur ce point. La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 janvier 2024 (pourvoi n°22-21.455), a considéré dans une affaire que l’activité « n’était accompagnée d’aucune prestation de services accessoires ou seulement de prestations mineures » et, ainsi, ne revêtait pas « le caractère d’un service para-hôtelier ». Par conséquent, elle « n’était pas de nature commerciale ».
Cette décision vient-elle mettre un terme à la question qui agite les copropriétés depuis plus de 10 ans ? Pas tout à fait. Les juges ont défini le caractère commercial d’une location de courte durée : pour que l’activité soit ainsi considérée – et qu’il y ait violation de la clause bourgeoise du règlement de copropriété –, il faut s’attacher aux prestations de service proposées. Le caractère commercial n’a donc rien d’automatique…
Il serait inadapté de penser que cet arrêt autorise toute location de courte durée dans tous les immeubles. Seule une analyse au cas par cas est requise au regard de ces nouveaux critères, mais aussi du règlement de copropriété de l’immeuble. Par exemple, une clause invoquant « la jouissance paisible de son lot » peut être utile. Pour obtenir gain de cause, vous devrez rapporter la preuve que les troubles sont anormaux ou excessifs, notamment par le biais de constats de commissaires de justice ou de témoignages.
Le maire, vrai interlocuteur
Au plus proche des citoyens, le maire est en première ligne pour agir. N’hésitez pas à le solliciter en cas de nuisances sonores, d’autant que la réglementation lui a donné les outils nécessaires pour lutter contre le bruit et restaurer le calme. L’édile est en effet le garant du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publique dans sa commune. En premier lieu, il s’engagera probablement dans une voie amiable pour concilier les habitants. Sa démarche peut aussi être répressive. La police municipale doit réprimer « les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui gênent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique » (art. L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales).
Le maire a, en outre, des pouvoirs de police spéciaux qui lui permettent d’intervenir en cas de nuisances sonores. Il a ainsi la possibilité de prendre des arrêtés afin d’édicter des dispositions particulières plus sévères que les règles nationales. Par exemple, il peut prescrire aux propriétaires de chiens de prendre toutes les précautions pour empêcher les animaux de troubler le voisinage par leurs aboiements. Si le maire n’agit pas, c’est-à-dire qu’il n’exerce pas ses pouvoirs de police pour garantir la tranquillité publique au sein de sa commune, la responsabilité de celle-ci peut être engagée devant le juge administratif.
Bon à savoir Dès lors qu’il est lié à une activité professionnelle, le bruit, qui s’exprime en décibels – dB(A) –, doit être constaté par un appareil de mesure acoustique. Pour les bruits domestiques, cette mesure n’est pas obligatoire.
Avis d’expert
Parfois, nous parvenons à dénouer des situations avec des solutions sortant du juridique. L’idée, ce n’est pas qu’il y ait un gagnant et un perdant, comme dans un procès, mais que l’on trouve un accord gagnant-gagnant. Je pense à plusieurs cas concrets ayant abouti à ce genre de conciliations. D’abord, un arbre planté trop près d’une limite séparative, mais dont le voisin incommodé exige seulement de son propriétaire l’engagement de l’élaguer annuellement. Un juge, lui, aurait demandé son arrachage au terme d’une longue et fastidieuse procédure qui aurait anéanti les liens de voisinage… Ensuite, un moteur de climatisation, installé près d’une fenêtre voisine, qui crée des nuisances sonores, des vibrations. Eh bien, après discussion, les deux parties ont décidé de partager les frais de déplacement. Un juge, lui, aurait tranché en faveur de l’un ou de l’autre en qualifiant le trouble d’anormal ou non, sans pouvoir mettre en place un tel compromis. Enfin, dans une récente affaire, une personne rencontrait des difficultés pour entrer et sortir sa voiture de son garage en raison du véhicule de son voisin garé à proximité. Tout le monde sait que, dans les parkings souterrains, les emplacements sont de plus en plus petits et les voitures de plus en plus grandes. Alors que plus personne ne se parlait, je me suis rendu sur place pour constater le problème, et une solution de bon sens a émergé. Le propriétaire à l’origine de la gêne, qui possède deux voitures, a pris l’engagement de ne stationner à cet endroit que le plus petit des deux, afin de permettre à son voisin de manœuvrer plus aisément.
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