Rosine Maiolo
Conflit de voisinageLa loi reconnaît le trouble anormal
La nouvelle loi promulguée le 15 avril 2024 consacre dans le Code civil un principe posé par la jurisprudence : la responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage. Qui connaît toutefois des limites.
Être gêné par une nuisance ne suffit pas pour que le juge la fasse cesser. Afin d’intervenir en votre faveur, le magistrat doit considérer, au regard de la situation, que celle-ci est « anormale ». La responsabilité pour trouble anormal de voisinage, reconnue par les tribunaux depuis 40 ans, vient d’être inscrite dans la loi du 15 avril 2024 « visant à adapter le droit de la responsabilité aux enjeux actuels ».
Une notion créée par les juges
Dans les années 1980, les juges ont progressivement posé un principe : « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Cass. 2e Civ., 19 novembre 1986, n° 84-16379). Depuis, les tribunaux déterminent au cas par cas si telle ou telle gêne constitue bien un trouble anormal de voisinage. Pour cela, ils tiennent compte notamment des circonstances d’horaire (nuit ou jour) et de lieu (milieu rural ou citadin, zone résidentielle ou industrielle), mais aussi de l’antériorité du trouble. Les troubles de voisinage – qu’il s’agisse de bruits, d’odeurs, de fumées, de plantations… – entraînent ainsi la responsabilité de leur auteur, même en l’absence de faute.
Désormais dans le Code civil
Ce principe, bien établi par la jurisprudence, vient donc d’entrer dans la loi. Un nouveau chapitre, intitulé « Les troubles anormaux du voisinage », est inséré dans le Code civil. Le texte retenu par députés et sénateurs crée l’article 1253 du Code civil. Son alinéa 1 stipule : « Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte. » Mais pourquoi introduire dans les textes ce principe, qui existe déjà ? L’idée est de le rendre plus accessible et de renforcer la sécurité juridique des citoyens. La loi sera ainsi appliquée de façon plus homogène sur tout le territoire.
Comme aujourd’hui, il est prévu que l’auteur du trouble anormal de voisinage puisse s’exonérer de sa responsabilité si, précise l’alinéa 2, « le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. » Trois critères donc.
La loi insère aussi dans le Code rural et de la pêche maritime un nouvel article, L. 311-1-1, qui prévoit des exonérations spécifiques de responsabilité pour les activités agricoles. Lorsque le trouble provient d’une telle activité, il n’est pas anormal si celle-ci était antérieure à l’arrivée de celui qui s’en plaint (locataire, propriétaire…), si le professionnel a respecté les lois et règlements en vigueur et si son activité s’est poursuivie dans les mêmes conditions qu’avant, ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. Pas question pour de nouveaux habitants de s’opposer au bruit du tracteur, à l’odeur du bétail, au meuglement des vaches, etc., alors qu’un agriculteur était présent avant leur arrivée. La nouvelle loi entend créer les conditions d’un « vivre ensemble » équilibré et limiter les conflits entre néoruraux et paysans, acteurs économiques, culturels ou touristiques d’un territoire.
5 ans pour agir
L’action pour troubles anormaux de voisinage est soumise à la prescription de 5 ans. Dans une affaire, un homme, propriétaire d’un bien immobilier, assigne en justice la société de transport frigorifique voisine pour trouble anormal de voisinage lié à des nuisances sonores. Il réclame une indemnisation au titre de la perte de valeur de son bien immobilier. La Cour de cassation rejette son pourvoi en rappelant que l’action pour troubles anormaux de voisinage est une action en responsabilité extracontractuelle. Elle est aujourd’hui soumise à la prescription de 5 ans, et non de 30 ans. Or, la première manifestation du trouble remontait à 17 ans, sans qu’il y ait eu une aggravation des nuisances sonores depuis. L’action en justice ne pouvait donc pas aboutir (Cass., 2e chambre civile, 13 septembre 2018, n° 17-22474).
Le nouveau propriétaire responsable
Par ailleurs, cette responsabilité engage le propriétaire actuel et non la personne à l’origine du trouble. Par exemple, dans une affaire, des voisins se plaignaient d’infiltrations d’eau provenant de la propriété d’à côté qui avait été récemment vendue. Après expertise, il est apparu que ce trouble trouvait son origine avant la vente. Ainsi, la Cour de cassation a rappelé que la responsabilité des acquéreurs pouvait être retenue, peu importe qu’ils n’aient pas été propriétaires quand les infiltrations avaient commencé à se produire (Cass., 3e chambre civile, 16 mars 2022, n° 18-23954).
Il en va de même si les troubles ont leur origine dans des travaux réalisés par le précédent propriétaire. C’est cette règle qu’a rappelée la Cour de cassation dans une affaire où l’ancien occupant avait abattu des cloisons dans son appartement, opération qui avait provoqué un affaissement partiel du plancher de l’étage supérieur (Cass., 2e chambre civile, 11 mai 2017, n°16-14665).