Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
L’enquête Uber Files lève le voile sur le lobbying incisif mené par la plateforme américaine entre 2013 et 2017 pour entériner son modèle économique dans l’Hexagone. Ce dernier repose fondamentalement sur la mise en relation de consommateurs avec des chauffeurs VTC à la formation largement allégée.
Dans ce cadre, il est reproché à l’actuel Président de la République son implication dans le détricotage des conditions d’accès à la profession de chauffeur VTC. Les documents confidentiels révélés suggèrent que la fermeture par la plateforme de son service de taxis clandestins dit « UberPop » aurait été la contrepartie d’un arrêté interministériel laxiste pris en 2016. En effet, ce dernier a réduit le nombre d’heures de formation nécessaire pour exercer le métier de chauffeur VTC à 7, contre 250 initialement, ce qui a permis à Uber de développer très rapidement son business.
Là où le bât blesse, c’est que cette facilitation de l’accès au métier de chauffeur dont bénéficie Uber n’est pas allée de pair avec les exigences nécessaires quant à la responsabilisation des plateformes de VTC vis-à-vis de leurs clients. Pourtant, ces exigences auraient été particulièrement justifiées, puisque compter sur l’auto-responsabilisation des professionnels constitue bien souvent un vœu pieux. Preuve en est : à la suite d’une procédure juridique de longue haleine, l’UFC-Que Choisir a fait condamner Uber en raison de clauses abusives par lesquelles l’entreprise tentait d’échapper à sa responsabilité en cas d’accident ou de dysfonctionnement du service.
Il n’est donc pas tolérable que les autorités publiques participent par leur laxisme à établir un climat de déresponsabilisation des professionnels, a fortiori lorsque les enjeux en termes de sécurité sont loin de n’être que théoriques. En 2019, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et du CGEDD mettait ainsi en exergue la sur-sinistralité des VTC en matière d’accidents de la route, tout en déplorant l’inadaptation des systèmes d’observation actuels et l’absence d’obligation légale pour les plateformes de fournir leurs données d’accidentologie aux pouvoirs publics.
Cette absence de transparence ne concerne d’ailleurs pas uniquement les accidents si on se fie aux dénonciations de violences sexuelles qui se sont multipliées sous le #UberCestOver sur les réseaux sociaux. Si Uber dit s’être emparé du problème, faute d’un encadrement suffisant, l’entreprise n’a aujourd’hui aucune obligation de transparence sur l’ampleur de ces phénomènes en France.
Je tire donc une double leçon de cette séquence des Uber Files. La première est qu’elle doit provoquer une prise de conscience sur les modes de fonctionnement de certains lobbies et leur poids dans la décision publique. Si les lobbies transparents concourent au bon fonctionnement de la démocratie, les lobbies privés agissant dans l’ombre sont particulièrement pernicieux, puisqu’ils ne permettent pas que leurs argumentaires soient débattus, voire contestés, publiquement. La seconde est qu’il serait bon que les pouvoirs publics cessent de considérer que le développement des innovations technologiques doit se faire au pas de charge, en sacrifiant l’élaboration d’un cadre réglementaire permettant d’éviter aux consommateurs… d’aller dans le mur.
Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
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