Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
Sommée de se justifier sur les marges indécentes qu’elle pratique sur les fruits et légumes bio, la grande distribution nous ressert le faux argument du taux de marge unique.
Alors que chaque année apporte son nouveau lot de révélations sur la dangerosité des pesticides : néonicotinoïdes tueurs d’abeille, glyphosate cancérogène, chlorpyrifos déformant le cerveau des fœtus et j’en passe… les consommateurs, lassés d’attendre que nos gouvernants mettent en œuvre le principe de précaution, sont désormais de plus en plus nombreux à l’appliquer par eux-mêmes en se tournant vers le bio… malgré son prix.
Mais ce prix parfois très élevé est-il justifié ? C’est tout l’objet de l’étude que vient de publier l’UFC-Que Choisir démontrant que la grande distribution profite de l’aubaine en appliquant sur le bio des marges en moyenne 75 % plus élevées qu’en conventionnel, mais à des niveaux encore plus élevés sur les fruits et légumes les plus consommés : + 83 % sur la pomme de terre, + 109 % sur la tomate et + 149 % sur la pomme ! Or, cette politique de marge opportuniste a pour effet de rendre inaccessibles les produits les plus sains aux consommateurs les plus modestes, renchérissant de plus de 120 euros le budget annuel de la consommation en fruits et en légumes !
Contrainte par les médias de s’expliquer sur ces marges gargantuesques, la grande distribution n’allait évidemment pas reconnaître des pratiques en contradiction totale avec ses promesses d’un bio accessible à tous, martelées à grand renfort de publicités. Il était beaucoup plus habile d’enfumer certains journalistes peu au fait du sujet, d’une part en jetant le discrédit sur notre méthodologie, pourtant basée sur des données officielles (voir notre réponse point par point à ces critiques), et d’autre part en reprenant le vieux bobard du taux de marge unique. C’est vrai que, quand on ne connait pas trop les pratiques de la distribution, l’argument peut paraître séduisant : chaque produit serait revendu avec un taux de marge identique, et en conséquence, la marge en euros serait d’autant plus grande que le prix d’achat serait élevé. Car c’est quand même bien normal de marger plus sur une berline de luxe que sur une petite voiture, non ?
Petit pépin : si cette approche peut exister dans certains secteurs, c’est faux pour l’alimentaire. En effet, il n’y a pas ici un taux de marge unique, mais autant que de produits, soit une infinité. Rien que pour les fruits et légumes conventionnels, les taux de marge varient énormément : de 69 % pour la nectarine à 239 % pour l’oignon. Mais, me direz-vous, c’est quand même bien le même taux de marge entre la version conventionnelle et bio d’un même fruit ou légume ? Pas plus ! Jugez-en : pour l’oignon, l’ail, la carotte ou le melon, les taux de marge sont inférieurs en bio par rapport au conventionnel, à l’inverse les taux sont très supérieurs en bio pour la salade, la tomate, le poireau ou la pomme. Au passage, on remarque que la distribution pratique sur le bio les taux de marge les plus élevés pour les produits les plus achetés. Bref, loin d’utiliser mécaniquement un taux de marge unique, la distribution définit précisément le niveau de marge qu’elle applique sur chaque produit selon une logique strictement mercantile.
Et puis au fond, toute cette polémique n’est qu’une manœuvre de diversion visant à nous éloigner d’une réalité implacable : ce que paye le consommateur ce n’est pas un taux de marge, mais une marge en euros sonnants et trébuchants !
Dans cette jungle des politiques de marges, comment alors aider le consommateur à retrouver la banane ? L’UFC-Que Choisir vient de publier dans son numéro de septembre les niveaux de prix par enseigne où il apparaît que si la grande distribution est moins chère que la distribution spécialisée pour les produits d’épicerie, ce sont en revanche les magasins bio qui s’avèrent les moins chers pour les fruits et légumes. Pour éviter de se retrouver sans un radis à la fin du mois, je recommande donc aux consommateurs de faire jouer la concurrence encore et toujours en privilégiant les enseignes et les modes de distribution les plus compétitifs selon les rayons, sans oublier les circuits courts !
Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
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