Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
Décidément, les poissons d’avril auront été nombreux cette année, et parfois là où on ne les attendait pas… J’ai ainsi découvert le 1er avril que les courtiers appelaient à une réforme de l’usure… sous prétexte de protéger les emprunteurs les plus fragiles.
Pour rappel, la loi fixe un plafond tarifaire au-delà duquel les banques ne sont pas autorisées à prêter. Ce taux d’usure est obtenu en augmentant d’un tiers le taux moyen pratiqué à l’ensemble des emprunteurs. Dans la période de taux bas que nous connaissons, les courtiers relèvent que cette fourchette s’est réduite. Mathématiquement, il est vrai qu’ajouter un tiers à un taux de 1,5 % (0,5 point) n’offre pas les mêmes latitudes que pour un taux à 3 % (1 point).
De là à penser que l’usure nuit aux consommateurs, il y a un gouffre… mais les courtiers l’ont allègrement franchi quand ils soutiennent que, faute de pouvoir intégrer les frais de courtage et d’assurance emprunteur sans dépasser le plafond de l’usure, les plus vulnérables n’auraient plus accès au crédit. Si dynamiter l’usure pourrait rassasier la gloutonnerie des courtiers, cette réforme n’aurait aucun avantage pour les consommateurs. D’une part, elle ne résoudrait pas le cas des véritables exclus du crédit, à savoir les précaires aux revenus irréguliers (CDD, certains indépendants, etc.). D’autre part, elle aurait pour effet d’augmenter le coût du crédit pour les moins bons profils d’emprunteurs qui bénéficient actuellement à plein d’un mécanisme de mutualisation des prix.
On peut d’ailleurs douter du sérieux de cette attaque en règle en regardant en arrière quelques instants. En 2000 déjà, l’Association française des banques convoquait les mêmes prétendus effets pervers alors que les taux étaient quatre fois supérieurs à aujourd’hui ! L’administration avait d’ailleurs, dans un rapport public, balayé d’un revers de main ces arguments.
Au lieu de céder aux vieilles lunes des professionnels, si le Gouvernement entend agir en la matière, permettez-moi de rappeler quelques pistes qui, en plus de résoudre les cas atypiques d’exclusion, bénéficieraient à l’ensemble des consommateurs : lever les entraves à la mobilité bancaire qui sont à l’origine des taux singulièrement bas du crédit immobilier ; faciliter la concurrence sur les produits annexes au crédit, qui rentrent dans le calcul de l’usure, pour lesquels les marges demeurent très élevées, principalement l’assurance emprunteur et le cautionnement bancaire... Bref, en matière de taux d’usure, il faut arrêter les frais avec des vieux arguments usés et accorder de l’intérêt aux recettes qui fonctionnent.
Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
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