Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
Alors que les automobilistes subissent de plein fouet l’explosion des prix des carburants, le gouvernement vient de sortir de son chapeau une idée on ne peut plus étonnante : permettre aux distributeurs de carburants de légalement revendre à perte. Je ne peux manquer de noter qu’il s’agit-là davantage d’un attrape-nigaud que d’un projet volontariste à mettre au crédit de Bercy.
En dehors des soldes, un commerçant n’a pas le droit de revendre à perte, c’est-à-dire vendre un produit moins cher qu’il ne l’a lui-même acheté à ses fournisseurs. Cette interdiction vise logiquement à empêcher qu’un professionnel ne pratique des prix prédateurs visant à tuer la concurrence, pour pratiquer des prix abusifs une fois la concurrence à terre.
Ce cadre posé, le gouvernement considère qu’il doit donner la capacité légale aux distributeurs de revendre à perte le carburant, afin de permettre une baisse des prix. Une bonne nouvelle ? Pour ceux qui croient aux belles histoires, sûrement. La réalité est qu’un regard froid et lucide sur la situation impose de conclure à la tartufferie. Cette conclusion résulte de l’évidente réponse à la question suivante : perdre de l’argent est-il la raison d’être d’un commerçant ?
Je vois deux cas de figure potentiels si le gouvernement fait passer une loi permettant aux distributeurs de carburants de revendre à perte.
Premier cas : les distributeurs ne baisseront pas les prix, refusant tout simplement de revendre à perte, ce que certains annoncent déjà. Le gouvernement, désormais rodé à l’exercice, aura fait beaucoup de bruit pour rien.
Second cas : les distributeurs joueront le jeu (de dupes)… s’ils peuvent compenser le manque à gagner. De fait, pour les consommateurs, il s’agirait immanquablement d’un jeu à somme nulle. Ce que la grande distribution consentirait de la main droite sur les prix à la pompe, elle le récupérerait de la main gauche en augmentant les prix des produits vendus à l’intérieur de l’enseigne.
Alors que les prix des produits alimentaires explosent, est-il vraiment judicieux de mettre en place une mesure qui pourrait indirectement encore augmenter leurs prix ? Non. Mais ça ne serait pas un argument décisif pour que le gouvernement fasse machine arrière, puisqu’il est adepte des lois inflationnistes sur ces produits. Je rappelle en effet que depuis 2019, la loi oblige les distributeurs à réaliser une marge minimale de 10 % sur les produits alimentaires, mesure que combat inlassablement l’UFC-Que Choisir. Garantir d’un côté des marges, permettre de revendre à perte de l’autre… Quelle duplicité !
Plutôt que de faire de la prestidigitation sur le dos du pouvoir d’achat des consommateurs, le gouvernement serait bien inspiré d’agir véritablement sur les prix des carburants afin qu’ils ne soient pas artificiellement élevés. Des solutions très concrètes existent.
Si les distributeurs réalisent des marges indues, que celles-ci soient encadrées. Alors que les marges de raffinage s’envolent, que le gouvernement mobilise les instruments juridiques idoines pour corriger la situation, par exemple via une fiscalité qui frapperait les surprofits et permettrait de financer des mesures d’aide destinées à l’ensemble des automobilistes.
La fiscalité, justement, peut aussi être mobilisée pour agir directement sur les prix à la pompe. La hausse des prix des carburants bénéficie directement aux finances publiques, puisque plus les prix grimpent, plus la TVA collectée augmente. Une fiscalité modulable selon le prix du pétrole pourrait donc parfaitement être introduite. Il conviendrait également qu’enfin, le gouvernement mette un terme à l’aberration fiscale que constitue la TVA sur les taxes environnementales. Nous avions calculé que grâce à ce tour de passe-passe fiscal, l’État ponctionnait chaque année de l’ordre de 3,2 milliards d’euros sur le pouvoir d’achat des consommateurs.
J’appelle donc solennellement le gouvernement à mobiliser les véritables leviers qui permettront une baisse de prix structurelle des carburants, plutôt que de donner l’illusion d’agir pour le pouvoir d’achat des automobilistes.
Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
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