Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
Le Président de la République a annoncé hier les premières orientations qu’il souhaite donner au modèle agricole et alimentaire français, à mi-parcours des Etats généraux de l’alimentation. J’avais craint à leur ouverture que ces Etats Généraux ne soient qu’un prétexte pour faire avaler aux consommateurs des hausses de prix.
Si Emmanuel Macron a entendu le cri d’alarme de l’UFC-Que Choisir contre toute hausse injustifiée des prix, en plaidant pour un changement de paradigme, de nouveaux modèles agricoles et de consommation où le prix rémunère la qualité, il ne m’a néanmoins pas pleinement rassuré s’agissant du relèvement du seuil de revente à perte (SRP), cette idée curieusement promue par la FNSEA.
La guerre des prix est présentée comme une généralité et sert d’alibi à l’augmentation du SRP. Le Président Canivet l’a pourtant dit en incidente, cette « guerre » concerne essentiellement les produits de marque des grands industriels (Nestlé, Coca…). Elle ne concerne pas les produits agricoles non transformés, fruits, légumes, viande… pour lesquels les distributeurs prennent des marges moyennes de l’ordre de 50%. L’arbre des promos très ponctuelles sur un seul produit agricole ne doit pas masquer la forêt des prix peu justes de la grande distribution. Pire, notre étude sur les marges réalisées par la grande distribution sur les produits bio a montré que cette dernière se gavait, appliquant des marges doubles par rapport aux produits traditionnels, quand ça n’est pas plus. 1 euro de marge sur un poireau traditionnel contre 3 pour un bio ! Quelle légitimité ? Et surtout, seul un déficit de concurrence peut expliquer une telle situation. On est bien loin de la soit disant « guerre des prix » !
Le Président a cédé aux sirènes de la grande distribution et des gros industriels, curieusement relayées par la FNSEA, et a annoncé qu’il était favorable à une augmentation du seuil de revente à perte. Elle est cependant circonscrite aux produits alimentaires. Il a donc pris en compte notre alerte sur la hausse des prix que les consommateurs allaient subir sans aucun lien avec le monde agricole, comme celle sur le prix des couches culotte, de la lessive, des sodas etc…
Rappelons que cette mesure d’apparence technique a en réalité des répercussions très concrètes : elle reviendrait à rehausser artificiellement le prix minimal auquel les grandes surfaces peuvent vendre leurs produits d’appel (c’est-à-dire, encore une fois des milliers de produits de grandes marques). Seule l’UFC Que Choisir a mis sur la table une étude en la matière et lancé l’alerte. Le voile pudique des pouvoirs publics sur l’impact de cette mesure n’a pas été levé, et nous demandons expressément que celui-ci soit étudié avant toute décision.
Deuxième grande inconnue : comment les agriculteurs verraient-ils la couleur de l’argent promis par les promoteurs de cette mesure ? Il faudra donc que l’on m’explique par quel miracle le fait d’augmenter les marges des distributeurs sera bénéfique aux agriculteurs. Par quelle bénédiction l’inflation des produits alimentaires transformés fabriqués à l’étranger, ou en France à partir de matières premières agricoles étrangères (c’est courant), reviendrait dans la poche de nos agriculteurs. Enfin et surtout, pourquoi et comment le fait d’obliger les grandes surfaces à vendre plus cher leurs produits les amènerait à les acheter plus cher à leurs fournisseurs industriels, et conduirait ces mêmes grands industriels de l’agroalimentaire à rémunérer davantage les paysans pour la matière première ? Sachant par ailleurs que la part de la matière première agricole est souvent très minoritaire dans le prix total. Les leçons de la loi Galland, dans les années 90, auraient dû à ce titre être tirées : le relèvement du seuil de revente à perte qu’elle contenait s’était traduit par une inflation beaucoup plus forte en France qu’ailleurs en Europe de l’Ouest, mais aussi par… une augmentation de 54 % des marges de la grande distribution !
Si le Président Macron a indiqué qu’il ne sera pas question « d’un chèque en blanc », que la mesure serait conditionnée à une amélioration qualitative de l’offre faite au consommateur et à la certitude que cela « aille aux agriculteurs », nous n’avons pas de visibilité sur la manière et l’agenda pour y parvenir. Les choses devront être précisées d’ici la fin du premier semestre 2018, date annoncée de prise de décisions par voie d’ordonnances.
Comptez sur nous pour continuer à expliquer aux pouvoirs publics que cette mesure est une réponse inefficace, voire néfaste, au problème, bien réel, de revenu agricole pour bon nombre de filières, et que d’autres solutions faisant gagner agriculteurs et consommateurs existent… Ce qui est sûr c’est qu’il ne sera pas question d’accepter de simples engagements des professionnels. De véritables garanties devront être fournies.
Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
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