Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
La transposition de directives européennes via un véhicule législatif permet non seulement aux parlementaires d’avoir voix au chapitre, mais qui plus est de donner une certaine lumière aux enjeux et débats de cette transposition. A contrario, lorsque cette transposition s’effectue par voie d’ordonnance, cela se passe globalement à l’abri des regards. Dès lors, qui dit ordonnance, dit vigilance !
Un exemple récent met bien en évidence la pertinence de cette maxime consumériste. Une partie de la directive (UE) 2019/944 concernant des règles communes pour le marché de l’électricité est en passe d’être traduite en droit français via une ordonnance. Parmi ces dispositions, le projet, préparé par la Direction générale de l’énergie et du climat, envisage de laisser la possibilité aux fournisseurs d’électricité de lier contractuellement la fourniture d’électricité à la « fourniture d’équipements de maîtrise ou de pilotage de la demande, ou nécessaires à la réalisation d’économies d’énergie ». Il pourrait donc s’agir de dispositifs indiquant en temps réel la consommation électrique et son coût associé (ce que le compteur Linky aurait pourtant dû proposer sans coût pour les consommateurs !), voire peut-être même de travaux de rénovation énergétique qui seraient vendus en même temps que l’électricité via un unique contrat.
La mise en place d’une telle mesure serait non seulement inutile pour les consommateurs, mais qui plus est constituerait une dangereuse régression de leurs droits durement acquis.
Inutile, car si les fournisseurs d’électricité ambitionnent d’investir le marché de la maîtrise de la consommation énergétique, rien ne les empêche de le faire indépendamment de la fourniture de l’électricité. Dangereux, car en liant la fourniture d’électricité à celle d’un service, on limiterait très fortement la capacité des consommateurs à changer de fournisseur d’électricité.
Là est la morne subtilité du projet : qui dit offres liées, dit période d’engagement ! Le coût de l’équipement ou encore celui des travaux serait en effet lissé jusqu’à 3 ans. Si un consommateur devait résilier son abonnement d’électricité, il devrait alors payer des frais de résiliation correspondant à toutes les mensualités restantes liées à cet équipement ou à ces travaux. Or dans ces conditions, quel consommateur éclairé changerait de fournisseur d’électricité ? Comment en effet accepter de payer plein pot un dispositif de pilotage de la consommation qui ne serait pas compatible avec un autre fournisseur ? Comment accepter de payer d’un coup le lourd coût de travaux de rénovation énergétique quand son lissage est la seule option, pour de nombreux ménages, pour pouvoir les financer ?
Les partisans du projet diront peut-être que ce dispositif pourrait néanmoins donner un coup de fouet au développement de ces différentes offres visant à limiter la consommation d’énergie. Comment y croire, alors qu’elles peuvent comme je le disais être faites par les fournisseurs d’énergie indépendamment de la fourniture d’électricité ?
Non, en réalité ce projet, s’il devait être traduit en droit français (devait, car la transposition de l’article en question de la directive n°2019/944 est purement optionnelle), aurait pour unique conséquence de scléroser le marché de l’électricité en désincitant les consommateurs à changer de fournisseur. Franchement, on me dirait que cette initiative est le résultat d’un lobbying de fournisseurs d’électricité y voyant l’occasion de rendre captifs les consommateurs que je ne serais pas surpris ! Hasard ou coïncidence, on apprend dans la presse ce matin qu’EDF fait le forcing dans le développement des services énergétiques afin de compenser l'érosion de ses parts de marché dans la fourniture de l’électricité…
Evidemment, l’UFC-Que Choisir a fait part à la Direction générale de l’énergie et du climat de son hostilité quant au projet qu’elle porte. Cela étant, les risques identifiés n’ont pas semblé émouvoir outre-mesure cette administration. Cette dernière étant partie intégrante du Ministère de la Transition écologique, la Confédération syndicale des familles (CSF), Familles Rurales et l’UFC-Que Choisir font aujourd’hui parvenir un courrier à Barbara POMPILI, ministre de la Transition écologique pour l’alerter sur les effets potentiellement dévastateurs des offres liées, en espérant qu’elle saura, elle, être sensible aux arguments des consommateurs et à la préservation de leurs intérêts.
Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
La force d'une association tient à ses adhérents ! Aujourd'hui plus que jamais, nous comptons sur votre soutien. Nous soutenir
Recevez gratuitement notre newsletter hebdomadaire ! Actus, tests, enquêtes réalisés par des experts. En savoir plus