Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
Après les réactions de responsables d’Orange, ou encore de divers « experts », à propos de l’étude de l’UFC-Que Choisir consacrée à l’Internet fixe publiée la semaine dernière, je ne peux manquer de regretter un nouvel effet néfaste de la fracture numérique : l’impossibilité technique pour certains de nos contradicteurs d’accéder à notre étude.
En effet, je me refuse à considérer que la mauvaise interprétation de notre propos résulte d’une lecture biaisée de notre analyse… En tout état de cause, cette mauvaise interprétation impose une mise au point à très haut débit sur deux éléments fondamentaux.
Premier point d’importance, la fracture numérique prive aujourd’hui 7,5 millions de consommateurs d’un accès à Internet avec une qualité ne serait-ce que correcte. C’est un constat tout simplement désolant. Cette exclusion numérique est censée être dépassée en 2022 grâce au plan France Très Haut débit puisqu’il prévoit à cet horizon du très haut débit pour tous. Si notre étude montre qu’il sera difficile d’atteindre cet objectif, elle note également que l’autre objectif du plan qui vise une couverture de 80 % de la population en fibre optique, également en 2022, semble illusoire. La dynamique actuelle de déploiement de la fibre ne permettrait en effet de l’atteindre qu’en 2035. Il ne s’agit pas ici pour nous de noircir le tableau, mais simplement de constater que des investissements bien plus importants que ceux actuellement mobilisés seront indispensables pour rendre crédible un rapide accès de masse à la fibre optique.
Indépendamment de la question du très haut débit, l’urgence impose que les investissements de l’Etat visent prioritairement à rendre éligibles à un Internet de qualité ceux qui en sont aujourd’hui dépourvus. L’annonce estivale du Président de la République concernant son ambition que cela soit le cas dès 2020 ne peut donc que me réjouir, même si j’attends de voir de quel haut débit de qualité il s’agira. A titre d’exemple, une solution passant uniquement par le satellite (technologie à la fiabilité encore incertaine, et qui plus est chère) ne saurait répondre à l’exigence d’un accès de qualité et abordable pour les consommateurs.
Second point d’importance, d’après ses détracteurs l’UFC-Que Choisir regretterait la position dominante d’Orange dans les réseaux en fibre optique et sur le marché de détail. Ce n’est absolument pas le cas. Du point de vue du développement des infrastructures, on ne peut que se réjouir que les investissements consentis par l’opérateur permettent jour après jour à de nouveaux consommateurs de pouvoir accéder, s’ils le désirent, au meilleur de la technologie. Toutefois, il faut dépasser ce constat en s’interrogeant sur les effets à long terme de cette place de choix qu’occupe Orange dans la fibre optique.
Même si l’opérateur a l’obligation d’ouvrir son réseau à ses concurrents, à travers le cofinancement ou la location, rien n’indique que cela permette à cette concurrence de proposer des tarifs attractifs aux consommateurs sur le long terme. Bien au contraire, puisque notre analyse des offres de location de son réseau publiées par Orange montre que ce coût est deux fois plus élevé que le coût d’accès au réseau en cuivre ! Evidemment, cette analyse doit être complétée par celle des tarifs de cofinancement. Etant acquis qu’elle nécessite des compétences techniques poussées, l’UFC-Que Choisir a sollicité l’Autorité de régulation des communications électroniques pour qu’elle la mène. J’espère que nous pourrons bénéficier très prochainement des lumières du régulateur sur le sujet, étant entendu qu’une transparence sur le devenir de l’Internet en termes de coût d’accès pour les consommateurs est indispensable.
C’est d’autant plus indispensable que cet aspect est le grand oublié des débats publics. Que l’aménagement du territoire soit une priorité des pouvoirs publics est compréhensible, que leur réflexion occulte purement et simplement la question du prix de l’accès à Internet pour les consommateurs l’est bien moins. Deux éléments pour s’en convaincre. Deux rapports d’information. L’un mené par des sénateurs en 2015, l’autre mené par deux députés, publié mercredi dernier. Il est remarquable, et inquiétant, qu’aucun des deux rapports ne s’intéresse à cette question fondamentale de l’évolution des prix de l’Internet dans le cadre de la transition vers le très haut débit. Ce qui est encore plus inquiétant est que l’aspect consumériste est de moins en moins une préoccupation des pouvoirs publics, puisqu’aucune association de consommateurs n’a été auditionnée par la seconde mission, alors que la première s’en était donné au moins la peine.
Finalement, l’apport essentiel de l’étude de l’UFC-Que Choisir est peut-être celui-ci : rappeler à tous que le débat sur le devenir de l’accès à Internet ne doit pas rester la chasse gardée de l’Etat, des collectivités territoriales, et du régulateur. Les consommateurs, premières victimes de la fracture numérique et principaux contributeurs aux revenus générés par les opérateurs, doivent désormais être pleinement associés aux décisions qui structureront l’avenir du paysage de l’Internet en France. Comptez sur moi pour faire en sorte que cela soit le cas.
Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
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