Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
Telle était la question posée aux 8 intervenants de la conférence-débat organisée lundi par l’UFC-Que Choisir. Si les quatre heures d’échanges n’ont pas été suffisantes pour apporter toutes les réponses à cette question, les débats ont mis en lumière la nécessité évidente de se la poser.
Croissance, emploi, opportunités pour les entreprises… la place des « utilisateurs » finaux, des consommateurs est rarement abordée quand il s’agit de commerce international. Comme l’a évoqué la Présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, Danielle Auroi, dans son propos introductif, si le postulat de base trop souvent érigé en vérité est nécessairement un gain potentiel, la question se pose de savoir qui gagne et qui perd réellement dans cette affaire ? Le représentant de la Commission européenne a tenté une réponse en affirmant qu’il était selon lui un peu exagéré de parler de consommateurs « grands oubliés » par rapport à la réalité de ces accords. Tout le monde veut avoir plus de choix et à des prix plus abordables. Il a par ailleurs rappelé les engagements très clairs de la Commission sur le fait que rien dans ces négociations ne conduise à un abaissement des normes. Cette ligne rouge a également été défendue par la représentante de la DG Trésor qui a rappelé le socle de standards européens non négociables. Ces déclarations bienvenues doivent-elles cependant être prises pour argent comptant par le consommateur- citoyen qui , aux dires de la représentante du Medef devrait être pleinement rassuré et ne pas chercher plus loin…fustigeant au passage une salle conquise aux « anti-commerce ». Raillant la tendance ambiante selon laquelle « quand on est un peu contre, on est un peu c… », Yannick Jadot a dès le départ tenu à rappeler que ces nouveaux Traités n’étaient plus des accords de libre-échange, mais portaient bien sur des choix de société qui sont des choix démocratiques. Il apparaît donc légitime que chacun dans son rôle puisse faire valoir ses positions.
L’enjeu de la transparence a ainsi été âprement débattu dans le cadre de la première table ronde. Monique Goyens, directrice du BEUC, a tenu à acter les efforts de transparence certains faits dans le cadre du TTIP, contrairement au Ceta « négocié à l’ancienne ». Si tous les intervenants se sont accordés sur le fait que la transparence était une exigence aujourd’hui, l’enjeu du contrôle démocratique a été au cœur des discussions. La question, intentionnellement provocatrice du représentant de la Commission européenne de savoir si la mixité des accords, à savoir la nécessité de faire ratifier ces derniers par les parlements nationaux en fin de processus ne remettait pas en cause la légitimité démocratique du Parlement européen qui doit nécessairement ratifier ces derniers, est loin d’être anodine. C’est bien la place de ces instances démocratiques tout au long du processus de négociation qui est à repenser, à l’instar des propositions faites par le Président de la Commission des affaires européennes du Sénat Jean Bizet d’impliquer ces instances en amont, pour assurer un débat permanent. Car si la compétence exclusive de ces accords à l’Union européenne est certaine, le fait qu’ils touchent aux normes et donc potentiellement au droit à réguler des Etats membres soulève nécessairement des craintes légitimes.
Craintes débattues lors de la seconde table ronde dédiée à la coopération réglementaire et au règlement des différends investisseurs-Etats. Le besoin de trouver des relais de croissance à l’international pour les entreprises françaises et européennes, rappelé à juste titre par le Medef, tout comme l’intérêt d’un dialogue constructif entre les pouvoirs publics/autorités des deux côtés de l’Atlantique, rappelé par la DG Trésor, n’ont pas été remis en cause. Mais quelles garanties concrètes sont apportées aux consommateurs que cette coopération- fusse-t-elle volontaire, tout comme l’épée de Damoclès d’une plainte par un investisseur étranger- le dispositif fusse-t-il réformé, ne fera pas passer l’intérêt du commerce avant les enjeux de société, la protection du consommateur ? Car comme a tenu à le rappeler Madame Auroi, « quand tous les juges se posent des questions, il est légitime que nous nous en posions aussi ». Surtout quand on sait à quel point les approches réglementaires peuvent être différentes entre les deux continents sur un secteur donné, à l’instar de la sécurité alimentaire… Le manque cruel d’évaluation d’impact réel sur les bénéfices /risques pour les consommateurs participe à entretenir ce flou, tout comme le rejet par le Parlement européen la semaine dernière d’une proposition de résolution demandant un avis de la Cour Européenne de Justice sur la compatibilité du Ceta avec les traités de l’UE.
Alors que la tendance actuelle est plus au protectionnisme, au consommer local, à privilégier les circuits courts comme j’ai eu l’occasion de le rappeler : la mondialisation pose de plus en plus question car les enjeux ne sont plus seulement économiques mais aussi sociétaux. La place du consommateur-citoyen doit être au cœur de ces réflexions. Car pour reprendre l’opposition de M. Bizet sur l’état d’esprit des sociétés européennes par rapport aux sociétés anglo-saxonnes, entre « fatalité vs. opportunité », un juste milieu est certainement à trouver. Cet équilibre passe nécessairement par une redéfinition du commerce international et de ses modalités de négociations…un appel du pied aux négociateurs pour éviter les rencontres du troisième TTIP…
Alain Bazot
Président de l'UFC-Que Choisir
La force d'une association tient à ses adhérents ! Aujourd'hui plus que jamais, nous comptons sur votre soutien. Nous soutenir
Recevez gratuitement notre newsletter hebdomadaire ! Actus, tests, enquêtes réalisés par des experts. En savoir plus