BILLET DE LA PRÉSIDENTE

AmazonLe bœuf qui voulait se faire grenouille

Depuis le 25 août dernier, les très grandes plateformes et moteurs de recherche désignés comme tels par la Commission européenne doivent respecter les obligations renforcées du Règlement européen sur les services numériques, dit aussi DSA (pour Digital Services Act), qui prévoit une série de règles destinées à protéger les consommateurs contre les dérives marketing. Une bonne nouvelle me direz-vous ? Sauf que certains acteurs comme Amazon tentent d’y échapper…

Le DSA est avant tout connu pour son ambition de lutter contre la désinformation et la haine en ligne, mais il ne s’arrête pas là. En effet, il a introduit de nombreuses règles destinées à préserver les intérêts des consommateurs dans l’espace numérique. Par exemple, les dark patterns, ces fameuses interfaces conçues pour manipuler le libre choix des consommateurs, sont désormais expressément interdits. Les publications d’influenceurs comportant de la publicité masquée sont considérées comme des contenus illicites, au même titre que les discours haineux. Les recommandations basées sur l’exploitation des données personnelles des consommateurs doivent, quant à elles, pouvoir être désactivées sur les très grandes plateformes.

Amazon n’a visiblement pas envie de s’y soumettre. Le géant de Seattle a attaqué devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sa désignation par la Commission européenne parmi les 19 très grandes plateformes soumises à des obligations renforcées. Comme l’entreprise peut difficilement revendiquer de ne pas être « très grande » (c’est-à-dire d’avoir moins de 45 millions d’utilisateurs dans l’UE), elle affirme qu’elle ne peut être qualifiée de plateforme en ligne car elle générerait la majorité de son chiffre d’affaires grâce à la vente en ligne et ne serait donc rien de plus qu’un simple détaillant. Il suffit pourtant de consulter le rapport annuel de l’entreprise pour constater que ce n’est pas la vérité : en 2022, 53 % du chiffre d’affaires d’Amazon provenait de la vente de services et non de produits ! De toute façon, le DSA est clair : la désignation d’une très grande plateforme se fait uniquement sur la base du nombre de visiteurs, et non du chiffre d’affaires.

Cette impudence d’Amazon pourrait me surprendre… si je n’y étais malheureusement pas déjà habituée. Aujourd’hui, pour échapper à la réglementation, la plateforme se présente comme humble commerçant. Lorsqu’il est question de payer la taxe sur les surfaces commerciales, elle s’autoproclame simple logisticien. En réalité, le géant américain n’est pas que l’un, ni l’autre. Il est un site de vente en ligne, un fabricant d’appareils électroniques, une place de marché, un hébergeur (Amazon Web Services), un fournisseur de contenu en ligne (Prime, Twitch), une maison d’édition, une société de publicité, un studio de cinéma. Il est le leader incontesté du marché du e-commerce en France et se taille la part du lion du marché global de l’hébergement web. Qui peut oublier qu’Amazon est la quatrième plus grande entreprise au monde, représentant un des deux A dans GAFAM ?

Dois-je en dire plus sur les raisons pour lesquelles il est évident qu’Amazon doit être soumise aux règles prévues pour les très grandes plateformes en ligne ? Espérons juste que la CJUE tranchera rapidement la question pour mettre fin à cette piteuse tentative d’échapper à la réglementation… Malheureusement, Amazon n’est pas la seule à refuser de jouer le jeu d’une réglementation favorable aux consommateurs. Zalando a aussi attaqué devant la CJUE sa désignation comme très grande plateforme. Quant à celles qui semblent se conformer, il convient de relever certains stratagèmes bien critiquables. Par exemple, si Instagram donne désormais aux consommateurs la possibilité de désactiver les « contenus suggérés », le consommateur devra renouveler la manipulation tous les trente jours ! Une pratique compliquant inutilement l’exercice de leurs droits par les consommateurs qui est pourtant interdite par le même DSA qu’Instagram prétend respecter…

Soyez assurés que l’UFC-Que Choisir garde un œil attentif sur les grandes plateformes en ligne, et si elles tentent de passer sous les radars des nouvelles règles, nous n’hésiterons pas à attaquer en justice ces sorties de route. En tout état de cause, je tiens à rappeler que, dans le cadre de notre campagne #JeNeSuisPasUneData, nous mettons à disposition des consommateurs un outil leur permettant de découvrir ce que les plateformes en ligne savent sur eux et de reprendre la main sur leurs données personnelles.

Marie-Amandine Stévenin

Marie-Amandine Stévenin

Présidente de l'UFC-Que Choisir

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