BILLET DE LA PRÉSIDENTE

Pénuries de médicaments…Ou manque de courage politique ?

En 2022, il y a eu 1 602 ruptures de stock de médicaments et 2 159 déclarations de risques de ruptures. Jusqu’en 2017, on comptait moins de 500 ruptures de stocks par an et moins de 150 risques de rupture par an. En 2023, 37 % de nos concitoyens déclarent avoir été confrontés à des pénuries de médicaments. Et pourtant, depuis 2021, un décret, poussé par l’UFC-Que Choisir, est censé assurer des stocks suffisants de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Le ministre de la Santé, qui déplore la dérégulation du secteur, vient de faire adopter aux acteurs de la filière une charte reposant sur leur simple bonne volonté. Des mesures contraignantes seraient plus à propos qu’une charte gentillette, et le ministre aurait pu œuvrer pour une extension des pouvoirs de police sanitaire de l’Agence nationale de sécurité du médicament, comme le prévoit le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Devinez qui a déclaré, à propos des pénuries de médicaments, qu’on « constate une complète dérégulation du système de distribution, dans lequel certains acteurs cherchent à profiter du système », et qu’il fallait « stopper la dérive qui consistait pour certaines pharmacies à acheter directement auprès des industriels » (et non auprès des grossistes-répartiteurs) ? Un représentant d’ONG en lutte contre l’inaction des autorités, peut-être ?

Eh bien non. C’était le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, à l’Assemblée mardi dernier lors d’une question au gouvernement. Est-ce à dire qu’il a porté et fait voter une loi pour mettre fin aux dérives qu’il constate ?

Eh bien non. Le ministre s’est contenté de réunir les acteurs du médicament (l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), l’ordre et la fédération des syndicats des pharmaciens, les entreprises du médicament, les génériqueurs, les logisticiens de santé, et les grossistes-répartiteurs), qui ont adopté le 22 novembre une charte « pour un accès équitable des patients aux médicaments ». Or, une charte n’a aucun effet contraignant.

De ce fait, on y trouve de simples engagements dont on se demande encore pourquoi ils ne constituent pas des obligations de longue date : élaboration d’une plateforme pour s’informer de la disponibilité des médicaments, mise en place d’un dialogue constant entre l’ANSM et les acteurs du secteur, ou encore application d’une démarche éthique systématique excluant tout argument commercial au détriment de la santé publique. Encore heureux !

Quant à la question essentielle de l’accès aux médicaments, les grossistes-répartiteurs sont gentiment invités à assurer une répartition équitable des stocks dans les pharmacies sur l’ensemble du territoire national, et les pharmaciens sont priés de faire des commandes n’excédant pas de façon déraisonnable le besoin de leur patientèle. On pourrait sourire de voir ces points inclus dans une simple charte et non une loi… si le sujet n’était pas aussi grave.

Heureusement que les parlementaires sont là pour pallier la pusillanimité ministérielle. Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, la députée Stéphanie Rist a proposé un amendement étendant les pouvoirs de police sanitaire de l’ANSM en cas de pénuries. Cette disposition heureusement maintenue dans la version finale du budget de la Sécurité sociale doit permettre à l’ANSM de prendre enfin des mesures contraignantes !

Espérons également que le gouvernement ne cherche pas à masquer la réalité des difficultés croissantes d’accès aux médicaments auxquelles sont confrontés les usagers. En effet, une disposition actuellement prévue dans le PLFSS donne la possibilité de définir par décret la durée d’indisponibilité d’un médicament constituant une rupture d’approvisionnement.

Or celle-ci est déjà définie à 72 heures dans le Code de la Santé publique. Il serait inacceptable que cette durée soit allongée par décret, ce qui aurait pour effet mécanique de classer moins de médicaments en rupture d’approvisionnement ! Je le dis au ministre de la Santé : un tel « cachez cette rupture d’approvisionnement que je ne saurais voir » serait intolérable.

Marie-Amandine Stévenin

Marie-Amandine Stévenin

Présidente de l'UFC-Que Choisir

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