Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
Alors que la Commission européenne s’interroge sur le devenir des tarifs réglementés de vente de l’électricité, la question qui se pose actuellement est de savoir dans quelle mesure le Gouvernement défendra auprès de Bruxelles leur maintien, et leur nature.
Deux rapports sur le sujet qui viennent d’être rendus publics sont de nature à éclairer la position que prendra le Gouvernement : l’un de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), et l’autre de l’Autorité de la concurrence. Je ne vais pas faire ici l’exégèse de ces deux rapports, mais en résumé, ils s’opposent sur à peu près tout, et je le dis très clairement, je ne peux qu’inviter le Gouvernement à lire avec la plus grande prudence le rapport de l’Autorité de la Concurrence puisqu’il recommande de préparer la disparition des tarifs réglementés de vente (TRV) sur la base d’arguments moins valables les uns que les autres.
Autant l’Autorité de la concurrence a su être, et est toujours, l’alliée des consommateurs en ce qui concerne le fonctionnement de nombreux marchés (rappelons notamment que c’est elle qui, dans les pas de demandes de l’UFC-Que Choisir, a œuvré pour la création d’une quatrième licence mobile, pour la libéralisation de l’assurance emprunteur, pour déverrouiller le marché de la distribution du propane, et qui encore récemment a demandé des évolutions pour rendre plus transparent le coût de la recharge des véhicules électriques), autant – et je pèse mes mots – elle se fourvoie totalement dans ses préconisations concernant TRV, et plus largement sur le fonctionnement du marché en France. Quelques exemples ici.
Nous avons vu pendant la crise de l’énergie que la présence d’un TRV a été salutaire, permettant notamment à de nombreux consommateurs victimes de hausses massives de leurs factures d’y revenir. C’est un argument plaidant pour le maintien des TRV, pourtant balayé d’un revers de la main par l’Autorité qui argue que « Même si les TRV étaient supprimés, les pouvoirs publics conserveraient pleinement la capacité de les rétablir en cas de crise grave ». Qui peut sérieusement croire une seconde qu’en cas de nouvelle crise dans un monde sans TRV ces derniers seraient rétablis, et à fortiori dans des courts délais ?
Aussi, concernant le rôle social des TRV, il est plus que surprenant de lire que ce rôle pourrait parfaitement être assuré par d’autres dispositif dont le « chèque énergie [qui] permet, par exemple, le pilotage fin d’une politique sociale de l’énergie », alors même que les dysfonctionnements de ce chèque sont plus importants que jamais, seuls 5% des nouveaux bénéficiaires ayant à ce jour réussi les démarches pour y accéder.
Encore, se faisant de fait la porte-parole des fournisseurs alternatifs l’Autorité de la concurrence croit bon de noter que « Les TRV captent […] une partie importante de la demande et réduisent d’autant la taille des marchés adressables par les fournisseurs d’offres de marché ». Les « marchés adressables » par les fournisseurs alternatifs ne sont pourtant absolument pas réduits par les TRV. Le marché adressable est celui de l’intégralité des ménages, et si la part de marché des fournisseurs alternatifs ne croît pas aussi vite que le souhaiterait l’Autorité de la concurrence, c’est simplement en raison d’un libre choix des consommateurs qui doit être respecté.
Cerise sur un gâteau déjà bien indigeste, l’Autorité recommande même l’introduction d’offres prévoyant des indemnités de résiliation à la charge des consommateurs, qui ne pourraient alors plus changer à tout moment et librement de fournisseur. Ces frais de résiliation seraient, selon l’Autorité, « moins attentatoires à la concurrence que ne le sont les TRV » : mettre des chaînes aux consommateurs et un prix à sa liberté, voilà une idée bien farfelue pour une Autorité garante de la concurrence non ?
Dans son propre rapport, la CRE montre que les critiques émises par l’Autorité de la concurrence contre les TRV sont infondées en soulignant leur pleine compatibilité avec le droit européen et qu’ils ne sont en rien attentatoires à la concurrence. Elle les défend même explicitement lorsqu’elle « estime que les TRVE constituent à ce jour la seule incitation à proposer sur le marché de détail des offres dont le prix est lissé sur une longue période » (autrement dit des offres limitant en partie l’exposition des consommateurs à la volatilité des prix de l’électricité sur les marchés), et en considérant que « leur suppression constituerait un bouleversement difficilement acceptable par les consommateurs et dommageable à court terme pour le système ».
Chaque rapport est donc le négatif de l’autre, sauf sur deux points. Le premier, est qu’ils se rejoignent sur le fait qu’il est impératif d’enfin assurer que la concurrence puisse s’exercer dans les zones du territoire non desservies par le distributeur national (c’est-à-dire dans lesquelles la distribution est assurée par des entreprises locales de distribution -ELD) où des barrières à l’entrée empêchent de nombreux fournisseurs de proposer leurs offres. Le second est qu’ils limitent leur raisonnement sur les TRV tels qu’ils existent aujourd’hui, sans s’intéresser à ce qu’ils devraient être. Je rappelle à cet égard que si l’UFC-Que Choisir plaide pour le maintien des TRV, elle souhaite, comme les autres associations de consommateurs, qu’ils soient totalement redéfinis en étant basés sur les coûts de production de l’électricité en France, seul moyen d’assurer des prix raisonnables et stables pour les consommateurs.
Hasard du calendrier, une proposition de loi qui devrait être discutée demain à l’Assemblée nationale invite justement les députés à voter une réforme des TRV pour qu’ils soient basés sur les coûts de production. Je ne peux qu’inviter les députés, et plus largement les parlementaires, à graver dans le marbre législatif ce principe.
Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
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