Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
Les rapports, les livres et les enquêtes se suivent et se ressemblent. Depuis plusieurs mois, le secteur de la petite enfance est au cœur du débat public. Ses dérives et les maltraitances ne cessent d’être dénoncées, notamment via une étude de l’UFC-Que Choisir, et d’inquiéter, à juste titre, les parents.
Dans un récent rapport sur le sujet, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) notait un impensé des maltraitances dans les crèches, reformulé comme un refus de considérer que celles-ci puissent même exister… peut-être parce que c’est tout simplement inimaginable ? Et pourtant, le récent ouvrage de Victor Castanet – Les Ogres – donne corps à ces maltraitances, notamment dans des crèches privées, par un exposé précis et glacial d’évènements très concrets, (violences physiques, griffures, lésions d’empoignement), voire tragiques pouvant aller jusqu’au décès – une agente de puériculture à Lyon, excédée par ses pleurs, aurait forcé une jeune enfant à ingérer du déboucheur WC.
Et la défense la plus habituelle et la plus courante d’être avancée : ce sont des dérives individuelles et isolées. Ce sont les personnes qui sont en cause, et non les structures. Ce sont des cas tragiques, mais anecdotiques, loin d’être représentatifs de dérives récurrentes.
Non, ce n’est pas anecdotique. Ce qui se joue là ne saurait se limiter à des actes isolés. Sans écarter les responsabilités individuelles, il est nécessaire de considérer la dimension structurelle, voire institutionnelle, de ces maltraitances, résultant « au moins en partie, de pratiques managériales, de l’organisation et/ou du mode de gestion d’une institution ou d’un organisme gestionnaire, voire de restrictions ou de dysfonctionnements au niveau des autorités de tutelles sur un territoire », ce qu’indique la Commission nationale de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance.
Ce que montre l’ouvrage de Victor Castanet, dont certaines des approches font écho aux problématiques que nous avions mises en évidence l’année dernière dans une étude consacrée à la petite enfance, c’est une double dynamique à l’œuvre. Il y a d’abord une politique de rareté, voire de raréfaction de l’offre publique, au profit d’une offre privée à but lucratif. Or, cette offre privée étant soumise à des enjeux de profits et de rémunération des investisseurs, elle adapte son organisation et ses pratiques afin de dégager des marges. À la fin, ce sont les jeunes enfants qui en payent le prix, sous le regard bienveillant, car trop informé, des gouvernements successifs. Je ne peux d’ailleurs pas manquer de faire ici le parallèle avec le fait que cette logique nuisible frappe également le secteur des Ehpad, et donc nos aînés.
Au-delà de la maltraitance, se pose aussi la question des excès tarifaires et des déséquilibres contractuels. Dans le contexte de raréfaction des places, certains professionnels, usant de la situation déséquilibrée entre l’offre et la demande, ne manquent pas de s’octroyer de manière inadmissible certains droits pour gonfler les factures… Dans le cadre d’une enquête sur les clauses abusives dans le secteur de la petite enfance, la DGCCRF avait pointé plusieurs abus… Au vu des récentes alertes, l’UFC-Que Choisir lui a emboîté le pas, et va analyser les conditions générales de plusieurs grands acteurs, notamment People and Baby.
Nous refusons que la maltraitance, les excès tarifaires et le caractère potentiellement illicite de certaines clauses des contrats puissent être la norme dans ces périodes de fragilité de l’existence, que ce soit dans les premières ou dans les dernières années d’une vie. L’UFC-Que Choisir appelle plus que jamais la puissance publique à se saisir conjointement de ces deux sujets, tant les mécanismes en jeu sont similaires, pour terrasser ces ogres et fossoyeurs. Il est urgent de développer un réel service public de la petite enfance comme du grand âge. La puissance publique doit à la fois investir dans une offre de qualité, abordable, opposable et équitablement présente sur les territoires, et lorsqu’elle s’appuie pour cela sur des acteurs privés, assurer un réel contrôle de la qualité et de l’accessibilité financière de l’accueil et de la prise en charge.
Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
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