Erwan Seznec
Victimes du ForexUne lueur d'espoir
Dans le cadre d'une instruction en cours, la justice française a imposé une caution d'un million d'euros à la société de services de paiement Worldpay, en raison de ses liens supposés avec des plateformes de courtage en ligne. À défaut de neutraliser les acteurs du Forex qui font des milliers de victimes, la justice tente ainsi de s’attaquer aux sociétés qui leur permettent de prospérer.
Faute de coincer les escrocs du Forex, leurs prestataires techniques sont mis sous pression. Le 15 septembre, la deuxième chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a imposé à Worldpay de verser un million d'euros de caution. Cette grande société américaine est mise en examen depuis juin (après avoir été placée sous le statut de témoin assisté) pour « complicité d'exercice illégal de l'activité de prestataire de paiement ». Elle aurait fourni ses services de paiement à des plateformes de courtage en ligne franco-israéliennes peu recommandables comme BForex, Aston Market, FXgm, 4XP, Sisma Capital, Tradaxa...
Deux juges du pôle financier, Aude Buresi et Guillaume Daïeff, travaillent sur ce dossier. Le juge Buresi s'est rendu en Israël en avril 2016. Les autorités israéliennes coopèrent activement avec les pays qui en font la demande dans ce domaine. Dans un entretien au Times of Israel du 16 août 2016, Shmuel Hauser, président de l’Autorité des titres israélienne, s'est déclaré « dégouté par la fraude au Forex en tant que régulateur mais aussi en tant que citoyen ». L'État d'Israël a interdit aux sociétés installées sur son territoire de prospecter sur le marché national, ce que le gouvernement français se refuse à faire, malgré les suggestions en ce sens de l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Régulièrement critiquée pour sa présumée lenteur, l'AMF a mis sous surveillance les annonces publicitaires liées au Forex dès le printemps 2011. Il convient par ailleurs de souligner que l'instruction en cours, si elle a des prolongements en Israël, vise d'abord des ressortissants français. Certains sont connus de longue date des services de police. C'est le cas de Yigal Félix Haddad, patron d'Aston Market, incarcéré pendant cinq mois en 2015 pour malversations financières présumées, puis relâché.
Des assignations contre les banques
Inscrite au barreau de Paris et de Tel Aviv, Déborah Abitbol fait partie des avocats qui suivent le dossier pour les parties civiles. Sans espoir de coincer les acteurs du Forex, explique-t-elle, « nous avons engagé la responsabilité des banques. Vous avez un client, pas spécialement fortuné. Toutes ses économies sont siphonnées en deux mois par des virements en direction de l'étranger. Elle laisse faire. La réglementation est claire, une banque doit signaler les mouvements anormaux ».
En janvier 2016, l'avocate Hélène Féron-Poloni, représentant une quinzaine de victimes, a assigné devant le tribunal de commerce la Royal Bank of Scotland, le Crédit agricole, la Société générale et le Crédit mutuel, pour avoir manqué à leur devoir de vigilance. Ces procédures civiles sont distinctes de l'instruction pénale, mais elles ont de nombreux points communs (1) : mêmes sociétés, même mode opératoire et, souvent, mêmes intermédiaires financiers.
Le million d'euros de caution de Worldpay est une goutte d'eau au regard de l'ampleur du préjudice. François Molins, procureur général de Paris, l'estimait à quatre milliards d'euros en avril 2016 ! De nombreuses victimes du Forex ont renoncé à obtenir réparation. Il est encore temps pour elles de se constituer partie civile, sans garantie de résultat. Les intermédiaires financiers devraient néanmoins comprendre le message et refuser les clients trop sulfureux, à l'avenir. « Les loups de Tel Aviv sentent la fin approcher mais profitent de la fête tant qu'elle dure », titrait le Times Of Israel le 13 août à propos du Forex. Elle a déjà trop duré.
(1) À ne pas confondre avec une autre affaire du Forex. Les autorités de contrôle britannique, suisse et américaine ont infligé une amende de 3,4 milliards d'euros aux banques UBS, HSBC, Royal Bank of Scotland, Citigroup, JP Morgan et Bank Of America en 2014 pour malversations sur le marché des changes, mais ce dossier ne concernait pas les particuliers.