Vente-privee.comDes soupçons de fausses promotions
Le 15 février dernier, Jacques-Antoine Granjon comparaissait devant le tribunal correctionnel de Bobigny. L’emblématique patron de Vente-privee.com, devenu Veepee en 2019, a dû s’expliquer sur des accusations de fausses promotions pratiquées sur son site. Compte-rendu d’audience.
En créant le site de déstockage Vente-privee.com en 2001, Jacques-Antoine Granjon a trouvé la recette magique pour vendre des articles que les marques n’avaient pas réussi à écouler, grâce à des descriptifs alléchants, un accès réservé aux seuls membres, des ventes limitées dans le temps, des prix attractifs… mais surtout, grâce à des réductions importantes de 50 à 80 %.
Mais ces ristournes sont-elles toujours réelles ? Après avoir reçu plusieurs plaintes de consommateurs, la Direction départementale de la protection des populations de Seine-Saint-Denis (DDPP93) a mené l’enquête. À partir de 2015, les inspecteurs ont surveillé l’activité du site, interrogé des fournisseurs et saisi des documents lors d’une descente au siège de l’entreprise. De ces investigations, il en ressort plusieurs reproches, parmi lesquels le fait pour Vente-privee de tout mettre en œuvre pour afficher des prix de référence, et donc des décotes, les plus élevés possibles. Les agents de la DDPP93 s’appuient pour cela sur des échanges de mails, comme celui d’une responsable expliquant à un fournisseur que « 5 points de discount en moins [engendraient] 20 % de volumes [de vente, ndlr] en moins », ou encore celui de Jacques-Antoine Granjon lui-même demandant à ses directeurs commerciaux de « mettre une très grosse pression [à leurs équipes] sur la décote ». « Beaucoup de petites ventes moyennes ne proposent pas de décotes suffisantes à nos membres. Toutes celles qui ont de fortes décotes sont couronnées de succès », ajoutait-il.
Les enquêteurs de la DDPP93 ont aussi constaté que des commerciaux de Vente-privee.com étaient prêts à tout pour que les clients ne puissent pas comparer leurs prix avec d’autres sites. Certains auraient ainsi demandé à leurs fournisseurs de retirer de leurs pages des produits que Vente-privee.com vendait aussi, d’aligner leur prix de référence sur celui de Vente-privee ou encore de mettre fin à des promotions qui leur faisaient concurrence. Des commerciaux seraient même allés jusqu’à demander la suppression de la référence de certains produits afin d’empêcher l’identification des produits et donc toute comparaison de prix.
« 350 000 € en 3 heures. Difficile d’arrêter. »
Dans son rapport très complet, la DDPP93 donne parmi d’autres exemples celui d’une vente de valises de marque Platinium vendues avec une forte décote, mais finalement au même prix que sur Amazon et Rueducommerce, et même plus cher que sur Cdiscount. Dans un mail rendu public, Xavier Court, cofondateur de Vente-privee, avait confié à son associé Jacques-Antoine Granjon que les prix publics de Platinium étaient « du grand n’importe quoi », mais reconnaissait qu’avec « une décote dingue », la vente ne pouvait être « qu’un succès ». Xavier Court avait aussi alerté sur les nombreuses remontées de clients mécontents de la qualité des produits au vu du montant substantiel des prix de référence. À ces éléments, Jacques-Antoine Granjon avait répondu : « Le dilemme, c’est que c’est quasiment la plus grosse vente du jour. 350 000 € en 3 heures pour des valises inconnues. On va finir à plus de 600 000 €. Pas facile d’arrêter. » Ce à quoi la directrice commerciale de la société avait ajouté : « Ces 6 millions d’euros sur 16 opérations sont pour moi un business non négligeable. » Ces échanges tendent à montrer que les responsables de l’entreprise étaient conscients du caractère trompeur de cette vente. À la barre, Jacques-Antoine Granjon a reconnu que quelques opérations avaient pu poser problème, mais assuré que ce n’était plus le cas aujourd’hui.
10 personnes pour trouver les prix les plus hauts
La DDPP93 a enfin souligné l’activité ambivalente de la cellule veille de Vente-privee. Créée à l’origine pour vérifier la réalité des prix de référence, cette équipe composée de 10 personnes semble s’être petit à petit détournée de sa mission initiale. Les enquêteurs de la DDPP ont en effet recueilli des éléments semblant prouver que leur rôle consistait en réalité d’une part à justifier l’usage de prix de référence les plus hauts possibles, et d’autre part à aider les équipes à déterminer les prix de vente en cherchant les prix de vente les plus bas pratiqués sur Internet. Face à ces accusations, le patron de l’entreprise et la directrice juridique de la société ont affirmé que ces actions ne visaient qu’à prouver aux autorités la véracité de leurs prix de référence, comme l’imposait la loi. « Il a pu y avoir un manque de discernement, quelques erreurs, mais il n’y a pas de système visant à augmenter artificiellement les prix de référence », a asséné Jacques-Antoine Granjon.
Les réquisitoires et les plaidoiries se tiendront le 18 mars. Le verdict n’est pas attendu avant plusieurs semaines.