Anne-Sophie Stamane
Plus de cyclistes, plus d’accidents, plus de morts
L’essor du vélo, amorcé au début des années 2010 avec les systèmes de libre-service dans les grandes villes, confirmé par l’explosion des ventes de vélos électriques, s’est renforcé avec la crise du Covid. Malheureusement, la mortalité a suivi la même pente ascendante. Les routes de campagne sont les plus meurtrières, principalement en raison de la différence de vitesse entre les véhicules impliqués.
La pratique du vélo en forte augmentation
Il n’a échappé à personne, du moins dans les grandes métropoles et alentours, que le nombre quotidien de cyclistes a véritablement explosé. Et rien ne douche l’enthousiasme : ni les fortes chaleurs en été, ni les intempéries hivernales ! Difficile de donner un chiffre exact, les données disponibles ne sont que des estimations. En 3 ans, la pratique aurait augmenté de 20 % en agglomération, où elle avait déjà décollé grâce aux divers systèmes de vélos en libre-service. La campagne n’est pas en reste, mais elle part de plus loin, le phénomène est moins visible : il y aurait, depuis 2019, 18 % de cyclistes en plus sur les routes hors agglomération.
La crise du Covid est sans doute pour beaucoup dans l’engouement pour la petite reine, qui évite d’avoir à fréquenter les transports en commun, ainsi que la volonté de s’activer ou de moins utiliser la voiture pour de petites distances. L’arrivée du vélo électrique sur le marché a également fortement pesé dans la balance, en mettant la pratique à la portée de populations moins à l’aise avec le vélo, ou rebutées à l’idée de transpirer à la moindre côte ou face au vent. Enfin, la création d’infrastructures dédiées, essentiellement en milieu urbain, la sécurise de plus en plus.
Des décès en hausse
Malheureusement, l’importante progression de la pratique génère aussi une élévation du nombre d’accidents et des décès chez les cyclistes. Jusqu’alors, le nombre de morts gravitait autour de 140 à 170 décès par an, soit une part somme toute faible des 3 000 morts sur les routes, tout mode de déplacement confondu. Depuis 2019, l’évolution est sensible, le chiffre des morts à vélo a bondi. Les décès de cyclistes ont augmenté de près de 38 % depuis 2019. En 2022, selon les statistiques de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), il y a eu 245 décès de cyclistes, contre 187 en 2019. En 2010, il y en avait 98 de moins…
En ajoutant les 35 décès d’usagers de trottinettes et autres engins de déplacement personnel motorisé (EDPM), la hausse atteint 90 % en 12 ans. Au total, en tenant compte de la durée des trajets, le vélo s’affiche comme un mode de transport plus exposé aux accidents mortels que la voiture et que la marche. Il pèse 3 % du temps de circulation mais 7 % des tués. Il reste toutefois très loin derrière le deux-roues motorisé.
Surtout des hommes, catégorie senior…
Plus encore qu’en voiture, les hommes sont nettement plus touchés par les accidents mortels à vélo : 87 % des tués sont des hommes (213 sur un total de 245 en 2022). Une donnée qui s’explique ici en grande partie par une exposition plus importante : ils roulent plus que les femmes, puisqu’ils représentent 74 % du temps de circulation à vélo. Près de la moitié portaient un casque vélo, signe qu’il ne faut pas surestimer la protection apportée par cet accessoire, surtout face à des véhicules de 1,5 tonne lancés à 80 km/h. L’âge semble un facteur de risque important : 64 % des cyclistes tués sur leur vélo avaient plus de 55 ans. À vélo électrique, 67 % des tués avaient plus de 75 ans. Les décès surviennent essentiellement lors de sorties loisir, beaucoup moins sur le trajet pour aller ou revenir du travail.
… sur des routes de campagne
La densité du trafic automobile en ville et la difficile cohabitation entre modes de transport laisse penser que la pratique du vélo y est plus risquée. En réalité, les routes de campagne sont plus mortelles pour les cyclistes que les pistes cyclables des métropoles. S’y produisent plus de la moitié des décès à vélo, pour une part de la pratique à l’évidence bien moindre.
Plus étonnant encore, les décès se produisent la plupart du temps dans des conditions normales : 77 % en plein jour, 69 % en dehors de tout croisement, 87 % sur route sèche. Des chiffres corroborés par les récents accidents mortels signalés dans la presse régionale : ils résultaient d’une collision par l’arrière, lors d’un dépassement où l’automobiliste n’avait pas respecté la distance de sécurité. La différence de vitesse entre une auto roulant à 80 km/h et un vélo explique certainement la gravité des accidents hors agglomération, de même qu’a contrario, la faible vitesse de circulation en ville la limite. À noter, 85 cyclistes meurent sans tiers identifié, c’est-à-dire sans qu’un autre véhicule n’ait été impliqué : soit il s’agit d’une chute après avoir glissé ou heurté un obstacle, soit d’un malaise, ou encore d’une chute après avoir évité un autre véhicule qui ne s’est pas arrêté.
Séparer les cyclistes des automobilistes ?
Les caractéristiques des accidents graves (86 % des décès hors réseau cyclable, collision mortelle contre des véhicules roulant à pleine vitesse sur route partagée) montrent l’intérêt de sécuriser les déplacements cyclistes par des infrastructures dédiées. Reste à faire progresser l’idée, dans un contexte où l’État s’implique peu financièrement dans les aménagements cyclables, et où les départements rechignent à engager leur budget pour une pratique jugée trop marginale.