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Transports franciliensPourquoi le pire est à venir

L’analyse des permis de construire de logements et de bureaux délivrés ces deux dernières années dessine une aggravation inéluctable de la saturation des transports franciliens aux horaires de bureaux. En particulier sur le RER A et sur la ligne 13.

La saturation de certaines lignes de transports en commun en Île-de-France tient largement à un vieux problème de répartition des logements et des bureaux, connu sous le nom de « déséquilibre est-ouest ». Schématiquement, les bureaux sont dans les arrondissements de l’ouest parisien (16e, 8e) et dans les Hauts-de-Seine (La Défense, Nanterre, Issy-les-Moulineaux, etc.), alors que les logements sont dans le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne. Le déséquilibre apparaît de manière flagrante dans l’Indicateur de concentration d’emploi (ICE) calculé par l’Insee. L’ICE correspond au nombre d’emplois dans une zone ramené au nombre d’actifs résidents. Dans les Hauts-de-Seine, l’ICE est à 125, ce qui signifie qu’on y trouve 125 postes à pourvoir pour 100 actifs. Il monte même à 200 à Nanterre ! Symétriquement, en Seine-et-Marne et dans le Val-de-Marne, l’ICE est proche de 85. Conséquence logique : chaque matin, des dizaines de milliers de salariés s’entassent dans les transports aux heures de bureau pour aller d’est en ouest, puis rentrent chez eux le soir, tout aussi entassés. C’est ainsi que le RER A, la ligne 1 du métro ou la ligne 9 (orientées est-ouest, elles aussi) atteignent des taux de saturation invraisemblables, avec cinq ou six voyageurs debout au mètre carré le matin dans un sens, puis le soir dans l’autre. En milieu d’après-midi ou un dimanche, il n’y a aucun problème pour trouver une place assise sur ces mêmes lignes.

La situation est également critique sur les lignes de RER B et C ainsi que sur les lignes de Transilien J, U et L. S’il s’agissait de transport de bétail, ces rames contreviendraient chaque semaine aux recommandations européennes, qui préconisent de ne pas dépasser les 235 kg de mammifères au mètre carré…

Les solutions connues depuis longtemps

La solution tombe sous le sens : il faut construire des logements à l’ouest et des locaux d’activité à l’est. C’est ce que préconise le schéma directeur régional d’Île-de-France (Sdrif) de 2013, intitulé Île-de-France 2030. « S’inscrivant dans un contexte historique fort de déséquilibre marqué entre des territoires très riches en emplois mais pauvres en logements et inversement, la Région vise le rééquilibrage de ces deux composantes entre l’est et l’ouest de l’Île-de-France et au sein des bassins de vie des Franciliens. » Problème, c’est ce que préconisaient déjà les Sdrif version 1993 et 2007 !

Sur le terrain, malheureusement, c’est le chemin inverse qui a été privilégié. La compétence des permis de construire appartient aux communes. En région parisienne, elles sont dans une logique de concurrence pour attirer les entreprises et capter la taxe professionnelle, et non dans une logique de concertation. Or, les communes de l’ouest, pour de nombreuses raisons historiques (accès aux aéroports, Paris tout proche, proximités des communes où vivent les cadres dirigeants, etc.) sont plus attractives que celle de l’est.

Loin de se résorber, le déséquilibre s’aggrave, laissant augurer des années singulièrement difficiles dans les lignes de transports en commun déjà saturées. Les statistiques de délivrance de permis de construire sont connues avec une précision remarquable, grâce à la base Sit@del du ministère de l’Écologie et du développement durable. Elles esquissent un tableau préoccupant.

Aggravation certaine sur le RER A

La ligne la plus fréquentée de France (et la plus chaotique, voir nos statistiques dans le cadre de notre action sur la qualité des transports régionaux) ne risque pas de désemplir. Entre 2012 et 2014, les seules communes de Nanterre, Puteaux-Courbevoie (c’est-à-dire la Défense) et Rueil-Malmaison, toutes desservies par le RER A, ont délivré des permis de construire pour un total de 438 000 m2 de bureaux soit, à raison de 15 m2 par salarié, 29 000 personnes. Bien entendu, toutes n’emprunteront pas le RER A. Certaines trouveront à se loger sur place, mais pas assez, loin de là. Sur la même période, les quatre communes ont délivré des permis de construire pour un total de 518 000 m2 de surfaces habitables. De quoi abriter 26 000 habitants à raison de 20 m2 par habitant (ce qui est la norme). Un sur deux seulement sera un actif, car il faut aussi compter avec les enfants, les étudiants, les personnes âgées, etc. Par ailleurs, ces communes, en particulier Nanterre, ont aussi rasé ces dernières années des tours obsolètes représentant des centaines de logements.

Une aggravation des conditions de voyage sur la ligne de tram T2 qui relie la Défense à Issy-les-Moulineaux est également à craindre. Entre 2012 et 2014, Issy a donné le feu vert à quelque 244 000 m2 de bureaux, alors que la ligne T2 était déjà très chargée.

Dernier point, et non des moindres, nous ne prenons ici en compte que les constructions de bureaux et non les autres locaux d’activité – restaurants, cafés, commerces, services publics – qui représentent eux aussi des milliers d’emplois. Ils sont sortis de terre par centaines de milliers de mètres carrés dans l’ouest parisien depuis 2012, et vont également attirer des actifs.

Encore plusieurs années difficiles à venir

Quelle que soit la manière dont on aborde la question, la réponse est la même. Des milliers de voyageurs supplémentaires vont avoir besoin de venir au travail dans l’ouest parisien à brève échéance et rien n’est prévu pour les transporter. Les autorités compétentes (Région, département, commune, État) ne peuvent l’ignorer, mais elles ne prennent aucune décision à la mesure du problème.

La voiture individuelle sera de moins en moins une alternative réaliste. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a réitéré mi-octobre son intention de « définitivement fermer au trafic automobile » à la rentrée 2016 les quais bas de la Seine, qui forment un axe est-ouest essentiel. La ville évoque un tramway rive droite permettant une traversée ouest-est de la capitale pour 2020. Si, par miracle, ce calendrier invraisemblable était tenu (les études de faisabilité ne sont même pas entamées !), il resterait quatre longues et éprouvantes années pour les « pendulaires » est-ouest, privés de solution satisfaisante pour leurs trajets professionnels.

Signe de désarroi, la RATP a proposé en 2014 qu’une partie des entreprises retardent leurs heures d’ouverture afin de diluer la période de pointe. Testée avec un certain succès sur un campus de Rennes pour désengorger les bus, la solution semble difficilement transposable à des salariés. Les heures qui n’auront pas été faites le matin devront être rattrapées le soir. Pour voyager assis, ne dînez plus avec vos enfants… Voilà où en est l’Île-de-France.

Avenir sombre sur la ligne 13 du métro

En plus du déséquilibre global est-ouest, la région compte aussi des déséquilibres bureaux/logements plus ciblés avec des conséquences là aussi désastreuses sur les transports en commun. Illustration avec la ligne 13 du métro et la vaste zone tertiaire de Saint-Ouen-Saint-Denis. Celle-ci accueille de nombreux sièges sociaux et administrations (Samsung, Citroën, SFR, Tati, Agence régionale de Santé, etc.). Ils emploient des salariés qui, très majoritairement, ne vivent pas dans les environs. Le secteur est desservi par la ligne 13. Celle-ci accueille un nombre raisonnable de voyageurs sur sa moitié sud. C’est la moitié nord qui pose problème, sur le tronçon qui relie Saint-Lazare, plus grande gare de banlieue parisienne, à Saint-Denis et Saint-Ouen. Aux heures de pointe, il est souvent impossible de pénétrer dans les rames ! Or, Sur les communes de Saint-Ouen et Saint-Denis, en 2012, 2013 et 2014, près de 370 000 m2 de locaux d’activité, dont 252 000 m2 de bureaux, ont été mis en chantier. Compte tenu des délais de construction, ils arrivent en ce moment sur le marché. À 15 m2 par salarié, ces bureaux offrent de la place à plus de 16 000 travailleurs supplémentaires. Le métro ne peut matériellement pas accueillir 16 000 salariés de plus, ni même la moitié. Le prolongement de la ligne 14 de Saint-Lazare à Saint-Denis était prévu pour 2017, ce sera finalement pour 2019. La seule lueur d’espoir des voyageurs, paradoxalement, est que la crise ralentisse la location des locaux et que les bureaux restent vides le plus longtemps possible.

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