Boris Cassel
Transport aérienEntente sur les prix sanctionnée pour Air Antilles et Air Caraïbes
L’Autorité de la concurrence vient d’infliger une sanction financière de 14,5 millions d’euros à Air Caraïbes et Air Antilles. Entre 2015 et 2019, les deux compagnies aériennes se sont entendues à plusieurs reprises pour réduire le nombre de sièges disponibles et gonfler leurs tarifs de plusieurs dizaines d’euros sur des liaisons qu’elles étaient souvent les seules à opérer.
« Des pratiques graves de la part de deux opérateurs en situation de duopole sur un territoire insulaire avec une clientèle captive soumise par ailleurs au phénomène de la vie chère. » L’Autorité de la concurrence tire à boulet rouge sur Air Antilles et Air Caraïbes et leur inflige une sanction financière de 14,5 millions d’euros. Car ces compagnies aériennes se sont « entendues sur les prix et sur l’offre (créneaux horaires et fréquences) » de liaisons entre îles au sein des Caraïbes françaises et internationales à de multiples reprises entre 2015 et 2019. Ces accords secrets portaient notamment sur les lignes « reliant Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, ainsi que celles entre chacune de ces deux villes et Saint-Martin, Sainte-Lucie et Saint-Domingue ».
Feuilleton à rebondissements
Pour bien comprendre, revenons en 2015. À l’époque, les entreprises sortent d’une période où leurs prix sont plutôt orientés à la baisse (-10 % en deux ans). Elles entament alors des discussions secrètes. « S’il ressort de ces discussions qu’une méfiance régnait entre les deux compagnies, ces échanges ont néanmoins effectivement mené à des engagements pris par Air Antilles relatifs aux conditions applicables aux tarifs, explique l’Autorité de la concurrence, sans préciser l’impact concret sur les prix applicables aux voyageurs. Les relations se sont ensuite dégradées. » Une « guerre tarifaire » s’ouvre alors « entre mars 2016 et mars 2017 ». Citée par l’Autorité de la concurrence, une agence de voyages décrit l’ambiance de l’époque : « Lorsqu’une compagnie faisait un tarif promotionnel, nous recevions quelques heures après le même tarif inférieur au concurrent d’un euro. En général, Air Caraïbes était à l’initiative du premier tarif attractif. »
Grilles tarifaires communes
Très vite, le prix des billets décroche. « Il ressort d’un procès-verbal du conseil d’administration d’Air Antilles que sur l’exercice 2016, le tarif affaires a chuté de 50 % et le tarif loisir de 30 %, entraînant une hausse de 15 % du nombre de billets vendus mais une diminution des recettes de 6 millions d’euros », note l’Autorité de la concurrence. Alors, ces sociétés opèrent un virage à 180°. « Air Antilles et Air Caraïbes se sont rapprochées pour négocier des accords de fixation des tarifs et des conditions tarifaires », signale l’autorité. Des discussions entamées dans la plus grande discrétion. Utilisation d’adresses mails non professionnelles, usage de pseudonymes et de noms de code, recours à des intermédiaires… « Le degré de sophistication dans la dissimulation des échanges était élevé », expose l’autorité. Car l’objectif était sulfureux : réduire l’offre et ajuster les grilles tarifaires sur les lignes où les compagnies étaient en confrontation directe. « Dès avril 2017 et la reprise des échanges, [les prix moyens] connaissent une très forte hausse (de 30 à 80 % selon les liaisons) et atteignent des niveaux supérieurs à ceux observés avant mars 2016. » Autrement dit, le prix moyen des billets augmente de plusieurs dizaines d’euros ! Les discussions aboutissent même « à partir de la saison hiver 2017/18, à la mise en place de grilles tarifaires communes […]. Ces pratiques s’inscrivaient dans le cadre d’un "accord de non-agression" dont le volet tarifaire interdisait à chacune des deux compagnies d’être moins-disante », souligne l’autorité. Cette entente a perduré au moins jusqu’à la fin 2019.
Comble de toute cette histoire, même lorsque l’ouragan Irma s’abat sur les Antilles et ravage Saint-Martin en 2017 et qu’il faut désenclaver l’île au plus vite, ces entreprises coordonnent leurs tarifs. « À la suite de l’ouragan Irma, Air Antilles et Air Caraïbes ont échangé quant au "tarif compassionnel" à appliquer dans le cadre du "rapatriement humanitaire" et aux entités chargées des secours et de la reconstruction », relate l’Autorité de la concurrence, qui pointe le fait que pour le tarif « rapatriement humanitaire », des échanges internes aux sociétés « témoignent du caractère élevé du tarif proposé ».