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Transfert d’argentVol par mandat

Des sites d’annonces sur Internet et des systèmes de transfert d’argent rapide type mandat-cash : la combinaison gagnante pour des réseaux d’escrocs très structurés et actifs. Décryptage.

Les mandats-cash de la Poste ou de Western Union n’y seraient donc pour rien ! « Ils ne sont que le véhicule d’arnaques dont sont victimes certains consommateurs, explique Jean-Marie Dragon, à la direction marketing de la Banque postale. Tout le mécanisme repose en fait sur la belle histoire qu’on leur sert au départ, et à laquelle ils ont adhéré. » Une opinion partagée par la commissaire Valérie Maldonado, à la tête de l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication). « Des escroqueries, il y en a eu de tout temps, dit-elle. La technique est toujours la même : appâter la victime en la mettant en confiance, puis la plumer avant de disparaître une fois l’argent empoché. » Certes, l’avènement d’Internet a facilité la tâche des margoulins. « Ils savent parfaitement suivre les tendances et s’y adapter, poursuit Valérie Maldonado. Avec le Web, ils ont un bel outil pour élargir leur territoire de chasse ». Et, forcément, le nombre de « pigeons » capturés augmente.

Transfert express d’argent

Le pire, c’est que ce sont souvent les victimes qui, bien involontairement, ont donné le bâton pour se faire battre. La preuve avec le mandat-cash urgent, qui permet d’envoyer à des délais record en France une somme d’argent d’un bureau de poste à un autre (plafond : 1 500 €) pour qu’elle soit remise à un tiers. Un produit souple, d’abord créé pour transférer de l’argent, mais également utilisé pour régler des achats entre particuliers mis en relation grâce à des sites Internet de petites annonces. Dangereux. « Au moment où il dépose son mandat, l’expéditeur se voit remettre un code à neuf chiffres, détaille Jean-Marie Dragon. Il devra être transmis, de préférence par téléphone, à l’expéditeur. Sans ce code, il est impossible de retirer les fonds. » Mais les margoulins ont trouvé l’astuce pour soutirer cette clé à l’expéditeur. La technique ? Lui adresser un message qui l’incite à se connecter à un site imitant plus ou moins grossièrement celui de la Poste, sur lequel il doit laisser les neuf chiffres s’il veut suivre le cheminement de son mandat. L’escroc hérite alors du code, et l’étau se resserre. Le temps que la victime s’aperçoive de la supercherie, l’argent a été empoché depuis longtemps. « Jamais la Poste ne demande, d’une manière ou d’une autre, la communication du code à au destinataire, insiste Jean-Marie Dragon. Celui-ci doit le garder secret et ne le donner au destinataire qu’à partir du moment où il est certain que tout est en ordre. »

Spécialement touchés par ces arnaques, les secteurs du logement et de l’automobile. Dans le premier cas, l’escroc propose une location d’appartement à un prix défiant toute concurrence. Évidemment, le logement n’existe pas. Malgré ses rapides doutes et les précautions prises, Caire F., de Moulis-en-Médoc (33), s’est pourtant fait piéger : « Après plusieurs échanges de courriels avec les propriétaires du logement qui figuraient sur l’annonce diffusée par un site Internet, je conviens de l’envoi d’un mandat-cash urgent de 900 euros au nom de leur fille. Rendez-vous est donné au pied de l’immeuble. Une fois sur place, je constate que le numéro donné n’existe pas. Personne ne vient. Quelques minutes plus tard, je reçois un SMS me demandant de fournir le numéro d’identification du mandat. Flairant l’escroquerie, je refuse. Le pseudo-propriétaire me répond alors immédiatement : “Trop tard, j’ai déjà ton argent dans ma poche !” Et, effectivement, les 900 euros avaient été retirés. » Claire F. certifiant n’avoir jamais donné son code à quiconque, faut-il dès lors incriminer la négligence, voire la complicité active d’un postier ? « Depuis trois ans que je m’occupe – entre autres – des mandats, je n’ai jamais été confronté à des cas de fraude interne », certifie Jean-Marie Dragon (la Banque postale).

Mise en confiance

Quand la transaction concerne une voiture, le système est comparable. L’escroc laisse miroiter une « bonne affaire » sur un site de petites annonces. Et, une fois un acheteur potentiel mis en confiance, la machine s’emballe, rythmée par de nombreux échanges de courriels parfois hallucinants. « Voulant offrir une Fiat 500 de collection à ma femme pour ses 40 ans, je retiens une offre laissé sur le site Webmycar, se souvient Vincent G., de Vincennes (94). Très rapidement, le vendeur m’envoie un courriels m’indiquant que, depuis la mise en ligne de son annonce, il est parti en Écosse, et que le véhicule se trouve désormais là-bas. » Mais plus les difficultés et les contretemps se succèdent, plus Vincent G. perd sa lucidité et s’enferre. Il adressera au pseudo-vendeur un virement de 2 250 euros pour le paiement de la voiture, puis un mandat Western Union de 1 150 euros pour l’assurance, et encore un autre de 650 euros pour « régler un problème de TVA ». Inutile de préciser que la Fiat 500 ne sera jamais livrée…

Face au phénomène, la Poste dit avoir sensibilisé ses guichetiers en leur demandant de rappeler aux usagers que le mandat-cash n’est pas un moyen de paiement, mais une solution pour transférer de l’argent à un tiers en qui l’on a confiance. « L’exercice est délicat, admet Jean-Marie Dragon. L’agent, qui a un devoir de conseil, ne peut pas se montrer trop intrusif face au client. » Sans compter que celui-ci n’est pas toujours réceptif. « J’ai eu le cas d’un jeune homme qui voulait envoyer 350 euros par ce moyen, écrivait récemment un postier sur un forum Internet. Sentant le truc, je me renseigne : il voulait payer un particulier qui lui vendait un I-Phone 3. Je lui ai dit : “C’est une arnaque, certain !” Il n’a rien voulu entendre. Ça m’a fait de la peine pour lui… » Quant aux sites d’annonces qui ont envahi le Web, ils assurent faire ce qu’ils peuvent pour endiguer le phénomène. « Nous avons mis en place une batterie de filtres destinés à bloquer les propositions douteuses, affirme Olivier Aizac, directeur général de Leboncoin.fr, l’un des poids lourds de la petite annonce. Tout n’est pas parfait. La preuve : il y a toujours des dérapages mais, comparée à la quantité d’annonces que nous publions, leur proportion reste infime. » Sur les pages de son site, Leboncoin.fr recommande aux internautes de se méfier « des propositions trop alléchantes » et de ne jamais payer à l’avance un vendeur que l’on ne connaît pas.

Réseaux très structurés

Car mieux vaut prévenir que guérir : mettre hors d’état de nuire les réseaux très structurés qui se cachent derrière ces arnaques est compliqué. « Ils sont souvent dirigés depuis l’étranger, notamment l’Afrique de l’Ouest, avec toute une chaîne de prête-noms ou de complices installés jusqu’en France, décrypte la chef de l’OCLCTIC, Valérie Maldonado. À charge pour ces derniers de faire remonter l’argent jusqu’à la tête du réseau en échange d’une commission. Lutter contre ce fléau passe forcément par la coopération avec les États qui l’hébergent. » Mais même si cette coopération progresse, les frontières demeurent d’efficaces pare-feux pour les voyous. L’une des raisons qui expliquent d’ailleurs sans doute pourquoi les plaintes des victimes sont, la plupart du temps, classées, sans même qu’une enquête soit menée…

Pour éviter toute mauvaise surprise, le premier réflexe est par conséquent de se montrer méfiant face aux offres exceptionnelles. De stopper net toute relation avec son interlocuteur dès le moindre doute (par exemple, le vendeur refuse de remettre en mains propres l’article acheté). Bref, de ne pas croire aux trop belles histoires. Et si les annonces et les courriels des escrocs sont généralement truffés de fautes d’orthographe et de français, cela ne suffit pas à présumer d’une arnaque. Les plus honnêtes en contiennent elles aussi leur lot !

Prévention

Les bons réflexes

- Se méfier des annonces trop alléchantes. Il y a de gros risques pour que l’annonce proposant un appartement de 137 m2 en plein Quartier latin, à Paris, pour un loyer mensuel de 1 000 euros soit une arnaque. Dans ce quartier, le moindre petit studio est en effet proposé à au moins 600 euros par mois ! Il faut toujours visiter l’appartement avant de verser la moindre somme d’argent. Le conseil vaut également pour une voiture mise en vente par petite annonce : l’acheteur doit pouvoir la voir avant toute transaction.

- Stopper tout contact dès que les contretemps s’accumulent. Depuis la mise en ligne de l’annonce, le vendeur de la voiture indique être parti à l’étranger pour « raisons professionnelles » ? La date de livraison du véhicule est sans cesse reportée, etc. ? Pas la peine d’insister : il s’agit probablement d’une escroquerie.

- Éviter les solutions de transfert d’argent rapide. Les mandats-cash et autres systèmes de transfert d’argent rapide type Western Union ont l’avantage de leur souplesse. Néanmoins, ces solutions n’ont pas été conçues pour être utilisées comme moyen de paiement d’une transaction (préférez le chèque). Elles permettent le transfert d’argent liquide rapide entre deux personnes qui se connaissent. Si, malgré tout, le mandat est employé pour régler à distance un achat, ne jamais donner le code confidentiel permettant au destinataire de retirer les fonds avant la remise effective du produit (ou avant d’avoir pu visiter le logement). L’expéditeur du mandat doit aussi se rappeler que jamais la Poste ni Western Union ne le contactera (par SMS, courriel, connexion à un site Internet…) pour lui demander la communication de ce code confidentiel. C’est en fait un moyen utilisé par les escrocs pour le récupérer frauduleusement.

- Organiser une rencontre entre acheteur et vendeur. Sur des sites comme Leboncoin.fr, les particuliers mettent toutes sortes d’objets en vente, de la voiture au téléphone mobile. « Dans la mesure du possible, il faut que le bien soit remis en mains propres à l’acheteur, conseille Olivier Aizac, son directeur général. Outre la sécurisation de la transaction, cela permet également de fixer le prix le plus juste, qui n’est pas forcément celui indiqué dans la petite annonce ». Par ailleurs, il est préférable d’entrer en contact avec des vendeurs déjà identifiés sur la Toile : sur de nombreux sites, les particuliers qui mettent régulièrement en vente des articles sont notés et « commentés » par les acheteurs.

Bon à savoir

Le ministère de l’Intérieur a mis en place un service qui permet de signaler toutes les tentatives d’escroquerie. Ce signalement peut se faire par Internet (www.internet-signalement.gouv) ou par téléphone (0811 02 02 17, coût d’un appel local).

Cas vécu : Dépouillé sans avoir livré le code

Les faits remontent à la fin de l’été 2010. Et la victime, Alexandre F., un habitant de la Loire, a pris le temps d’alerter « Que Choisir » par courrier. « J’ai souscrit un prêt de 4 000 euros pour m’acheter une voiture, écrit-il. J’ai donc entamé mes recherches sur Internet, sur le site Leboncoin.fr. Une annonce m’a intéressé. J’ai alors contacté son auteur par courriel pour avoir plus de renseignements. Il voulait être payé par mandat-cash urgent. Comme je ne connaissais pas cette solution, je suis allé à la Poste où l’on m’a garanti qu’il s’agissait d’un moyen de paiement sécurisé. Mis en confiance, et comme l’exigeait le vendeur du véhicule, je lui ai adressé deux mandats de 1 500 euros chacun. Comme il ne s’est pas déplacé au rendez-vous dont nous étions convenus, je suis retourné à la Poste pour annuler mon ordre de paiement. Mais là, mauvaise surprise : on m’apprend que l’argent a déjà été retiré, dans un bureau de Sens (89). Comment cela était-il possible, sachant que je n’avais jamais donné à quiconque le code d’indentification qui permet au destinataire de retirer l’argent ? J’ai déposé plainte. Mais, pour l’heure, rien n’a abouti. Et je dois rembourser un crédit de 4 000 euros pour une voiture que je n’ai pas. » Pour avoir davantage de détails, nous avons contacté Alexandre F. Après plusieurs échanges téléphoniques, nous avons arrêté le principe d’un rendez-vous. Il a par la suite rompu tout contact, nous raccrochant même au nez une fois que nous nous fûmes présentés ! Après réflexion, cette victime a-t-elle préféré ne plus vouloir parler de ce traumatisme ? Ou se serait-elle finalement rappelé qu’à un moment donné, elle avait bien transmis son code confidentiel ? Sinon, et à moins de suspecter une complicité interne à la Poste, comment le retrait des fonds aurait-il été possible ? Autant de questions sans réponse. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les escrocs, eux, courent toujours !

Arnaud de Blauwe

Arnaud de Blauwe

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