par Fabrice Pouliquen
Trafic de boisDe plus en plus de vols d’arbres coupés sur pied

Des forêts privées rasées à blanc par des réseaux criminels sans demander l’autorisation à quiconque. Plusieurs affaires de ce type ont été portées devant les tribunaux, en Ariège ou dans le Grand Est. Fransylva, Fédération de propriétaires forestiers, lance cette semaine une ligne téléphonique d’urgence pour mieux cerner l’ampleur de ce trafic.
« La forêt ne mérite pas ça, on ne peut pas la saccager ainsi », lance Didier Daclin, président de la section Moselle de Fransylva, la Fédération des syndicats de forestiers privés de France. Derrière lui défile les images d’une forêt coupée à blanc. « Cette boucherie » s’étend sur une quinzaine d’hectares et a eu lieu à Charly-Oradour, en Moselle, en 2017. Lorsque Didier Daclin commence à creuser, il découvre que la propriétaire n’a jamais donné son accord pour une telle coupe.
« C’est ni plus ni moins du vol de bois qu’on imagine très bien évacués au plus vite vers le port d’Anvers (Belgique) pour être acheminé illégalement en Chine », reprend le président de Fransylva Moselle. Depuis, Didier Daclin s’intéresse à ce trafic plus répandu qu’il n’y paraît et à distinguer des vols de bois de chauffage stockés au fond du jardin « qui a toujours existé », précise Antoine d’Amécourt, président de Fransylva.
Du Sud-Ouest au Grand Est
À Charly-Oradour, on est sur un autre type de larcin : des arbres à haute valeur ajoutée, abattus en dehors de tout plan de gestion et sans l’aval des propriétaires des parcelles concernées. Fransylva y voit, derrière, la patte de réseaux criminels organisés agissant à l’international.
Dans le Sud-Ouest, plusieurs affaires de vols d’arbres coupés sur pied ont déjà fait grand bruit. À Perles-et-Castelet (Ariège), début 2021, un bûcheron espagnol avait, sans autorisation, coupé, débité et emmené par camion entre 300 et 400 arbres. Essentiellement des chênes et des sapins vieux de 30 ans. Une douzaine de propriétaires forestiers avaient porté plainte. Confondu, le bûcheron espagnol a écopé de 18 mois de prison dont 9 fermes et de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amendes. En décembre dernier, le tribunal de Foix l’a également condamné à verser 300 000 euros aux victimes.
Ces vols ne se limitent pas qu’au Sud-Ouest, assure Fransylva qui cite le Grand Est comme un autre territoire en première ligne. Rien qu’en Moselle, la fédération dit avoir recensé une quarantaine de propriétaires touchés par des vols de bois et autres escroqueries sur leurs parcelles. Le Républicain Lorrain s’est récemment fait l’écho de plusieurs de ces affaires, à Garche, en périphérie de Thionville, ou encore à Vigy et Thimonville.
Des stratégies qui s’affinent
Voilà pour les affaires connues. Fransylva craint que la liste ne soit en réalité bien plus importante et, surtout, ne continue de s’allonger. D’un côté, la forêt française privée (75 % de la surface forestière française) est très morcelée. Elle appartient à 3,5 millions de propriétaires particuliers, dont près de 3 millions possèdent moins de 4 hectares. Parmi ces petits propriétaires, certains ignorent l’être ou habitent trop loin de leurs parcelles pour pouvoir fréquemment la visiter. De l’autre côté, les cours de certaines essences de bois se sont envolés ces dernières années, en particulier le chêne dont les prix ont augmenté de 50 % sur les dix dernières années.
De quoi aiguiser l’appétit des trafiquants qui traquent sur le cadastre les parcelles isolées ou peu visitées voire abandonnées. Le vol brut de bois coupé n’est que l’une de leurs stratégies. Didier Daclin en a identifié deux autres. L’un relève plus de l’escroquerie que du vol. « Ces personnes malintentionnées repèrent des propriétaires forestiers faciles à abuser, notamment en raison de leur âge avancé, et leur proposent un prix d’achat ridicule pour une parcelle de forêt et les harcèle jusqu’à ce qu’ils cèdent. » Autre stratégie, qui peut découler de celle-ci, est le vol par dépassement de limite. « Une fois en possession d’une parcelle, les trafiquants la rasent et en profitent pour prélever quelques arbres sur les parcelles voisines en espérant que ça passe inaperçu. Et en coupant un chêne par-ci par-là, on remplit très vite un camion. »
Une ligne téléphonique pour signaler les vols
Ces vols de bois et autres escroqueries peuvent représenter des préjudices de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Mais ils font aussi psychologiquement mal, insiste Didier Daclin. Il évoque la honte parfois ressentie par les victimes de ne pas avoir su protéger un patrimoine familial qui se lègue bien souvent de génération en génération.
Pour Fransylva, ces vols de bois coupé restent sous les radars des pouvoirs publics. La fédération plaide pour, notamment, la création d’une cellule familiarisée à ce type de délits sur tout le territoire et mobilisant le renseignement, les forces de l’ordre et les douanes. Autre demande : obtenir le dédommagement des propriétaires forestiers victimes de ces vols et escroqueries et rarement assurés contre ce type de délits.
Mais pour convaincre, Fransylva sent bien qu’elle doit d’abord quantifier plus précisément le phénomène. C’est l’un des buts de la ligne téléphonique d’urgence (01 47 20 90 58) et de la page Internet dédiée lancées cette semaine par Fransylva pour permettre aux propriétaires forestiers de signaler les vols et escroqueries dont ils ont été victimes et les aider dans leurs démarches pour porter plainte.
Comment se prémunir de ces vols d’arbres coupés ?
Il n’y a guère de secrets. Pour se prémunir de ces vols de bois coupé, Didier Daclin donne pour principal conseil de visiter le plus possible sa parcelle. La vigilance collective, entre propriétaires forestiers, peut également aider. « Mieux vaut en tout cas connaître les propriétaires des parcelles voisines et se faire connaître d’eux , ajoute Antoine d’Amécourt. Lorsqu’ils se rendent sur leurs terrains, ils regardent alors plus facilement ce qui se passe dans le vôtre et vous alerteront en cas de coupes suspectes. » Dans certains massifs morcelés en petites parcelles, les propriétaires s’accordent aussi sur un plan de gestion concerté, cherchant alors à mettre en cohérence les coupes et travaux qu’ils prévoient sur leurs terrains. Forcément, là encore, ça complique la tâche des trafiquants.
Fabrice Pouliquen