Camille Gruhier
TéléchargementHadopi, c'est (mal) parti
L'Hadopi a demandé aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) les coordonnées des premiers internautes pris en flagrant délit de téléchargement. Les premiers courriels d'avertissement partiront dans la foulée. Après des mois de débats dans l'hémicycle, la répression massive du téléchargement se met en place. Un combat d'un autre temps, perdu d'avance pour les majors et le gouvernement.
Hadopi, c'est quoi ?
Une autorité pour appliquer la loi
L'Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet) est l'autorité publique instaurée par loi Création et Internet. Sa mission consiste à appliquer la « riposte graduée », cette réponse en trois temps aux internautes qui téléchargent illégalement des fichiers (musicaux notamment, mais également des vidéos) sur Internet. Dans le principe, un internaute repéré recevra un courriel d'avertissement, puis un second doublé d'une lettre recommandée s'il récidive. S'il poursuit ses activités, sa connexion à Internet sera coupée.
Voilà pour la théorie. C'est dans la pratique que surgissent les difficultés. Pour obtenir les coordonnées de l'internaute pris en flagrant délit, l'Hadopi s'adresse à son fournisseur d'accès à Internet. Ce dernier a 8 jours pour répondre à la demande. Mais rien n'assure que le FAI donnera l'adresse e-mail usuelle de l'internaute. La seule en sa possession, bien souvent, est celle créée automatiquement lors de l'abonnement, dont le client n'a pas toujours l'usage ni même connaissance. Autre écueil, il n'est pas certain que tous les FAI puissent facilement isoler Internet du téléphone et de la télévision dans leurs offres « triple play ». L'opération, techniquement difficile, dépend des infrastructures de chacun. Il faudrait potentiellement les modifier, ce qui nécessiterait de lourds investissements. On imagine difficilement l'Hadopi couper autoritairement l'accès d'un abonné aux trois services, d'autant qu'il devra toujours payer sa facture !
Hadopi, pourquoi ?
La réponse du berger... à la crémière
Depuis des années, l'industrie musicale traverse une « crise du disque ». Le nombre d'albums vendus en magasin a chuté de 20 % entre 2006 et 2009 (1). Cette baisse, les majors et le gouvernement l'expliquent par les téléchargements illégaux sur Internet. La loi Création et Internet vise à l'enrayer en sanctionnant les pirates. Ainsi, l'industrie retrouverait des couleurs.
Seulement voilà, c'était compter sans le fait que si les consommateurs se détournent du CD, c'est surtout parce que les modes de consommation de la musique changent, question d'époque ! Aujourd'hui, le lecteur CD portable a laissé place au baladeur MP3, et à la maison l'ordinateur, devenu centre multimédia, héberge la discothèque. On vend moins de disques, certes, mais beaucoup plus de musique en ligne. Le nombre d'albums téléchargés a bondi de près de 72 % (1), bien que l'offre légale soit très limitée.
Hadopi pour qui ?
Les vrais pirates ont déjà levé l'ancre
Ceci étant, évidemment que les internautes téléchargent illégalement de la musique, c'est si simple ! Il suffit d'intégrer en quelques clics un réseau d'échange « peer to peer », type eMule ou Bit Torrent. N'importe quel néophyte en est capable. C'est sur ce type de réseau que l'Hadopi va concentrer sa traque. Problème : les pirates chevronnés, ceux qui savent comment se cacher, ont déserté ces places depuis bien longtemps. Seuls les « pirates du dimanche » risquent donc de tomber dans les mailles du filet.
Les erreurs possibles ?
N'habite pas à l'adresse IP indiquée
Sur la route, un chauffard est identifié par la plaque d'immatriculation de sa voiture. Sur Internet, un internaute est confondu grâce à l'adresse IP (Internet Protocol) de son ordinateur. Si un voisin pirate votre connexion wi-fi et télécharge via votre adresse IP, c'est vous que l'Hadopi risque d'accuser ! Autre risque : celui de voir votre ordinateur infesté d'un virus spécialisé dans l'usurpation d'IP, qui vous ferait également accuser. Mais pas à tort. Incroyable mais vrai, en telle situation, l'internaute sera bel et bien coupable. Car dans la loi Création et Internet, c'est le défaut de sécurisation de son accès à Internet qui est sanctionné. Chacun sera donc contraint d'installer sur son ordinateur un logiciel de sécurisation labellisé par Hadopi, et payant. De l'avis de certains experts, ces logiciels joueraient plutôt un rôle de mouchard : ils constitueraient pour l'Hadopi l'unique moyen d'apporter la preuve de la culpabilité d'un internaute. À ce jour, parce qu'il pose de sérieuses difficultés informatiques (dues à la diversité des box Internet) et touche des fondamentaux juridiques (notamment la présomption d'innocence), aucun logiciel n'a encore vu le jour.
Hadopi efficace ?
Les gros pirates se frottent les mains
Pour échapper à tout contrôle, il « suffit » de masquer l'adresse IP de son ordinateur. Ce simple constat a fait émerger de nouveaux types de réseaux d'échange, comme les réseaux « F2F », ou d'ami à ami (entre gens de confiance), ou bien encore les réseaux anonymes de type « I2P » (Invisible Internet Project). On trouve également des logiciels gratuits qui permettent de cacher ou de modifier son IP. La parade la plus courante reste le recours à un réseau privé virtuel (un VPN, pour Virtual Private Network) : tous les ordinateurs de ce réseau sont reliés entre eux et partagent une même adresse IP pour se connecter à Internet. Or intégrer un tel système est le plus souvent payant, entre 5 et 30 euros par mois selon les sites et le niveau de service (qualité de débit notamment). C'est nettement plus que les quelques euros mensuels qu'auraient pu verser les internautes au titre d'une licence globale, la solution défendue depuis toujours par l'UFC-Que Choisir ! En échange de ce forfait mensuel, les internautes auraient pu télécharger légalement et en illimité sur Internet, l'industrie du disque bénéficiant quant à elle d'une importante source de revenus. Avec l'Hadopi, c'est un réseau parallèle de pirates qui gagne désormais confortablement sa vie.
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Deezer.com
Télécharger, c’est déjà dépassé
En 2007, alors que le téléchargement illégal sévissait, deux jeunes Français lançaient Deezer.com. Son concept ? Proposer aux internautes d’écouter librement, gratuitement et légalement, des milliers de titres musicaux en échange de quelques publicités pour rémunérer les ayants droit. Contrairement au téléchargement, l’internaute ne rapatrie pas de fichier sur son ordinateur ; il écoute en direct (en « streaming ») de la musique stockée sur les serveurs de l’entreprise. Trois ans plus tard, Deezer a trouvé des accords avec les majors les plus importantes (Sony BMG, Universal Music, Warner, EMI, etc.) et la popularité du site est haute (15 millions d’inscrits en Europe). Avec Spotify (10 millions), qui l’a rejoint sur ce créneau en 2008, Deezer a imposé le streaming audio comme nouveau mode de consommation de la musique. La France est le seul pays européen où l’audience des sites peer to peer est dépassée par celle des streaming audio (1). Malgré leur popularité, ces sites doivent imposer un modèle payant pour rentrer dans leurs frais. Les deux proposent une formule qui, pour 9,90 € par mois, permet d’écouter de la musique dans une qualité meilleure, sans publicité et depuis son téléphone mobile, même non connecté à Internet (grâce à la mémoire cache) ! Emporter avec soi des millions de titres, disponibles à tout moment ? Le téléchargement prend un sacré coup de vieux…
(1) Nielsen Music, septembre 2010.
E-mail d’avertissement
Comment réagir
« Attention, votre accès à Internet a été utilisé pour commettre des faits, constatés par procès-verbal, qui peuvent constituer une infraction pénale. » C’est, en substance, par cette phrase que commenceront les courriels envoyés par la Haute Autorité aux abonnés dont l’adresse IP aura été observée sur les réseaux de partage. S’il vous arrivait de recevoir un tel avertissement, gardez à l’esprit que vous avez des droits. Le premier est d’émettre des observations. Ce droit doit être mentionné dans le courriel envoyé par l’Hadopi vous intimant de sécuriser votre accès. Commencez par le fait qu’une adresse IP seule ne constitue pas une preuve tangible. Demandez des précisions quant aux contenus qui ont été téléchargés. Vous pouvez contester en arguant de votre bonne foi (mise en place de moyens de sécurisation : mots de passe, désactivation du Wi-Fi…) et de votre statut de néophyte. N’oubliez pas que la procédure est à juge unique et qu’il vous appartient de vous défendre, la présomption d’innocence étant renversée. Veillez, enfin, à ce que les faits qui vous sont reprochés ne remontent pas à plus de deux mois : il s’agirait d’un vice de procédure à votre bénéfice.
1. Source Snep (Syndicat national de l'édition phonographique), bilan économique 2009.