Le mirage du Pay To Click
Immatriculée au Luxembourg, la société Enoué prétend que ses adhérents peuvent s’enrichir en visionnant des publicités, mais surtout en recrutant de nouveaux membres, sur un mode clairement pyramidal.
Tout concourt à se méfier d’Enoué, en premier lieu son opacité. La société, qui se présente comme une régie publicitaire, est immatriculée au registre du commerce du Luxembourg. Elle semble avoir été créée par un groupe de personnes résidant dans la région de Charleroi, en Belgique, qui se présentent sous les noms de Salvatore Pironitto, Nicolas Dujardin, Rafael Palacios Y Rodriguez, Éric Ophalvens et Kevin Demonte. Ces entrepreneurs ne sont pas tout à fait des débutants. En janvier 2014, ils ont lancé un site nommé Eightclix.com. Immatriculé en Belgique, il ressemblait fort à Enoué. Juridiquement, Eightclix était enregistré sous le nom de « Colleagues Association Marketing Conception », avec comme administrateurs principaux Salvatore Pironitto et Rafael Rodriguez. Cette structure a été liquidée en novembre 2014, indique le registre du commerce belge.
Modèle économique nébuleux
La présentation en ligne du modèle économique d’Enoué est nébuleuse. Il est question d’enrichissement rapide par le biais de retour sur investissement. L’adhérent achète des « packs » à 120 €, 300 €, 800 € ou 1 600 €, qui se valorisent de trois manières. Tout d’abord, il peut les revendre sous forme de bannières publicitaires, qui seront mises en ligne sur le site d’Enoué. L’adhérent devient une sorte de courtier en publicité. Ses 300 € ou 800 € d’investissement lui donnent le droit de vendre des espaces à des annonceurs. Encore faut-il en trouver ! Vu la facilité avec laquelle n’importe quel commerçant peut aujourd’hui ouvrir une page Facebook à moindre frais ou acheter des publicités très bon marché sur des pages à forte audience, il est permis de se demander qui payera une bannière sur un site confidentiel comme celui d’Enoué. La deuxième manière de rentabiliser son pack Enoué est en effet, précisément, de cliquer sur les bannières de publicité du site. C’est ce qu’on appelle le « Pay To Click » ou « Pay Per Click » (PTC ou PPC). Chaque clic rapporte quelques centimes. Lorsque l’internaute a beaucoup cliqué, son pack à 300 € en vaut, par exemple, 450 €, que Enoué est censé lui verser. À quelle vitesse se valorise un pack ? Selon différents témoignages en ligne, il faut compter sur quelques dizaines de centimes par jour. Soit, à 0,50 €/jour, huit mois pour amortir un pack à 120 €, avec la perspective d’un gain de 60 € en un an. Si tout va bien, s’il y a des annonceurs (et viendront-ils alors que l’audience d’Enoué est artificielle ?) et surtout si Enoué est encore là pour payer !
Aspect pyramidal
Rien n’est moins sûr, car les pyramides sont éphémères. Or, Enoué en a la forme. Le site est très clair à ce sujet. La manière la plus simple de gagner de l’argent est d’avoir des filleuls à qui vous vendez des packs, qui cliquent à leur tour sur les bannières et qui vous reversent une partie de leurs faibles gains.
Une pyramide est illégale mais, à strictement parler, une pyramide ne vend rien du tout. Ce n’est pas le cas d’Enoué. Cela étant, tous les initiateurs de pyramides ont désormais la prudence d’inventer un produit prétexte, qu’il s’agisse de Profit25 avec de la publicité ou de Get Easy avec des traceurs GPS.
Enoué semble particulièrement actif en ce moment dans l’Ouest de la France. Mieux vaut se tenir à l’écart de son système. Il ne repose sur aucun modèle économique sérieux. Les premiers entrés dans le jeu gagneront peut-être un peu d’argent, mais c’est à leurs risques et périls. En février 2014, le tribunal correctionnel d’Albertville a prononcé des amendes et des peines de prison avec sursis contre 33 prévenus qui avaient participé à une pyramide. Il ne s’agissait pas seulement des initiateurs du système, mais aussi de ceux qui l’avaient fait prospérer. Le tribunal a considéré qu’ils ne pouvaient se prévaloir du statut de victimes. À bon entendeur…