Fabienne Maleysson
SNCFLa valse des injustices continue
De plus en plus de voyageurs se plaignent d’avoir été verbalisés par un contrôleur SNCF alors qu’ils étaient de bonne foi. Le cas d’Eliot, 17 ans, est plus révoltant encore : son billet était parfaitement en règle, il a pourtant écopé d’une amende de 111 €.
Selon la SNCF, la fraude lui coûte chaque année 300 millions d’euros. C’est fâcheux pour l’immense majorité des clients qui paient leur billet. Est-ce une raison pour aligner tous azimuts, y compris les voyageurs de bonne foi ? Voire ceux parfaitement en règle ? C’est malheureusement ce que semblent penser certains contrôleurs, encouragés en cela par la politique de leur direction (mot d’ordre : « pas de quartier ») ou tentés d’abuser de leur petit pouvoir en inventant des contraventions pour matraquer les plus faibles (1).
Le cas d’Eliot, étudiant en classe préparatoire mathématiques à Nancy (54) est révélateur de cette dérive du transporteur. Le 26 octobre au matin, comme chaque week-end, le jeune homme, encore mineur, prend le train pour rentrer chez ses parents. Quelques minutes avant l’arrêt où il descend (Meuse TGV), un contrôleur se présente, Eliot tend son billet et sa Carte Avantage jeune payée 49 €, qui lui ouvre droit à une réduction (9,10 € au lieu de 13 €). Eliot est donc parfaitement en règle. Sauf que le contrôleur décide, de façon incompréhensible, que non : la carte ne prouve rien. « La photo était pourtant récente et mon fils, qui est quelqu’un de très réglo, était même allé chercher au guichet la bande collante idoine », précise Édouard K, le père d’Eliot. Cette bande tramée est supposée fixer la photo plus solidement qu’un simple morceau de scotch pour éviter la fraude. Il n’y a donc aucune raison de douter de la validité de cette carte. Pourtant le contrôleur exige d’Eliot qu’il présente une pièce d’identité.
Manque de chance, le garçon a justement égaré la veille sa carte d’identité. Mais sur son téléphone, il possède un scan de cette dernière. Et son sac est rempli de documents scolaires à son nom. Enfin, le train est désormais arrêté et le père d’Eliot est à quelques pas, sur le quai, qui peut justifier de l’identité de son fils. Tout cela ne suffit pas au préposé qui dresse alors un PV de 111 € : 61 € d’amende forfaitaire et 50 € de frais de dossier. Au passage, il manque de retenir le jeune homme dans le train jusqu’au prochain arrêt. Scandalisé, le père de famille envoie une réclamation par Internet au service de recouvrement. Quelques jours plus tard, Eliot reçoit un coup de téléphone lui apprenant qu’elle est rejetée et que faute de paiement, l’amende risque d’être majorée. Son père saisit alors la médiatrice qui fait savoir qu’elle a besoin d’une réponse écrite du service de recouvrement. « Je ne vais pas en rester là, assure Édouard K. Ce n’est pas la question de la somme mais la SNCF ne peut pas embaucher des gens qui abusent de leur pouvoir de la sorte. Quant à la question du scan, mon frère policier m’a dit que dans la police, ils ont une marge d’appréciation. Il peut leur arriver de les accepter comme justificatif d’identité. »
La mauvaise foi fait loi à la SNCF
Ce cas révoltant soulève plusieurs questions. D’abord, quel est l’intérêt pour la SNCF de faire apposer une photo sur les cartes de réduction si c’est pour considérer qu’elle ne prouve rien ? Les clients, y compris mineurs, sont-ils obligés de voyager avec un papier d’identité ? Nous sommes pourtant nombreux à l’avoir expérimenté, en règle générale, la présentation de la carte de réduction suffit aux agents qui n’ont aucune raison de douter de la bonne foi des voyageurs. Et rappelons que détenir une pièce d’identité n’est pas obligatoire. Doit-on en conclure que les choses se passent à la tête du client et selon l’humeur du contrôleur ?
D’ailleurs, on comprend mal comment un contrôleur peut refuser un scan pour confirmer l’identité du voyageur mais se fonder sur ce même scan pour lui dresser un PV. Mais à la réflexion, on a une petite idée : la SNCF estime qu’une copie numérique de pièce d’identité n’est pas suffisante, cela revient à dire que le voyageur qui ne dispose que de cela est « dans l’impossibilité de justifier de son identité ». Or selon les conditions générales de vente, dans ce cas, le contrôleur doit en aviser un officier de police et passer la main aux policiers. Il est évident que le contrôleur ne souhaitait pas qu’un policier soit témoin de son abus de pouvoir. Les réseaux sociaux en témoignent, le fait de refuser un scan pour confirmer l’honnêteté du voyageur mais de s’appuyer dessus pour dresser un PV n’est pas rare. Là encore, la SNCF doit être claire sur ce point : on ne peut pas ériger la mauvaise foi en mode de fonctionnement.
De plus, toujours selon les conditions générales de vente, la médiatrice peut être saisie « en cas de désaccord avec la réponse du service relation client ou d’absence de réponse dans un délai d’un mois à compter de l’envoi de la réclamation ». Nulle part il n’est question de la forme orale ou écrite de cette réponse. Si la médiatrice compte désormais exiger des réponses écrites, il faut que les services réclamation aient l’obligation de s’adapter à cette exigence.
Dernier point et non des moindres, les 61 € d’amende forfaitaire ne correspondent pas au cas d’Eliot (moins de 100 km en 2nde classe). Au service communication, on n’a pas su (ou voulu…) répondre à nos questions sur cette bizarrerie. Il est vrai qu’entretenir le flou sur les amendes auxquelles peuvent être soumis les voyageurs en proposant un barème d’une complexité ahurissante (voir ci-dessous) est un bon moyen de les empêcher de constater un abus. La SNCF semble avoir oublié que, d’après l’article L. 211-1 du code de la consommation, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible ».
Les barèmes de régularisation illisibles de la SNCF
Source : tarifs voyageurs SNCF pour le TGV
Voici les 140 montants d’amende prévus pour les voyageurs TGV. Le même type de tableaux régit les voyages dans trois catégories différentes d’Intercités, les TER, sans compter quatre types de trains internationaux. Pour les seules liaisons France-Allemagne, il est prévu pas moins de 1 152 montants différents ! Comment le voyageur injustement verbalisé peut-il s’y retrouver ?
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(1) Nous avons raconté dans notre numéro de juin le cas d’une adolescente de 15 ans ayant écopé d’une amende de 85 € alors qu’elle voyageait avec un billet plus cher que celui qu’elle aurait dû avoir.