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Smartphones Huawei sans GoogleQuelles conséquences pour les consommateurs ?

Au printemps 2019, le gouvernement Trump a contraint Google à rompre ses relations commerciales avec Huawei Technologies. Conséquence, les smartphones récents du fabricant chinois, à qui appartient aussi la marque Honor, n’intègrent plus le PlayStore ni les applications comme Maps, YouTube ou Gmail. L’arrêt de la collaboration a aussi des conséquences fonctionnelles moins visibles. Notre analyse et nos conseils.

Au printemps 2019, le gouvernement Trump plaçait Huawei Technologies sur son « entity list », une liste d’entreprises et d’organisations considérées comme suspectes avec lesquelles les groupes américains ne peuvent plus commercer librement. Conséquence immédiate, le chinois a dû rompre sa collaboration commerciale avec Google. Or, le géant de la recherche en ligne est aussi à l’origine du système d’exploitation Android, qui équipe la quasi-totalité des smartphones (pas les iPhone d’Apple) et, surtout, de tout l’environnement applicatif du système. Concrètement, Huawei peut continuer à intégrer le système mobile Android à ses smartphones, car il est mis gratuitement à disposition de tous les fabricants et ne suppose aucune relation commerciale avec Google. En revanche, il est privé des « services » de Google qui sont, eux, sous licence payante. Dans les smartphones récents de Huawei, les séries Mate 30 ou P40 par exemple (1), vous ne trouverez donc pas le package d’applications habituellement installées par défaut, comme Maps, Gmail ou Youtube. Pas non plus de Play Store pour télécharger des applications. C’est moins visible, mais les « services de Google » concernés englobent aussi des infrastructures techniques utilisées par des applications tierces, celles qui intègrent par exemple des messages ou les cartes Google Maps (c’est le cas d’une application qui permet de localiser un restaurant ou de proposer un itinéraire routier).

Nous avons voulu savoir si Huawei parvenait malgré tout à offrir aux consommateurs une expérience satisfaisante. Nous avons donc passé en revue les incidences pour un nouvel utilisateur qui troquerait son Google Pixel 2XL (Android) contre un Huawei P40 Pro. Après tout, le gouvernement américain vient peut-être d’offrir au fabricant l’occasion de réduire efficacement sa dépendance à Google en Europe… D’autant qu’il a déjà une certaine expérience puisqu’en Chine, où il est maître du marché (42 % de parts de marché, loin devant les 18 % du deuxième, Vivo), Huawei s’est toujours passé des services du géant américain Google. « Nous avons déjà tous les outils techniques et recensons plus de 1,6 million d’applications dans notre store chinois. Il nous faut maintenant convaincre les 400 applications qui couvrent 98 % des usages en France. Nous nous y attelons », précise François Hingant, le directeur des produits pour la France. Dans les faits, le compte n’y est pas encore vraiment.

Transfert des données : premiers couacs

Copier le contenu de son ancien smartphone vers le nouveau Huawei suppose d’installer une application, Phone Clone, sur les deux appareils. Elle permet de sélectionner dans une liste les applications à transférer. Pas de problème pour les SMS et le journal des appels. En revanche, les contacts doivent être réimportés manuellement. Et impossible de retrouver facilement vos applis habituelles : des applis installées sur l’ancien téléphone, seule WhatsApp a été copiée (pas Netflix, ni Uber), mais… sans les conversations, ni les contacts.

Sur l’ancien téléphone (un Google Pixel 2XL), il est impossible de sélectionner certaines applications (celles grisées comme Messages ou Google Play Music, par exemple) lors du transfert vers le nouveau téléphone Huawei.

Installation d’applications : gare aux liens publicitaires

Pour pallier l’absence du PlayStore, Huawei propose sa propre boutique d’applications, l’AppGallery. C’est vrai, Huawei a déjà convaincu de grands noms de rejoindre ses rangs. Le Monde, MyTF1, M6, Deezer, Qwant, Snapchat ou Tiktok sont présents. Mais ils ne comblent pas le vide laissé par les nombreux absents. Vous ne trouverez par exemple ni les applis bancaires (Société générale, BNP…), ni les réseaux Facebook ou Instagram.

Huawei a trouvé une parade. Pour les applis manquantes, l’AppGallery dirige l’utilisateur vers le site Internet de l’éditeur, comme pour Instagram ou Radio France, par exemple. Vous naviguez alors sur le site comme si vous étiez passé par le navigateur web. Mais c’est moins pratique, l’affichage n’est pas toujours optimisé et les fonctionnalités ne sont pas aussi complètes que dans l’application. De plus, il faut être vigilant, car des liens publicitaires polluent l’interface. Huawei vend en effet de nombreux espaces publicitaires dans sa boutique. À chaque fois qu’on ouvre l’AppGallery, il faut endurer une pub de plusieurs secondes pour une application qui a monnayé sa mise en avant. Agaçant.

Un exemple de publicité qui s’affiche pendant plusieurs secondes à chaque fois qu’on ouvre l’AppGallery.

Des applis Android souvent insatisfaisantes

Huawei a trouvé une autre astuce. Car ses smartphones, bien que privés des services Google, fonctionnent avec Android et restent donc techniquement (et théoriquement) compatibles avec les applications développées pour ce système. Quand c’est possible, l’AppGallery dirige donc l’utilisateur vers le « fichier apk » de l’application, c’est-à-dire vers son fichier source, lui-même stocké soit sur le site Internet du service, soit sur un site spécialisé comme Apkmirror.com ou Aptoide.com. L’application peut alors être installée sur le smartphone (mais attention, ça ne fonctionne pas pour toutes les applications) en contournant le PlayStore (qui en est le seul distributeur officiel). Sauf que, bien qu’elles soient installées, toutes celles qui intègrent des services Google, avec des cartes ou des notifications push, sont inutilisables ! eBay, Lyft, Netflix, Uber et les autres indiqueront systématiquement qu’il faut passer par le PlayStore.

Même en contournant le PlayStore, les applications Android (ici Lyft) exigent les services Google pour fonctionner correctement.

Utilisation quotidienne : de grosses lacunes

Dans un smartphone, Google agit aussi « en cuisine ». Il fournit en effet des infrastructures techniques qui permettent à certains services de fonctionner. Parmi elles, le FCM (Firebase Cloud Messaging) gère par exemple les notifications push. Google met aussi à disposition des développeurs des « API », c’est-à-dire des bouts de programmes informatiques qui leur permettent d’intégrer un calendrier ou une carte à leur propre application. Quand une appli de réservation d’hôtel propose de calculer un itinéraire, elle utilise ainsi l’« API » Google Maps. L’absence de ces services pèse sur l’utilisation quotidienne du smartphone. Les messages WhatsApp arrivent parfois avec une heure de retard, les e-mails n’arrivent pas automatiquement dans la boîte (il faut les télécharger), les applis n’envoient pas les notifications (pas d’alerte liée à l’actualité, par exemple), impossible de localiser un vélo ou une trottinette dans une appli de partage… Contourner ces restrictions est possible, mais pas franchement facile. Débrouillardise et patience seront donc nécessaires si vous tenez à utiliser un smartphone Huawei (ou Honor).

De nombreuses applications (ici Signal, mais aussi Uber, Netflix ou Lyft) exigent les Google Play Services pour être installées ou pour fonctionner correctement.

5G : Huawei freiné en France

Les tensions diplomatiques entre Pékin et Washington pèsent aussi sur un autre volet de l’activité de Huawei, à savoir le déploiement des réseaux 5G. Car avant même son activité de fabricant de smartphones, le groupe chinois est un fournisseur d’infrastructures télécom de premier plan (2). Aux États-Unis, après une année d’interdiction stricte, les entreprises de télécom ont finalement été autorisées à collaborer avec Huawei pour la mise au point des normes techniques liées à la 5G. La frilosité américaine influence toutefois les Européens, divisés sur le cas Huawei et sur le danger de lui confier le déploiement des réseaux 5G. Orange et Free travaillent avec Nokia et Ericsson. Mais SFR et Bouygues Télécom, déjà liés au géant chinois pour leurs réseaux 4G, entendent poursuivre avec lui pour la 5G. À moins que des directives officielles les en empêchent… L’Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques (Anssi) a récemment laissé entendre qu’elle pourrait refuser de délivrer les autorisations d’exploitation de la 5G aux opérateurs ayant choisi Huawei. Auquel cas Bouygues et SFR devraient changer d’équipementier, ce qui pourrait bousculer le calendrier du lancement de leurs offres commerciales prévues pour la fin de l’année.

(1) Liste des smartphones Huawei testés par Que Choisir (à date) n’intégrant pas les services de Google :
Huawei P40 Lite
Huawei P40
Huawei P40 Pro
Huawei Y5P
Huawei Y6P

(2) Selon la GSMA (association qui représente les opérateurs et constructeurs de téléphonie mobile), Huawei détient 28 % du marché des équipements télécoms en Europe, devant Nokia et Ericsson (25 % chacun environ) et un autre chinois, ZTE (10 %).

Camille Gruhier

Camille Gruhier

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