Shinkansen japonais contre TGV françaisLa claque
Intitulé « Excellence 2020 », le nouveau projet d'entreprise de la SNCF entend faire de la compagnie la « référence mondiale » par « l'excellence du service rendu » d'ici 5 ans. Pour mesurer le chemin à parcourir, nous nous sommes rendus dans un pays où les trains ont plutôt bonne réputation, le Japon.
Il y a des réseaux ferroviaires étrangers avec lesquels la SNCF ne demande qu'à être comparée. L’Espagne, par exemple. 79 morts dans l’accident d’un train grande vitesse le 24 juillet 2013 à Saint-Jacques-de-Compostelle... Ou bien le Royaume-Uni. Beaucoup de lignes vétustes, pas de réseau grande vitesse, une privatisation très mal menée dans les années 1980... Avec l’Allemagne, c'est moins flatteur, les ICE étant tout sauf ridicules face à nos TGV.
Et puis il y a la comparaison à éviter, le cas présumé « particulier » sur lesquels les dirigeants de la SNCF passent le plus rapidement possible : le Japon. Retour d’expérience lors du trajet Osaka-Hiroshima, et comparaison entre notre TGV et son homologue japonais, le Shinkansen.
Acheter les billets
Dans les deux pays, c’est réalisable en ligne, au guichet ou sur des automates. Pas de compostage obligatoire au Japon. Mais au fait, à quoi sert-il encore en France, quand tous les billets portent une date et un numéro de siège ?
En gare
Sur les axes les plus fréquentés, les Shinkansen se succèdent toutes les dix minutes. Comme les Osaka-Hiroshima (ou les Osaka-Tokyo, etc.) partent toujours du même quai, les voyageurs habitués se dirigent automatiquement vers le bon endroit. Il y a énormément de monde dans les gares Japan Railways, mais pas de cohue. Selon les voyageurs interrogés, les escalators ne sont jamais en panne.
Les tarifs
Le Japon a la réputation d’être un pays cher. Surprise, les tarifs du Shinkansen sont à peu près en ligne avec ceux du TGV. Le trajet Osaka-Hiroshima fait 280 km et prend 1 h 30 environ (quelques minutes en plus ou en moins en fonction de la génération de trains choisis : Sakura, Mizuho ou les Nozomi dernier cri). Cela correspondrait en France à un Paris-Nancy, soit 315 km et 1 h 30 environ. Pour le 7 mai 2014, réservation demandée la veille, la SNCF proposait des billets en seconde Paris-Nancy allant de 56 € à 75 €. Le Shinkansen Osaka-Hiroshima coûte 68 € sans réservation et 72 € avec réservation. Match nul.
Grande différence avec la SNCF, les prix au Japon ne varient jamais. Que vous preniez le train deux mois à l’avance ou au dernier moment, vous payez toujours le même tarif. Un peu comme en France… il y a vingt ans. La réservation, par ailleurs, est une vraie réservation : elle vous garantit un siège. Japan Railways ignore les concepts étranges de « surréservation » et de réservation avec « place non attribuée ». Des voyageurs ayant payé plein tarif assis dans le couloir ? Inimaginable dans un Shinkansen.
La ponctualité
Aïe… Sur une année, les retards cumulés des TGV français représentent 550 à 600 jours, sachant que seuls les retards supérieurs à 5 minutes sont comptabilisés. Les retards annuels cumulés de tous les Shinkansen se comptent en minutes, voire en secondes les très bonnes années (alors que les Shinkansen sont beaucoup plus nombreux que les TGV). Les Shinkansen sont toujours ponctuels. Quelques minutes avant le départ, les voyageurs japonais ont l'habitude de se ranger sur le quai en suivant des marques au sol qui indiquent l’endroit où se trouveront les portes. Au moment et à l’endroit prévu, à quelques secondes près, le train s’arrête et les portes s’ouvrent.
Les guides japonais de voyage en France mettent en garde leurs lecteurs, qui imaginent à peine qu’un train grande vitesse puisse être en retard.
La SNCF rappelle souvent que les Shinkansen roulent sur des lignes dédiées, ce qui les préserve des aléas du reste du réseau. Il est vrai que des TGV sont souvent bloqués par des Corail ou des trains de banlieue. Ils sont aussi régulièrement en panne, ou victimes de « cas de force majeure ». Précisons que le jour où Japan Railways devra se trouver des excuses, la compagnie n’aura pas à réfléchir longtemps. La terre tremble toutes les semaines au Japon et le pays essuie des typhons chaque été, à travers lesquels les Shinkansen passent sans heurt. Le violent séisme du 5 mai 2014, par exemple, n’a occasionné aucune perturbation. Depuis son entrée en service en 1964, même pendant les pires tremblements de terre, aucun Shinkansen n’a été gravement accidenté. Un seul a déraillé en 2004, sans faire de victime.
Les cheminots français présentent souvent la privatisation comme les prémices du chaos ferroviaire absolu. Il faut donc préciser que Japan Railways n’est pas une compagnie publique. C’est un ensemble de six sociétés privées subventionnées (plus une pour le fret). Elles ont créé en 1987, quand le gouvernement japonais a démantelé l’équivalent japonais de la SNCF, la Japanese National Railways.
Remboursement en cas de retard
Comme il n’y a pas de retard au Japon, il n’y a pas de remboursement. Le système français reste donc incomparable : remboursement partiel, au bout de trois mois, en bons de voyage, sauf en cas de force majeure, etc.
Le confort
Les Shinkansen sont des trains à un seul étage, de plain-pied avec le quai. L'accès à bord est plus facile que dans les TGV à un étage, qui ont des marches. Les voitures sont plus spacieuses que celles des TGV. Comme les Shinkansen roulent sur un réseau à part, les ingénieurs ont pu s'affranchir des contraintes des réseaux anciens. Ils ont vu grand. Les wagons comportent cinq rangées de sièges en seconde. Ils sont un peu moins larges que ceux des TGV (45 cm contre 43,5 cm en seconde), mais le confort est comparable. Du moins à l'arrêt ! Pendant le trajet, c'est une autre histoire. Le Shinkansen vibre et tangue nettement moins qu'un TGV, alors qu'il roule aussi vite. Le silence est impressionnant. Comme les lignes à grande vitesse traversent des zones densément peuplées, Japan Railways met tout en œuvre pour limiter le bruit au maximum, même à plus de 300 km/h.
Astuce appréciable, tous les sièges sont dotés de dossier réversible. Les passagers peuvent donc s'aménager des carrés à volonté, et voyager ou non dans le sens de la marche. Le couloir central est huit centimètres plus large : 48 cm contre 56 cm. Cela semble négligeable, mais on se croise plus facilement dans un Shinkansen que dans un TGV. Il y a un espace fumeur fermé et bien ventilé dans le couloir. Les toilettes sont environ 30 % plus spacieuses que celles du TGV (avec des éviers séparés). L'ensemble est d'une propreté irréprochable. Selon les Japonais interrogés – mais nos lecteurs français les croiront-ils tant c'est énorme ? – il y a toujours de l'eau au robinet ainsi que du papier dans les toilettes.
La restauration à bord
Il n’y a pas de wagon-restaurant dans les Shinkansen. Un petit chariot passe dans les voitures. Il a une offre limitée (café, biscuit) mais on trouve dans toutes les gares des boutiques qui vendent des plateaux-repas abordables et délicieux, les ekiben (4 € à 15 €). En France, la SNCF n’a jamais trouvé de formule satisfaisante pour son wagon-restaurant. Lourdement déficitaire, il tire les prix des billets vers le haut, dans la mesure où il prend la place d’une cinquantaine de sièges, au bas mot. Que vous vous résigniez ou non à faire la queue pour un sandwich dans un TGV, vous payez le restaurant en achetant un billet…
Relations avec les usagers
Le personnel de Japan Railways est réputé serviable, ce qui ne surprend guère dans un pays où la courtoisie est de règle. La ponctualité parfaite des trains et la simplicité des tarifs réduisent aussi les occasions de heurt avec les agents. Disons quand même que le spectacle, fréquent en France, de deux contrôleurs discutant sur un quai, indifférents aux voyageurs surchargés de bagages, est inconcevable au Japon.Conclusion
Le TGV ne peut soutenir la comparaison avec le Shinkansen. C’est un autre train. Configuration du réseau, habitude de travail, tout n’est pas transposable. La SNCF pourrait néanmoins s’inspirer de Japan Railways sur certains points. Plus de simplicité dans les tarifs : les variations continuelles finissent par lasser les voyageurs. Davantage de boutiques de restauration en gare : la place ne manque pas et les besoins sont évidents. Faut-il maintenir le wagon-restaurant ? Les voyageurs des trains Corail s’en passent... Attribuer un quai à un train précis, pour faire gagner du temps aux habitués serait bienvenu. La SNCF y vient, mais très lentement.
La ponctualité est un chantier d’une toute autre ampleur, engageant des questions complexes de travaux, de planning, de budget, de relations sociales, etc. Elles ne peuvent se régler du jour au lendemain.
Un premier pas serait, tout simplement, que la SNCF regarde la réalité en face. « Excellence 2020 » n’en prend pas le chemin. Par rapport aux standards japonais, la compagnie française délivre des prestations nettement inférieures. « La référence mondiale » par « l'excellence du service rendu » en 5 ans ? Comme disent les Japonais : « gambatte », bon courage.