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Sécurité sanitaire des alimentsVers une privatisation rampante des contrôles

Le transfert d’une partie des contrôles sanitaires des aliments à des opérateurs privés laisse craindre une détérioration de leur qualité, du fait de potentiels conflits d’intérêts. Et ce, alors même que cette surveillance coûterait moins cher au contribuable en restant sous le contrôle des pouvoirs publics. Le flou persiste sur le devenir à moyen terme de certaines missions.

Laits maternisés de Lactalis, pizzas Buitoni (Nestlé), chocolats Kinder (Ferrero)… Après chaque scandale, le gouvernement clame sa volonté d’accentuer les contrôles sur les acteurs de la chaîne alimentaire (industrie, distribution, restauration). Dans les faits, la dernière réforme de la sécurité sanitaire des aliments risque à l’inverse de les fragiliser. Cette mission de surveillance de la qualité de nos denrées a été transférée début 2023 de la DGCCRF vers le ministère de l’Agriculture, comme annoncé il y a un an par le ministère de l’Économie (dont dépend la DGCCRF). Ses contours ont évolué au fil des mois. Ainsi, les tâches transférées comprendraient aussi les « nouveaux aliments » (insectes, algues, etc.), les OGM, les compléments alimentaires, les additifs, les contaminants et une partie des contrôles de « matériaux au contact » (emballages, contenants), contrairement à ce qui était initialement annoncé.

La DGCCRF affaiblie

À la DGCCRF, la réforme passe mal. Les agents ont le sentiment de remplir leur rôle, et pourtant d’être injustement attaqués. « Nous subissons des critiques violentes à chaque crise sanitaire, et la DGCCRF se fait aujourd’hui dépecer d’une de ses principales missions de protection des consommateurs, souligne le syndicat Solidaires CCRF-SCL. Cela contribue à l’affaiblir. » Les syndicats alertent depuis des années sur la réduction d’effectifs.

Décidée dans la précipitation, la réforme est encore en cours de mise en place, faute d’agents en nombre suffisant sur le terrain. « L’accroissement annoncé des contrôles par le ministère – de 10 % en plus au niveau des industriels, et de 80 % en plus au niveau de la remise directe au consommateur – est inatteignable dès la première année d’application », souligne un fonctionnaire du ministère. En effet, si 190 postes dédiés ont été promis, les recrutements, pour certains toujours en cours, n’ont pas encore permis la formation de tous les agents concernés, et le transfert effectif de l’ensemble des missions – sans même parler de l’accroissement programmé des contrôles, donc des contentieux à traiter ensuite.

32 millions d’euros pour sous-traiter les contrôles

Le ministère a une solution toute prête à cette difficulté : la délégation, à des opérateurs privés, des contrôles « à la remise directe au consommateur » dans les commerces alimentaires et la restauration. Pour cela, un budget conséquent de 32 millions d’euros est prévu. Un montant qui fait bondir les syndicats de salariés du ministère. Dans une lettre ouverte, six syndicats (CFDT, CFTC, CGC, SNISPV, FO, UNSA) interpellent le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau : « Quelle est la pertinence de recourir à une si grande échelle à de la délégation plutôt que de favoriser le recrutement de fonctionnaires compétents et impartiaux ? » 

Dans un courrier du 12 juin, le ministre rétorque que la délégation permet d’avoir « un coût maîtrisé pour l’État ». Une justification bien laconique, sachant que cette somme aurait permis d’embaucher près de 500 fonctionnaires, selon des chiffres de ce même ministère. « Cela équivaut à 5 fonctionnaires dédiés en plus par département, c’est énorme, souffle un agent. Avec ça, on aurait pu accroître le nombre de contrôles – avec une garantie de qualité ! »

Risque de conflits d’intérêts

Car l’une des craintes des syndicats, c’est le risque de conflits d’intérêts de cette sous-traitance, qui pourrait dégrader la rigueur des inspections : « Nous sommes plus que circonspects pour les contrôles des établissements en remise directe confiés aux mêmes laboratoires ou prestataires qui leur proposent parallèlement des services commerciaux. Quelles garanties apporter sur l’impartialité des contrôles et l’indépendance des délégataires ? », interrogent-ils. La délégation est effectivement ouverte à des entreprises qui travaillent par ailleurs pour les acteurs de la filière agroalimentaire, ceux-là même qu’ils pourraient être amenés à contrôler. Par exemple, les organismes certificateurs Bureau Veritas ou Apave, le laboratoire Eurofins, ou encore le cabinet d’audit QualiConsult sont sur les rangs. Les syndicats soulèvent également le problème du coût, craignant de « se retrouver pieds et poings liés dans quelques années et de se voir imposer des tarifs exorbitants ».

Selon le ministre de l’Agriculture, « cette délégation s’inscrit dans le respect du droit européen [qui] impose de garantir l’impartialité des contrôles ». Un peu court comme réponse, alors que la situation de conflits d’intérêts existe bel et bien, pour des prestataires qui ne peuvent être absolument indépendants.

Trois quarts des inspections déléguées

Le pilotage par le ministère de l’Agriculture est effectif depuis le 1er janvier 2023. Les contrôles dans les industries agroalimentaires seront transférés au 1er septembre – étant les plus sensibles, ils seront exclusivement réalisés par les agents du ministère de l’Agriculture. Ceux des denrées « à la remise directe » seront transférés au 1er janvier 2024 ; sur les 100 000 inspections prévues par le ministère, les trois quarts seraient déléguées. En cas de contentieux, l’administration reprendrait le dossier en main, voyant sa charge de travail alourdie. Le suivi des opérations de retrait et rappel concernant les « alertes nationales à enjeux », à l’instar des chocolats Kinder ou des pizzas Buitoni, serait également sous-traité, de même que les prélèvements d’échantillons pour analyses.

Le syndicat Solidaires CCRF-SCL s’inquiète du devenir du réseau des laboratoires publics de référence (SCL), dans lesquels sont réalisées ces analyses. Le ministère n’a pas précisé leur devenir au-delà de 2026, mais une restructuration est annoncée. Envisagerait-il également de déléguer ces examens ? Ce serait facile : des laboratoires privés figurent parmi les candidats prestataires. Seulement, ils réalisent aussi les autocontrôles pour le compte des industriels… Le risque de conflits d’intérêts plane là encore.

Malgré ces craintes, ce transfert des contrôles sera-t-il bénéfique au consommateur ? « Cette délégation au privé entretient la suspicion sur la qualité des contrôles, et ce n’est jamais bon, regrettent des agents du ministère. De plus, on aboutit à une usine à gaz, qui fragilise l’expertise de l’État. » Qu’en dit le ministère de l’Agriculture ? Il n’a pas répondu à nos questions.

Qui contrôle quoi ?

La DGCCRF (ministère de l’Économie) conserve sa mission de contrôle de la loyauté des produits et de la bonne information du consommateur : contrôle de l’étiquetage, de la composition et de la dénomination des marchandises ; lutte contre les pratiques déloyales sur l’origine, la qualité et les allégations. 

La DGAL (ministère de l’Agriculture) reprend l’ensemble du contrôle sanitaire des filières végétale et animale (production, transformation, distribution, restauration commerciale et collective). Elle vérifie les modalités de fixation des dates limites de consommation (DLC) et de durabilité minimale (DDM), ainsi que l’information sur le risque allergène. Elle gère également le contrôle de l’alimentation pour animaux, ainsi que celui des OGM, des compléments alimentaires, des denrées alimentaires enrichies, des additifs, arômes, enzymes, etc.

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