Elsa Casalegno
Sécurité sanitaire des alimentsUn début d’année hors de contrôle
Après la réforme du système de vérification des denrées alimentaires, fin 2023, l’analyse bactériologique effectuée par les services de l’État a connu une déficience début 2024. Qui pourrait se reproduire, faute de moyens…
Des analyses d’aliments réduites à la portion congrue… Sur les 3 premiers mois de l’année, l’État n’a effectué qu’une infime partie des tests bactériologiques attendus sur les denrées prélevées lors de contrôles officiels. Autrement dit, il n’a pas surveillé la qualité sanitaire de notre nourriture ! Une défaillance à imputer au transfert chaotique de cette mission du ministère de l’Économie vers celui de l’Agriculture, il y a 1 an.
Le suivi de ce que nous mangeons implique des inspections dans les fermes, abattoirs, usines agroalimentaires, magasins, grandes surfaces et restaurants. Mais aussi des prélèvements, aux différentes étapes de production ou de commercialisation, d’échantillons qui sont envoyés en laboratoire afin qu’on y détecte d’éventuels agents pathogènes (virus, champignons, bactéries…) ou des contaminants chimiques (pesticides, métaux lourds et autres polluants).
Avant la réforme, la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) réalisait une partie de ces prélèvements, puis les expédiait au service commun des Laboratoires (SCL). Ces deux structures dépendent du ministère de l’Économie.
Un logiciel pas fiable
Quand la surveillance des aliments a été attribuée à celui de l’Agriculture, environ 20 % des prélèvements – en usine et à la vente au consommateur – ont été délégués, et un nouveau logiciel devait assurer leur traçabilité. Problème, cet outil n’était pas au point ; impossible, dès lors, d’enregistrer la moindre information sur les échantillons récupérés, donc de conduire des tests ensuite. Ce bug a duré tout le premier trimestre. Interrogé, le ministère explique que « grâce à une solution temporaire, des prélèvements ont néanmoins pu être collectés et analysés avant début avril dans certaines régions ». Une situation dénoncée par le syndicat Sud-Solidaires CCRF & SCL, qui évoque « un problème par ricochet : un engorgement des analyses sur le reste de l’année ». À moins que les restrictions financières ne contraignent les labos à stopper de nouveau leur activité… Alors que, tous les ans, le budget initialement alloué au SCL est insuffisant et nécessite d’être renfloué, le prochain arbitrage du ministère est attendu avec appréhension, dans un contexte de déficit abyssal des finances publiques. « Sans argent supplémentaire, il sera impossible d’acheter les consommables et les réactifs, et de payer le gaz. Il n’y aura pas de tests sur les derniers mois de l’année », s’alarme un agent. De son côté, Bercy affirme à Que Choisir « garantir la couverture des besoins inéluctables et impérieux » du SCL… En clair, un service minimal serait assuré.
Trop d’hétérogénéité
Les contrôles sur le terrain, dont une part (celle qui porte sur la vente au consommateur en magasins et dans les restaurants) a été sous-traitée à des organismes privés, posent également problème. En effet, ils vont de « correct » dans certains départements à « compliqué » dans d’autres, en fonction des entreprises à qui la mission a été confiée. « Ces dernières n’ont pas embauché assez de personnel et le turnover est important. De plus, les agents sont insuffisamment formés, assène l’un d’eux. Les contrôles sont parfois très vite menés, et les critères de prélèvement des échantillons pas toujours respectés, ce qui empêche de faire des analyses correctes par la suite. » Le ministère concède, en termes diplomatiques, « une certaine hétérogénéité », mais table sur « l’appropriation progressive des modalités d’échantillonnage » – comprenez « des progrès de la part des délégataires ». Des arguments qui ne calment pas l’inquiétude parmi les agents des deux ministères. Le SPAgri, la branche de la CFDT à l’Agriculture, estime qu’« avec les 38 millions d’euros annuels mobilisés pour les délégataires, on aurait pu recruter des fonctionnaires pour atteindre les objectifs quantitatifs, avec de la qualité en plus ». À Bercy, l’intersyndicale Solidaires-CFDT-FO-CGT alerte sur ces restrictions « qui dégradent fortement la qualité du service rendu, offrant ainsi une moindre protection des consommateurs ». Nous voilà prévenus !