Erwan Seznec
Saint-ValentinPas si rose
Dommage pour la Saint-Valentin, mais les roses ne fleurissent pas en hiver. Celles que vous vous préparez à offrir ont forcément poussé sous des cieux plus cléments, probablement au Kenya. Reste à savoir sous quel régime social et avec quel impact écologique.
Depuis les années 1980, le Kenya s'est progressivement imposé comme un acteur majeur du marché des fleurs coupées, jusqu'à devenir le premier exportateur mondial de roses. Son principal débouché est l'Europe, qui lui en achète chaque année des centaines de millions.
Celles-ci transitent par les Pays-Bas, plaque tournante de l'horticulture européenne depuis des siècles. Elles proviennent essentiellement de la région du lac Naivasha, où la température et le sol sont parfaitement adaptés à une production de masse.
Avec un produit intérieur brut par habitant de 1 200 euros, vingt fois inférieur à celui de la France, le Kenya fait partie des 30 pays les plus pauvres du monde. Les conditions de travail y sont très en dessous des standards occidentaux dans tous les secteurs, horticulture comprise.
Bien consciente du décalage entre la douceur des fleurs et la brutalité de leurs conditions de production, la Commission kenyane des Droits de l'homme a lancé une campagne internationale d'alerte en 2002. Salaires très bas, journée de 12 heures, maniement de pesticides sans équipement de sécurité, logements indécents pour les travailleurs, etc., la rose du Kenya ne sent pas forcément très bon. Cela étant, des études plus poussées menées par des chercheurs kenyans suite à cette campagne de presse (1) ont abouti à un constat paradoxal. Malgré ses carences criantes, l'industrie de la fleur coupée serait tout de même une des plus réglementées du Kenya et, sous la pression de ses donneurs d'ordres occidentaux, tirerait vers le haut les pratiques sociales dans le pays. Il est vrai qu'elle ne pouvait guère les tirer beaucoup plus bas...
Paradoxe navrant
Le bilan environnemental est également préoccupant. D'après plusieurs ONG, les fermes horticoles pomperaient dangereusement le lac Naivasha, principal réserve d'eau de toute la région et grande réserve de faune et de flore. Une enquête publiée en 2008 par des organisations nord-américaines (2) soulignait un paradoxe navrant. Une rose est composée à 90 % d'eau. Le Kenya, pays chaud et sec, exporte en fait de l'eau vers des pays européens tempérés et humides, jusqu'à menacer ses propres écosystèmes. Difficile de jeter la pierre aux Kenyans. Les pays d'Europe, eux aussi, malmènent leur environnement pour améliorer leur niveau de vie. Boycotter la rose du Kenya ? La crise économique s'en charge. Malheureusement pour les salariés concernés, les exportations vers l'UE ont chuté de 35 % au premier semestre 2009 par rapport à la même période en 2008.
Il n'est pas inutile, en revanche, d'interroger votre fleuriste ou votre grande surface sur la provenance de leurs roses. Les ONG notent que la réflexion est en cours au Kenya pour réduire l'impact de la production de fleurs coupées sur l'environnement. Elle aura plus de chances de déboucher sur des mesures concrètes si la clientèle fait pression dans ce sens.
La complexité du sujet a tout de même un avantage. Si jamais vous avez oublié d'acheter des roses pour la Saint-Valentin, plaidez l'abstention citoyenne, plus présentable que la banale distraction.
1. "The Women Behind Beautiful Roses", Naomi Rioba. Centre for Women Studies and Gender Analysis, Egerton University, Njoro, Kenya.
2. "Lake Naivasha withering under the assault of international flowers vendors", étude conjointe de l'ONG américaine Food and Water Watch et de l'OGN du Conseil des Canadiens.