Retraite des libérauxLa Cour des comptes revient à la Cipav
Couvrant près de 600 000 affiliés, soit la moitié des professionnels libéraux, la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav) avait fait l’objet d’un chapitre très critique dans le rapport annuel 2014 de la Cour des comptes. État des lieux alors que les auditeurs de la Cour des comptes sont de retour à la Cipav en ce moment même.
« Une gestion désordonnée, un service aux assurés déplorable ». Tel était le titre du rapport de 82 pages de la Cour des comptes en 2014, qui décrivait un système à bout de souffle.
Schématiquement, en France, les salariés sont couverts par la Caisse nationale d’assurance vieillesse pour la retraite de base et par l’Agirc-Arrco pour la retraite complémentaire. Les libéraux et assimilés (notaires, pharmaciens, médecins, kinésithérapeutes, avocats, professeurs de tennis ou de chant lyrique, etc.), de leur côté, sont couverts par une douzaine de caisses sectorielles. La Cipav est la plus importante de toutes. Elle coiffe quelque 300 professions très hétéroclites. Depuis 2008, ses effectifs ont considérablement augmenté, car elle a vu arriver en masse des auto-entrepreneurs. Ces derniers sont en effet affiliés pour moitié au Régime social des indépendants (RSI) et pour moitié à la Cipav (1).
La situation apocalyptique du RSI a fait l’objet de nombreux papiers dans la presse. Jusqu’au rapport de la Cour des comptes, le cas de la Cipav avait été peu commenté. Les difficultés des deux régimes sont pourtant à peu près du même ordre : appels de cotisation injustifiés, erreurs fréquentes, accumulation de milliers de dossiers litigieux, contacts très difficiles par courrier ou téléphone, exaspération des affiliés, déprime complète des salariés…
Il ressort du rapport de la Cour que la Cipav n’était pas prête à assumer cette nouvelle population. Les auto-entrepreneurs ont précipité toutes les difficultés latentes de la caisse. L’incompétence de ses dirigeants n’était pas la moindre. Le 8 décembre, le tribunal correctionnel de Paris a condamné à des amendes les deux directeurs qui se sont succédé entre 2006 et 2013. Ils ont passé plus de 20 millions d’euros de commandes sans appel d’offre. Les deux hommes ne contestaient pas les faits. Ils ont comparu dans le cadre de la procédure dite du « plaidé-coupable ». Les marchés en question concernaient la modernisation – ratée – de l’outil informatique. Engagée depuis des années, elle n’est toujours pas achevée. Elle devait coûter moins de 5 millions d’euros. L’addition finale sera plus proche des 50 millions.
L’organisation même de la Cipav pose un grave problème. Elle avait monté à la fin des années 1960 une structure commune appelée le groupe Berri avec les caisses des artistes (l’Ircec), des experts comptables (la Cavec) et des officiers ministériels (la Cavom). L’idée de départ était bonne. Il s’agissait de mutualiser les moyens. La mise en œuvre a été si mauvaise que le groupe Berri s’est transformé en facteur de blocage. Son existence semble d’ailleurs compromise. La Cavec l’a quitté fin avril 2015, l’Ircec a suivi fin juin et la Cipav a annoncé son départ fin décembre, ce qui provoque un conflit avec la Cavom !
La Cipav est actuellement dirigée par Olivier Selmati, un haut fonctionnaire qui avait inspecté la Cipav en tant que membre de la Mission nationale de contrôle et d’audit de la sécurité sociale. Ses relations avec le comité d’entreprise du groupe Berri, ou ce qu’il en reste, sont très conflictuelles. Le CE conteste sa nomination en justice, considérant qu’il y a conflit d’intérêt avec les fonctions précédentes de M. Selmati. Ce dernier a obtenu le feu vert de la commission de déontologie, selon laquelle le groupe Cipav n’est pas assimilable à une entreprise à but lucratif. Le CE a également déposé une autre plainte contre X pour délit de favoritisme, estimant que toute la lumière n’a pas été faite sur les multiples marchés passés par le groupe Berri hors des règles des marchés publics. Autant dire que les auditeurs de la Cour des comptes ne vont pas chômer.
Quant aux affiliés de la Cipav, ils peuvent espérer voir leur situation s’améliorer progressivement en 2016. La caisse a peut-être passé le cap le plus difficile, comme le RSI. Dans le cas de l’ex-groupe Berri, néanmoins, dès que la gestion au jour le jour sera revenue à la normale, une question va se poser. Des petites caisses comme la Cavec (19 500 affiliés) ou l’Ircec (50 000 répartis en trois sous-régimes !) ont-elles un avenir en solo, compte tenu des incertitudes démographiques qui pèsent sur tous les régimes de retraite ?
(1) Cela dépend de la nature de leur activité. Schématiquement, tout ce qui est commerce et artisanat et déclare « des bénéfices industriels et commerciaux » relève du RSI, alors que les activités de services qui génèrent des « bénéfices non commerciaux » relèvent de la Cipav. C’est évidemment obscur pour un jeune entrepreneur qui démarre et les erreurs d’affiliation sont légion.