Élisabeth Chesnais
Répartiteurs de frais de chauffageUn surcoût inutile pour les copropriétés
Si le projet de décret actuellement en consultation est signé, les copropriétés en chauffage collectif vont devoir équiper tous leurs radiateurs de répartiteurs de frais de chauffage. C’est le jackpot pour les prestataires, mais un surcoût inutile pour les millions de ménages concernés.
Les répartiteurs de frais de chauffage seront a priori obligatoires d’ici mars 2017, la mesure est inscrite dans la loi sur la transition énergétique. Si la ministre de l’Écologie persiste dans l’erreur en signant le décret de généralisation, les copropriétés en chauffage collectif devront toutes en équiper leurs radiateurs. Car des sanctions sont prévues, et elles sont lourdes, 1 500 € par logement ! À croire que la ministre juge ces répartiteurs cruciaux pour la transition énergétique.
C’est pourtant tout l’inverse, il s’agit même de l’arme antirénovation énergétique par excellence. Le gouvernement voudrait tuer ce marché qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Certes, l’idée de faire payer chacun en fonction de sa consommation relève du bon sens. Mais si l’eau se prête bien au décompte individuel, ce n’est pas le cas du chauffage. La chaleur se diffuse, le logement qui coupe ses radiateurs est chauffé par les voisins, et tous les immeubles comptent des appartements mieux situés que d’autres. Certains profitent des répartiteurs, les autres non.
Alors il n’est plus question d’obtenir un vote en faveur de gros travaux de rénovation énergétique en assemblée générale de copropriété, les résidents bien situés s’y opposent ! Adieu la rénovation BBC (bâtiment basse consommation) que la loi sur la transition énergétique veut promouvoir.
Quant à la soi-disant « individualisation des frais de chauffage », c’est un leurre. Seule une partie de la facture de chauffage est concernée. Il faut en exclure les frais de maintenance et de réparation, la part de combustible qui produit l’eau chaude sanitaire, et ne garder que 70 % du combustible utilisé pour chauffer. Les 50 à 70 € facturés pour les relevés amputent sérieusement les économies.
D’ailleurs le puissant mouvement HLM, très soucieux de la réduction des charges, s’y oppose avec force. L’Union sociale pour l’habitat s’est même associée à l’ARC, l’Association des responsables de copropriété, pour dénoncer « une mesure inutile et coûteuse ». Cette situation ubuesque est le fruit d’une opération de lobbying réussie. À la manœuvre, le Syndicat de la mesure qui promet 20 % d’économies. Pour ses adhérents, ce marché national des répartiteurs, c’est le jackpot assuré. Il a su faire passer cet intérêt privé pour un enjeu national. Chapeau !
La guerre des chiffres
Le projet de décret étant en consultation, le ministère a fait les comptes pour justifier la généralisation des répartiteurs de frais de chauffage. Les experts de la Direction de l’habitat ont d’abord pris une hypothèse très optimiste en se basant sur 13 % d’économies d’énergie, alors que l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) parlait en 2013 de « 10 %, sachant qu'une dérive dans le temps a été observée, les occupants faisant attention la première année et plus par la suite ». Ils ont à l’inverse choisi une hypothèse basse à 40 € pour les coûts annuels, car ce total doit inclure à la fois les relevés et les honoraires du syndic. Pourtant, en dépit de ces hypothèses qui sous-estiment les coûts et surestiment les gains, leurs calculs prouvent que toutes les copropriétés y perdent de l’argent sur les trois premières années. Et pour la moitié d’entre elles, c’est toujours un surcoût au bout de 10 ans. Les comptes viennent donc d’être refaits, en augmentant les économies d’énergie à 15 % et avec une inflation annuelle du prix de l’énergie de 4 %. Ouf ! Cette fois tout le monde y gagne… sauf que les prix de l’énergie n’ont rien d’inflationnistes et que les 15 % d’économies ne seront pas au rendez-vous.